Eglises d'Asie

LES VISAGES ASIATIQUES DU CHRIST

Publié le 18/03/2010




Le Bureau pour les questions théologiques de la FABC a organisé un colloque, réflexion et échanges sur “les visages asiatiques du Christ”. Le titre même peut être compris de deux façons complémentaires : comment les Asiatiques voient le Christ ? ou bien : comment présenter le Christ avec un visage correspondant aux cultures asiatiques ? Au cours des interventions et des échanges, je pense que les deux aspects ont été abordés, quelquefois indistinctement. De toutes façons, le contenu de la rencontre a été enrichissant ; et je voudrais simplement pour ma part, communiquer mes réactions et suggestions, dans le contexte de l’Eglise de Thaïlande.

Les deux premières interventions

La première intervention était présentée par le P. Carlos Abesamis, jésuite, théologien bibliste des Philippines. Le titre était “The Essential Jesus ce qui n’est pas facile à traduire en français. Le P. Carlos présentait deux aspects fondamentaux de Jésus : d’une part sa relation avec “la Source c’est-à-dire sa relation fondamentale avec le Père et d’autre part “Jésus donné à sa mission pour une libération totale tant de l’homme et du cosmos Nous pouvions donc voir un Jésus qui, au nom du Père, s’est fait proche des pauvres et du monde marqué par le péché. Le P. Carlos faisait une application pastorale et missionnaire pour l’Eglise dans le monde asiatique profondément marqué par la pauvreté. Il mentionnait ainsi l’actuelle “mondialisation” qu’il a appelée le “HIV” (virus du sida) du monde ou l’antithèse du Royaume de Dieu.

Une seconde intervention de Jonathan Tan Yun-ka, présentait “Jésus le Sage crucifié et ressuscité : vers une christologie confucéenne”. Une présentation intéressante, révélant un visage du Christ en correspondance avec le confucianisme : Jésus le Sage (sheng) qui fait découvrir le chemin (dao) qui est moins une connaissance abstraite qu’un chemin de vie.

Le contexte de Thaïlande

Aucune intervention n’était prévue pour présenter une christologie dans le contexte du bouddhisme Theravada (ou Petit Véhicule). Mais ces deux premières interventions m’ont amené à une réflexion dans ce contexte qui est le nôtre en Thaïlande, ainsi que dans les pays avoisinants : le Laos, le Cambodge, la Birmanie. C’est directement le contexte de mon expérience missionnaire, sinon théologique.

Pour les bouddhistes Theravada, le visage ou l’image de Jésus n’est pas d’abord l’image d’un sauveur, car l’homme ne saurait avoir un sauveur extérieur à lui-même. Il doit assurer son propre salut par ses propres forces et ses propres mérites. Phra Buddhathadsa Bikkhu, un moine de Thaïlande qui connaissait bien la Bible et qui a eu une réelle influence en Thaïlande, parlait du salut en termes particulièrement clairs : “La souris trouve son salut dans son trou. Le chrétien trouve son salut dans le Christ Dieu. Mais le bouddhiste trouve son salut en lui-même.” C’est dire clairement que le chrétien n’est pas encore vraiment libéré puisqu’il a encore besoin d’un autre, de Dieu, pour assurer son salut. Jésus peut donc être perçu comme celui qui montre le chemin, qui enseigne une morale, mais il ne saurait être celui qui donne le salut. Présenter Jésus comme Sauveur n’est donc pas un visage immédiatement signifiant pour les bouddhistes Theravada.

Dans la pratique, les bouddhistes qui veulent obtenir le salut multiplient d’abord les actes méritoires. Il s’agit d’accumuler les mérites : offrandes aux bonzes, offrandes à la pagode, aide aux pauvres, etc. En ce sens là, la religion chrétienne en Thaïlande s’est peut-être déjà inculturée !. Nos chrétiens cherchent souvent d’abord à acquérir des mérites : participer à la messe, multiplier les dévotions, faire des dons à l’Eglise et aux pauvres, etc. Mais cela correspond-il vraiment au “visage évangélique de Jésus” ? Ne devrait-on pas renouveler à la fois notre pratique et notre catéchèse pour que puisse apparaître le “visage de Jésus-Sauveur” ?

Expériences récentes au Cambodge et en Thaïlande

Au Cambodge, depuis que le pays connaît une certai-ne ouverture et que l’Eglise peut travailler librement, après le temps du génocide de Pol Pot et la première dictature de Hun Sen, il se trouve que des familles entières, voire des villages bouddhistes se tournent vers l’Eglise catholique. Après les très dures souffrances qu’ils ont dû endurer, ils viennent chercher dans la foi chrétienne un soutien et une espérance qu’ils ne trouvent pas dans le bouddhisme. L’expérience de la souffrance les ouvre vers une recherche d’un Sauveur et ils sont nombreux à venir se présenter pour être accueillis dans l’Eglise catholique.

En Thaïlande, où la situation sociale a beaucoup évolué et où l’impact de la mondialisation et du matérialisme est très fort, on trouve aussi des bouddhistes qui, un peu isolés de leurs villages ou de leurs communautés bouddhistes d’origine, vivant dans les banlieues des grandes villes, recherchent quelque chose qui puisse à nouveau leur donner une espérance et un sens à leur vie. Certains bouddhistes prennent un temps important, lors des week-ends, pour aller prier et méditer dans les pagodes. Mais certains d’entre eux se tournent aussi vers l’Eglise et viennent demander une instruction chrétienne. Ici, c’est l’expérience d’un monde matériel sans issue qui les pousse à la recherche d’un Sauveur, ou du moins d’une réalité qui leur permette de trouver à nouveau une raison d’espérer.

Ces deux expériences nous montrent que les hommes et les femmes de notre XXIe siècle sont en recherche et ont besoin de découvrir un nouveau visage du Christ Sauveur qui puisse donner un sens à leur vie. Il y a là un défi pour l’Eglise catholique qui nous invite à prendre conscience de ce que vivent les hommes qui nous entourent et à savoir leur présenter un visage du Christ qui puisse répondre à leur attente et apparaître en vérité comme Sauveur et Libérateur. Peu importe le nombre ! Ce qui compte avant tout, c’est qu’on soit à même de présenter un visage du Christ qui réponde aux besoins profonds des hommes de notre temps et de notre société.

En guise de conclusion

Les réflexions et échanges lors de ce colloque du Bureau des questions théologiques ont été certainement très intéressants et positifs. Il est important pour l’Eglise de prendre conscience de ce que les gens vivent dans les divers pays d’Asie, les diverses cultures et religions. Il est sans doute intéressant de découvrir dans ces cultures et ces religions des éléments qui ouvrent sur divers “visages asiatiques du Christ Mais il ne faudrait pas que notre réflexion en reste au pur plan théorique. Ce qui importe surtout, c’est de voir comment le visage du Christ que nous présentons répond aux attentes, conscientes ou non, des hommes et des femmes de notre temps et de nos divers pays. C’est dans la mesure où nous serons capables de présenter un visage vivant de Jésus Christ Sauveur et Fils du Père que le Christ prendra véritablement un visage asiatique, enraciné dans ce qui fait la vie, les souffrances et les joies de nos peuples.