Eglises d'Asie

DEUX ANS APRES L’INDEPENDANCE, LE TEMPS DES DESILLUSIONS

Publié le 18/03/2010




Officiellement, c’était un jour de fête, mais il y avait comme un vague sentiment de pessimisme dans l’air le 20 mai dernier à Dili lors des cérémonies qui ont marqué le deuxième anniversaire de l’indépendance du Timor-Oriental. Les Nations Unies avaient prévu de se retirer complètement de Timor à cette date, mais elles ont modifié leurs projets du fait de l’instabilité politique continue et de la fragilité de la jeune démocratie. L’ONU a cependant décidé et mis en ouvre une réduction plus que conséquente de ses forces stationnées sur place. Les effectifs de la “Mission d’assistance des Nations Unies au Timor-Oriental” (UNMISET) ont ainsi été réduits de 2 000 hommes à moins de 700 hommes, dont 477 soldats.

Comparé à 1999, le contraste est frappant lorsque 3 500 hommes armés chargés du maintien de la paix sont entrés dans le territoire pour mettre fin à une frénésie de violence orchestrée par l’Indonésie, après les élections pour l’indépendance du mois d’août, s’appuyant sur un contingent de civils chargés de construire une nation à partir de rien.

Le nouvel UNMISET est la quatrième mission des Nations Unies au Timor-Oriental, et elle est dirigée par Sukehito Hasegawa qui était l’adjoint depuis juillet 2002 du chef de mission sortant, Kamalesh Sharma. Des Timorais de l’Est sont désormais pleinement responsables des forces de police et de l’armée du Timor-Oriental ; ils ont remplacé les hommes des Nations Unies mais ont le sentiment de devoir se débrouiller tout seuls.

Tristes réalités

Alors que le personnel des Nations Unies et les journalistes quittent Dili après les festivités de l’anniversaire, les résidents sont confrontés aux tristes réalités de la vie d’après l’indépendance. Les ventes de grilles de fer pour les fenêtres et les portes explosent, nourries par des rumeurs d’instabilité, tandis que les rédactions internationales relèguent le Timor-Oriental au rang de province indonésienne, en demandant à leurs correspondants basés à Djakarta de suivre à l’occasion l’actualité est-timoraise.

Deux questions dominent l’ordre du jour local : la qualité du leadership politique, la controverse sur les ressources pétrolières, et la justice pour les victimes des violations des droits de l’homme.

Les élections ne sont pas prévues avant 2006. Le Fretilin, parti au pouvoir, a gagné les premières élections libres du pays en août 2001 avec 58 % des votes, alors que le Parti démocratique est arrivé péniblement second avec seulement 8 %. Le vote consistait à élire pour une durée d’un an le parlement chargé de rédiger la Constitution, et ensuite les élections officielles devaient avoir lieu.

Sous l’impulsion des Nations Unies, les partis ont signé un engagement préélectoral en vue de former un gouvernement d’unité nationale quel que soit le résultat du vote, mais quand le dirigeant du Fretilin, Mari Alkatari, est devenu Premier ministre, il s’est opposé aux demandes du délégué des Nations Unies, Sergio Vieira de Mello (qui est mort à Bagdad l’année dernière dans un attentat à la bombe), de constituer le cabinet convenu regroupant tous les partis.

Les Nations Unies ont de nouveau dû s’effacer quand le Fretilin s’est ultérieurement servi de sa majorité pour insérer une clause dans la nouvelle constitution prolongeant de cinq ans le parlement élu. (Lors d’une cérémonie commémorative en hommage à Sergio Vieira de Mello, le Premier ministre a récemment révélé qu’ils s’étaient violemment opposés à propos de ces questions.)

Pour les membres de l’opposition comme Mario Carrascalao, dirigeant du Parti social démocrate, la source des maux de la jeune démocratie vient de ces échecs des Nations Unies – mais l’explication est un peu courte. La popularité du Fretilin réside principalement dans la reconnaissance des électeurs ruraux envers son rôle majeur dans la lutte pour l’indépendance et les membres des partis de l’opposition se montrent aujourd’hui bien réticents à quitter le confort de Dili pour contester la suprématie du Fretilin. Ils l’accusent de corruption et de répression à l’égard des opposants politiques, mais proposent peu d’alternatives crédibles.

Le rôle de gardien des libertés est dévolu au président Xanana Gusmao qui ne cesse de s’opposer aux pratiques anti-démocratiques, mais répète à qui veut l’entendre qu’il quittera la politique à la première occasion.

