Eglises d'Asie

“FRERE EDDIE” : UN EVANGELISTE CANDIDAT A LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE

Publié le 18/03/2010




La campagne pour les élections présidentielles du 10 mai 2004 touche à sa fin. Elle est dominée par la lutte entre la présidente Gloria Arroyo, qui se représente, et l’acteur de cinéma Fernando Poe Jr. Mais, à côté des principaux candidats, la candidature de “Frère Eddie” met sur le devant de la scène l’essor de groupes chrétiens évangéliques. Affirmant avoir été désigné par le Seigneur pour mener son peuple, … 

Eddie Villanueva n’a cependant presque aucune chance de gagner le 10 mai prochain. Sa candidature est toutefois le signe de la détermination croissante des chrétiens évangéliques de montrer leur poids. L’article ci-dessous est paru le 8 avril 2004 dans la Far Eastern Economic Review. La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.

 

Il annonce sept millions de supporters dans le monde, mais le leader évangéliste Villanueva découvre que se présenter à la présidence des Philippines n’est pas aussi facile qu’il le pensait. En voiture sur une autoroute de Manille, sa femme Dory répond à un coup de fil. Apparemment, il y a des gens qui ne savent pas qui est Villanueva. “Ils t’appellent Eddie Evangelista dans un sondage annonce-t-elle, couvrant le récepteur du téléphone de la main. Villanueva, plus connu sous le nom de “Frère Eddie enlève ses lunettes et se frappe le front dans un geste de feinte exaspération. “Je n’arrive pas à y croire, dit-il. Je ne pensais pas que la politique pouvait être aussi peu reluisante.”

Dans la course présidentielle où figurent le plus grand acteur de cinéma des Philippines, Fernando Poe Jr., et la toujours puissante présidente en exercice, Gloria Macapagal Arroyo, le leader de l’Eglise Jesus is Lord a peu de chance de l’emporter le 10 mai prochain. Mais la présence de Villanueva dans cette campagne montre combien les groupes évangélistes en Asie déploient d’efforts pour transformer rapidement leurs congrégations en pleine expansion en une force politique, comme ont pu le faire les évangélistes américains, tel que Pat Robertson, dans les années 1980 et 1990.

La Maison de Prière de Jérusalem – un réseau évangéliste mondial basé aux Etats-Unis – a fait part de cette orientation en invitant à sa convention annuelle de Singapour en février dernier trois participants inhabituels. L’un était Villanueva. Les deux autres étaient l’un, candidat à la présidence d’Indonésie et l’autre, au poste de Premier ministre des Iles Salomon. Entre des réunions d’études missionnaires et de séances de guérison par la foi, les délégués de plus de trente pays ont prié les mains levées pour le succès de leurs candidats (et payé leurs frais de voyage). Ce fut un moment extraordinaire pour Villanueva. “Je ne l’avais jamais vu autant submergé par l’Esprit auparavant commenta un pasteur.

Cet accueil somptueux reflète la puissance croissante des groupes évangélistes dans de nombreux pays de la région, particulièrement depuis la crise financière de la fin des années 1990. Des millions de croyants, de la Corée du Sud à la Malaisie, de Singapour aux Iles Fidji, ont été amenés aux Eglises évangéliques, une tradition essentiellement protestante qui encourage à lire la Bible plutôt qu’à écouter les sermons des pasteurs. Les prêcheurs évangélistes attirent souvent beaucoup plus de monde que n’importe quel prêtre catholique.

Aux Philippines, les groupes charismatiques évangélistes et catholiques – qui suivent quelques-unes des pratiques, sinon toutes les croyances de la tradition évangéliste – se disent forts de quelque vingt millions de membres. Villanueva, 57 ans, explique que la raison de ce succès est le dégoût qu’ont les gens du peuple de la corruption et le besoin de trouver un sens à la vie, au-delà de l’achat de téléphones mobiles ou bien au-delà de la lutte de tous les jours pour mettre à manger sur la table de leur famille. “Le temps est venu de faire entendre notre voix affirme Villanueva, qui a rapidement surmonté sa déconvenue de voir son nom écorché dans un sondage.

