Eglises d'Asie

Un religieux bouddhiste vietnamien, kidnappé par la police vietnamienne au Cambodge où il avait reçu le statut de réfugié, est jugé à Hô Chi Minh-Ville et condamné à vingt mois de prison

Publié le 18/03/2010




Le procès n’aura duré qu’une heure, de 8 h 30 à 9 h 30. Suffisamment pour que le Tribunal populaire de Hô Chi Minh-Ville inflige, le 12 mars dernier, une peine de vingt mois de prison ferme au religieux bouddhiste Thich Tri Luc, pour avoir franchi la frontière en vue de s’opposer au pouvoir populaire. Les débats se sont déroulés à huis clos, sans avocat. La famille du prévenu n’a été prévenue du procès que la veille de sa tenue. Le religieux ayant déjà purgé dix-neuf mois et quinze jours de prison préventive devrait être libéré dans les deux semaines à venir (1).

Le religieux originaire de la province de Thua Thiên est âgé de 49 ans ; il avait fui son pays pour le Cambodge au mois d’avril 2002, pour échapper aux pressions exercées sur lui par les pouvoirs publics de son pays, en raison de son appartenance au bouddhisme unifié. Il avait sans peine obtenu le statut de réfugié au Cambodge, octroyé le 28 juin 2002 par le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU à Phnom Penh. Or, dans la nuit du 25 juillet suivant, le nouveau réfugié disparaissait de son domicile. Cette nuit-là, selon des sources cambodgiennes, une personne en civil, non identifiée, mais que l’on soupçonnait appartenir à la police secrète vietnamienne, aurait invité le religieux à le suivre (2). Puis on resta longtemps sans nouvelles de lui. Beaucoup d’observateurs en avaient conclu que l’intéressé avait été kidnappé par la Sûreté vietnamienne, ramené de force au Vietnam pour y être interné, voire éliminé. Cependant, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères de l’époque avait publiquement rejeté – en la qualifiant de calomnie – cette éventualité directement évoquée par le Bureau international d’information bouddhiste dans un communiqué de presse.

Il aura fallu attendre plus d’un an pour que l’hypothèse exprimée à l’époque s’avère fondée et que la thèse de l’enlèvement par la police vietnamienne soit indirectement confirmée par les pouvoirs publics de ce pays. En effet, au mois de juillet 2003, la famille du religieux au Vietnam reçut une convocation à un procès qui aurait dû avoir lieu le 1er août suivant, durant lequel Pham Van Tuong, qui est le nom d’état-civil de Thich Tri Luc, aurait dû être jugé. Par la suite, le procès fut reporté à une date ultérieure. Cette convocation permit aux proches du religieux victime du kidnapping gouvernemental de savoir que celui-ci était détenu à Hô Chi Minh-Ville, tout en ignorant absolument la nature des accusations qui étaient portées contre lui (3). La confirmation implicite de l’enlèvement du religieux bouddhiste a suscité les vigoureuses protestations de nombreuses organisations internationales, comme Amnesty International et Human Rights Watch.

Thich Tri Luc a été disciple du vénérable Thich Dôn Hâu qui fut patriarche du bouddhisme unifié et désigna le vénérable Thich Huyên Quang comme son successeur, avant sa mort le 23 avril 1992 (4). Depuis le changement de régime de 1975, le religieux a mené une vie passablement mouvementée. Arrêté une première fois en 1992 et emprisonné dix mois durant, il subit des pressions de la part des autorités l’incitant à devenir un collaborateur secret de la police. Il refusa et envisagea même de s’immoler par le feu en signe de protestation. Plus tard, en 1994, il faisait partie d’une délégation bouddhiste, chargée de porter secours aux victimes des inondations du Mékong, mais empêchée par la police d’accomplir sa mission (5). Un procès eut lieu à Hô Chi Minh-Ville le 15 août 1995 qui condamna les divers accusés à des peines allant de deux ans et demi à cinq ans de prison (6). Thich Tri Luc écopa de deux ans et demi de prison, peine pour laquelle il refusa de demander un recours (7) et qu’il purgea dans un camp de rééducation à Xuân Lôc. Cet internement fut suivi d’une assignation à résidence et de l’interdiction d’exercer toutes activités religieuses publiques. Ces derniers temps, la situation était devenue si insupportable qu’il prit la décision de quitter la vie religieuse et de s’enfuir au Cambodge.