Eglises d'Asie

Pour beaucoup, en refusant de devenir Premier ministre, Sonia Gandhi manifeste un désintéressement rare chez les hommes politiques

Publié le 18/03/2010




“J’ai toujours été certaine que si je me trouvais dans la situation où je me trouve aujourd’hui, je suivrais la voix de ma conscience. Aujourd’hui, cette voix me dit que je dois humblement décliner ce poste” (1). En prononçant cette phrase, le 18 mai dernier, devant les parlementaires du Parti du Congrès, Sonia Gandhi, Indienne d’origine italienne, plongeait une partie de la population de l’Inde dans la stupéfaction. Elle refusait, en effet, de prendre la tête du nouveau gouvernement, un poste qui lui revenait après la victoire de son parti aux dernières élections parlementaires. Les jours précédents, le Parti du Congrès et ses alliés l’avaient élue comme dirigeante de l’Alliance progressive unie, formation de 330 députés qui constituent désormais la nouvelle majorité de la Lok Sabha (‘Conseil du peuple’), la chambre basse du parlement, formée de 543 membres. Après avoir discuté du nouveau gouvernement avec le président de la République indienne, elle a annoncé à son parti que des raisons de conscience l’empêchaient d’assumer cette responsabilité. Les appels répétés et insistants des membres de son Parti ne l’ont pas fait revenir sur sa décision et c’est finalement Manmohan Singh, un économiste entré en politique, qui a été nommé Premier ministre.

Le premier étonnement passé, une imposante avalanche de louanges s’est abattue sur la belle-fille d’Indira Gandhi. Certaines furent dithyrambiques telle celle d’un membre du Congrès, K. Natwar Singh, qui a déclaré le 20 mai que “dans l’histoire, il est donné à peu de gens d’atteindre l’immortalité au cours de leur vie ; Sonia Gandhi fait partie de cette petite élite” (2). Se tenant sur les mêmes sommets, un éditorial de Hindoustan Times écrivait que le désistement de Sonia Gandhi a été “l’un des moments les plus extraordinaires de l’histoire de l’Inde et peut-être de n’importe quelle démocratie parlementaire”.

Bien qu’avec plus de discrétion, un certain nombre de dirigeants d’Eglise n’ont pas ménagé leur admiration pour le désintéressement manifesté par Sonia Gandhi en cette circonstance. Le P. Babu Joseph, porte-parole de la Conférence épiscopale, a fait remarquer que le poste de Premier ministre lui avait été présenté sur un plateau et qu’en le refusant, elle avait montré que les objectifs de sa lutte politique n’étaient pas des bénéfices personnels mais les valeurs démocratiques et laïques. Le P. Paul Thelakat, porte-parole de l’Eglise syro-malabare, a, quant à lui, particulièrement apprécié le respect de la veuve de Rajiv Gandhi à l’égard de ses adversaires. Pour le secrétaire général de l’Eglise (protestante) du Nord de l’Inde, Sonia Gandhi, en consentant à ce suprême sacrifice, a gagné l’attachement sentimental des Indiens à sa personne. Dans les milieux chrétiens, les jugements entendus sont pour la plupart élogieux. On lui sait gré d’avoir montré que les valeurs morales sont plus importantes que le pouvoir politique. Pour d’autres, elle a surpris les Indiens en mettant en cause l’image du politicien prêt à tout, y compris à la concussion et au meurtre, pour gagner le pouvoir (3).

La surprise n’a pas été moins vive dans les rangs de l’ancienne majorité qui se préparait à combattre la candidature au poste de Premier ministre de celle à qui l’extrême droite hindouiste reprochait d’être une étrangère. Sonia Gandhi, née en Italie s’était trouvée introduite dans les affaires politiques indiennes par son mariage. Son mari, Rajiv Gandhi, fils d’Indira Gandhi, fut un temps Premier ministre du pays avant d’être tué par l’explosion d’une bombe en 1991. Le président national du Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP) avait lancé une campagne nationale pour s’opposer à l’accession de Sonia Gandhi au poste de chef du gouvernement. “Ce serait un malheur, disait-il, si une femme d’origine étrangère dirigeait une nation de plus d’un milliard d’habitants.” Le BJP et ses alliés avaient prévu de boycotter la cérémonie de prestation du serment.