D’une certaine façon, ce phénomène reflète ce qui s’est produit à une plus grande échelle dans l’Amérique latine catholique des dernières années 1980 et du début des années 1990. Là, de jeunes prêtres radicaux commencèrent à prêcher une “théologie de la libération socialement engagée, à des congrégations catholiques traumatisées par des régimes oppressifs. Dans le même temps, les évangélistes se tournèrent vers les millions de déshérités en marge de la société pour améliorer les soins et l’éducation, travaillant souvent de concert avec les politiques et les aidant même à être élus – comme cela a été le cas au Pérou pour le président Alberto Fujimori, destitué depuis.

Les évangélistes des Philippines essayent maintenant de faire un pas de plus et de porter un des leurs à la présidence. Jusqu’ici, la candidature de Villanueva n’a pas décollé : les sondages ne lui donnent que 2 % des intentions de vote. Dans le passé, des groupes religieux très populaires qui ont tenté de se lancer en politique ont échoué, mais ne le dites surtout pas aux centaines de partisans qui impriment des brochures et préparent des posters dans les bureaux de Manille pour la campagne de Frère Eddie. Villanueva affirme que sa croisade ne fait que commencer à prendre son élan et que ses supporters n’ont pas de rivaux pour leur dévouement. Beaucoup de marches ont été organisées, avec des banderoles qui disent “Pourquoi pas ?” – une réplique aux critiques qui disent que Frère Eddie n’a pas l’étoffe d’un président. Et ses partisans ne sont pas qu’aux Philippines, si l’on en juge par la marée de T-shirts jaunes “Frère Eddie” le dimanche à Central, à Hongkong – où nombre d’émigrées et d’émigrés philippins passent leur journée de libre -, Frère Eddie peut faire un succès chez les Philippins émigrés, à Hongkong, Singapour et dans les Etats du Golfe, qui voteront cette année pour la première fois.

Aux Philippines, les rassemblements du Frère Eddie sont plus importants que ceux de tous les candidats. Quand ceux-ci amènent à leurs rassemblements des acteurs, des chanteurs et des danseurs sexy, Villanueva a sur eux l’avantage de cumuler ses manifestations électorales avec des meetings religieux de renouveau charismatique. Un dimanche de février dernier, presque un million de fidèles de son mouvement sont venus l’écouter parler, alors que le soleil se couchait sur la baie de Manille.

De façon prévisible, son thème préféré est la régénération morale : “Nous sommes prisonniers d’un culte de la corruption proclame Villanueva à ses ouailles toutes ouïes. “Il est temps de renouveler notre foi et de renouveler le pays.” Et il croit qu’il est la personne pour le faire : “Modestie mise à part, je ne suis pas un évangéliste ordinaire.”

C’est certainement vrai : durant la dictature de Marcos, dans les années 1970, Villanueva était un guérillero marxiste. Plus tard, il a fait un passage comme professeur d’économie puis comme directeur de télévision. Mais il n’est pas non plus le plus flamboyant des évangélistes philippins. Ce prédicateur au talent oratoire moyen est parfois éclipsé par le Frère Mike Velarde, qui dirige le mouvement catholique charismatique El Shaddai et arbore des vestes voyantes et des nouds papillons écossais. Villanueva n’a pas essayé non plus de faire des miracles, à la différence de l’infortuné Wilde Almeda, qui n’emmena sa “Croisade des Miraculés de Jésus” dans la jungle du sud des Philippines pour libérer des otages – et pour se retrouver lui-même prisonnier.

