Eglises d'Asie

A Djakarta comme aux Moluques, les principaux responsables religieux attribuent le regain de violence entre musulmans et chrétiens à Amboine à une manipulation de “tierces parties”

Publié le 18/03/2010




A Djakarta comme aux Moluques, quelques jours après les violences entre communautés qui ont fait près de trente morts depuis le 25 avril dernier, les principaux responsables religieux ont déclaré que ce regain meurtrier de tension ne signifiait pas que les Moluquois, chrétiens ou musulmans, voulaient renouer avec les affrontements sanglants des années 1999-2002. Ils ont mis en cause des “tierces parties” – sans les nommer plus précisément -, estimant que des “provocations” sont la cause de ces événements.

Les incidents ont débuté le dimanche 25 avril. Chaque année, à cette date, les quelques centaines de partisans que compte le Front de souveraineté des Moluques (FKM), une organisation interdite, hissent les couleurs de l’éphémère République des Moluques du Sud (1). Ils célébraient ce 25 avril le 54e anniversaire de cette République, disparue avant même d’avoir existé. Après l’intervention des forces de l’ordre et l’arrestation d’un certain nombre de militants du FKM, presque tous chrétiens, des défenseurs autoproclamés de la République unitaire d’Indonésie, principalement musulmans, s’en sont pris aux militants du FKM rassemblés devant un poste de police. Rapidement débordées, les forces de l’ordre n’ont pu séparer les deux groupes et des heurts ont éclaté dans différents quartiers d’Amboine. Le lendemain, quatre chrétiens et sept musulmans avaient été tués ; une université chrétienne, une autre publique, les bureaux du Programme de développement de l’ONU, ceux de plusieurs ONG ainsi que des dizaines de maisons et un temple protestant avaient été partiellement ou en totalité incendiés. Les jours suivants, en dépit de l’arrivée de forces de l’ordre, envoyés de Java en renfort, la tension persistait, des tireurs embusqués faisant de nouvelles victimes. Les heurts sont toutefois restés circonscrits à Amboine, le reste de la province des Moluques, y compris des villages situés sur l’île d’Amboine, n’étant pas touchés.

Absent d’Amboine le 25 avril, l’évêque du diocèse catholique d’Amboine, Mgr Petrus Mandagi, est revenu d’urgence à son évêché et, le 27, il a pris part à une réunion où étaient présents le gouverneur de la province, les chefs des forces de l’ordre et les responsables religieux et civils. Selon Mgr Mandagi, l’ensemble de ces responsables a estimé que le fait que les violences soient restées relativement contenues indique que les Moluquois ne se laissent pas aisément entraîner dans de nouveaux conflits. Il a ajouté qu’il était “certain que des groupes avaient choisi à dessein la date anniversaire du 25 avril pour provoquer la population”.

Quelques jours auparavant, le 22 avril, Mgr Mandagi avait redit lors d’une conférence de presse qu’il était faux d’assimiler le FKM aux chrétiens et qu’il n’approuvait pas l’action de ce mouvement. Selon lui, l’importance donnée au FKM ne correspondait pas à la réalité et résultait d’un effet de loupe créé par l’attention excessive accordée par les médias à ce mouvement.

A Djakarta, le 27 avril, le Comité indonésien pour la religion, qui réunit des responsables religieux musulmans, protestants, catholiques, hindous, bouddhistes et confucéens, a publié une déclaration selon laquelle “les provocations” suscitées par des “tierces parties” étaient à l’origine des heurts d’Amboine. Un responsable de la Muhammadiyah, Din Syamsuddin, a ajouté que ces tierces parties agissaient pour “des motifs politiques”.

Selon la presse régionale, si le retour à l’ordre interviendra progressivement à Amboine, l’explosion de violence qui vient de se produire aux Moluques risque de laisser des traces dans le paysage politique indonésien. Rappelant que les Indonésiens viennent de voter pour désigner leurs députés et qu’ils se préparent à retourner aux urnes pour les élections présidentielles, la presse estime que ce qui s’est passé à Amboine peut avoir été manigancé afin, notamment, de discréditer Susilo Bambang Yudhoyono. Ce dernier se présente avec Jusuf Kalla comme co-listier et est sorti des élections législatives comme un candidat crédible. Sa formation politique, le Parti démocrate, récemment formée, a réussi une percée aux élections en enlevant plus de 7 % des suffrages. Du temps où ministres du gouvernement, lui et Jusuf Kalla ont été les architectes des accords de Malino qui ont ramené en 2002 la paix à Poso, sur l’île de Célèbes, et aux Moluques (2). Selon Sukardi Rinakit, du Centre d’études politiques, à Djakarta, “il est possible que des rivaux utilisent le regain de violence à Amboine pour dire que ces deux-là n’ont pas été d’aussi bon ministres qu’ils le disent”. Pour Lambang Trijono, sociologue au Centre pour la sécurité et la paix, à Yogyakarta, “les accords de Malino ont établi Bambang et Jusuf en tant que leaders nationaux capables de résoudre certains des problèmes dont souffre le pays. La violence à Amboine entame leur crédit de dirigeants efficaces et compétents”. D’autres analystes ajoutent que des rivaux dans la course à la présidentielle, tels que l’ex-général Wiranto (3), pourraient voir leur crédit se renforcer si ce qui s’est passé à Amboine prenait une véritable importance dans la campagne électorale au niveau national.