Mais, pour les Philippins fatigués d’années de zizanies politiques, Villanueva présente une alternative aux façons habituelles de faire les choses. Il n’y a dans son équipe aucun vétéran politique, ni aucun des conseillers techniques de l’ère de Marcos, qui se sont, eux, engagés pour le candidat Fernando Poe. Frère Eddie souligne fortement aussi son intégrité personnelle – un coup bas, pas si subtil, à la façon dont Gloria Arroyo avait décidé de ne pas se présenter à ces élections pour ensuite changer d’avis. (Villanueva affirme qu’il ne serait jamais entré en compétition si Arroyo lui avait fait clairement savoir dès le début qu’elle serait candidate.) Mais il ne manque pas de confiance en lui : “J’ai été oint par Dieu pour mener mon peuple, exactement comme le roi David dans la Bible. Un prophète américain, le Docteur Bill Hamon, l’a prophétisé.” Pour mémoire, Bill Hamon avait aussi prophétisé que la venue de l’an 2000 serait marquée par de gigantesques coupures d’électricité et par l’anarchie.

Qu’il gagne ou qu’il perde, Villanueva pense que sa candidature aura été un succès partiel dans la mesure où elle aura ramené dans le débat politique un parler clair et plus de moralité. “Vous pouvez vous moquer de Villanueva, écrivait récemment l’éditorialiste Max Soliven dans son journal le Philippine Star, mais il fait passer un message dans ce crasseux débat électoral .c’est qu’il y a une communauté qui craint Dieu, qui aime Dieu, qui sert Dieu dans ce bon archipel et qu’elle est prête à combattre et à prier pour la vérité.”

Comme pour en apporter la preuve, Villanueva tente de toucher bien au-delà des évangélistes dans cette nation à majorité catholique. Ainsi, accepte-t-il des fidèles de l’Eglise catholique aussi bien que de groupes plus ésotériques.

Une visite en mars dernier aux studios de la chaîne de télévision câblée catholique faisait partie de son plan pour dépasser le clivage des appartenances. Villanueva a participé au débat télévisé “la Porte de la chaîne religieuse de la Pitié Divine. Pendant une heure, Villanueva et son hôtesse Ruby Tan ont prié à tour de rôle et fortifié mutuellement leur foi. Frère Eddie décrivit “comment la droiture exaltait le cour d’une nation” et Tan a répondu “Amen !” un bon nombre de fois. Après la séance, Tan a demandé à Villanueva si elle l’avait mis en valeur. “Je voulais tellement montrer son grand cour a-t-elle expliqué.

Sur le chemin du retour à ses bureaux pour sa campagne électorale, Villanueva a raconté comment il avait décidé de participer à la course à la présidence. Son Eglise Jesus is Lord ne s’est jamais tenue à l’écart du débat politique dans le passé. Elle a soutenu l’ex-président Fidel Ramos puis Gloria Arroyo lorsqu’elle est arrivée à la présidence en 2001. Villanueva explique que, jusqu’à l’année dernière, il n’avait jamais ressenti le désir d’y participer lui même. Mais il a changé d’avis quand un groupe d’hommes d’affaires et de religieux est venu lui demander de se présenter sous l’étiquette d’un nouveau parti politique qu’ils avaient créé. “Après quatre mois de jeûne, de prière et de consultations – quatre mois d’agonie -, j’ai ressenti une passion brûlante pour la nation dit-il. En d’autres termes, il avait décidé de se présenter.

Aujourd’hui, quantité de partisans préparent à longueur de temps dans ses bureaux de Manille des dépliants, des posters et des banderoles, pendant que des stratèges imaginent, autour de tasses de café, de nouvelles méthodes pour mobiliser les électeurs. Leur technique de prédilection pour obtenir des voix est celle de la pyramide. Le schéma en est que chaque partisan de Frère Eddie peut amener sept personnes à voter pour lui, et que ces sept personnes peuvent à leur tour convaincre sept autres personnes, et ainsi de suite. Cette technique avait permis à l’Eglise Jesus is Lord de Villanueva de passer de quelques dizaines d’étudiants dans les faubourgs au nord de Manille à un groupement mondial avec des implantations dans trente-trois pays.

Divinement oint ou non, Villanueva sait qu’il ne peut pas se permettre d’attendre tranquillement que les gens votent pour lui. Il doit aller les chercher. Préparant une autre émission télévisée, il reconnaît que les mois de campagne comptent double. “Se présenter à la présidence est un peu comme préparer un sermon – le sommeil en moins !”