Le conflit avec l’Australie à propos des frontières maritimes et des revenus de la mer de Timor (qui ont commencé à se déverser à partir de 2000 et représentent 32 millions de dollars dans le budget actuel de l’Etat) a eu tendance à réunir les différents acteurs de la scène politique est-timoraise dans une cause commune nationale, pour mieux détourner l’attention des défaillances du gouvernement. Sukehiro Hasegawa ne se laisse pas démonter par le violent débat. “Je crois que les deux gouvernements sauront trouver un terrain d’entente a-t-il déclaré à Asia Times online.

L’autre question concernant l’avenir est le passage en jugement des individus responsables du climat de violence de 1999, pendant le retrait de l’armée indonésienne qui a embrasé le territoire de Timor. Dans le cadre d’un système bicéphale mis en place par les Nations Unies à l’époque, une cour spéciale à Djakarta devait juger les citoyens indonésiens, tandis qu’à Dili, la “Serious Crimes Unit” (SCU) aurait organisé des procès où auraient siégé des juges internationaux.

Cinq ans ont passé et les observateurs considèrent que le système est un échec. Alors que la plupart des officiels indonésiens déférés devant la cour de Djakarta ont été acquittés ou très légèrement condamnés, la SCU a travaillé sur 82 dossiers impliquant 369 personnes, dont la majorité est constituée de citoyens indonésiens que l’Indonésie refuse d’extrader (y compris le général Wiranto, chef de l’armée au moment des événements d’août-septembre 1999 et aujourd’hui candidat à l’élection présidentielle de juillet prochain). Le résultat est que les miliciens du Timor, acteurs manipulés de ces crimes, purgent des peines de prison de longue durée tandis que leurs commanditaires sont libres.

Dans un rapport au Conseil de Sécurité du 29 avril, le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a fait allusion au fait que les Nations Unies pourraient envisager des alternatives à long terme, comme un tribunal pénal international, hypothèse vivement soutenue par la population est-timoraise mais qui n’est pas bienvenue dans les pays désireux de plaire à Djakarta. Kofi Annan a toutefois obtenu des fonds pour que les procureurs de la SCU continuent leur travail ; l’aboutissement de certains cas est attendu pour bientôt mais sans solution sérieuse d’ensemble.

Doutes et “optimisme réservé”

“Je sais que notre police et notre armée sont techniquement capables de garantir notre sécurité, a déclaré le Premier ministre Mari Alkatari, à la cérémonie du 20 mai dernier, mais sommes-nous capables de nous en sortir avec toutes ces pressions exercées sur nous ?”

Le président Gusmao a répertorié les travers des institutions naissantes du pays, bien que son message final a été que cette nation instable saurait vaincre ses problèmes. Il a parlé du manque de professionnalisme de la justice, de ressources techniques défaillantes au sein du parlement et d’un service public ne procurant pas une administration satisfaisante. Il a décrit la corruption et “le comportement policier de la politique” qui s’apparente aux pratiques en cours sous les 24 années de l’occupation militaire indonésienne – critiquant le récent licenciement par le gouvernement, dominé par le Fretilin, de fonctionnaires en raison de leur participation à des manifestations organisées par l’opposition.

Le pessimisme des dirigeants du Timor-Oriental a fait écho au rapport inhabituellement critique de Kofi Annan au Conseil de Sécurité le 29 avril. Le secrétaire général de l’ONU a demandé au Conseil de Sécurité une prolongation d’un an de l’UNMISET, demande partiellement accordée, le Conseil ne votant qu’une rallonge de six mois, renouvelable une fois. Kofi Annan a critiqué la qualité de la nouvelle armée, disant qu’elle était “confrontée à de graves problèmes institutionnels, incluant une définition piètrement comprise de son rôle, un moral bas, un respect bien flou de la discipline et de l’autorité, une formation insuffisante des effectifs et des relations non clarifiées avec les anciens combattants 

Le malaise affectant les rangs militaires est devenu évident en janvier dernier lorsque les soldats des Forces de Défense du premier bataillon du Timor-Oriental ont semé le trouble dans la ville de Laspalos où ils sont basés, et ont attaqué le commissariat de police. Ce fut une explosion de ressentiment envers les forces de police, ressentiment qui mijotait sous la surface depuis la création des deux forces. Le secrétaire général a mentionné les troubles mais il n’a pas non plus épargné la police, en se référant à “des rapports inquiétants concernant l’utilisation excessive de la force, les agressions, l’utilisation inconsidérée des armes à feux, les activités criminelles, les pratiques corrompues et les violations des droits de l’homme 

Il a parlé de la situation potentiellement déstabilisante sur la frontière avec le Timor occidental, où 16 000 réfugiés, partiellement contrôlés par des milices dans les camps, ont résisté aux tentatives de rapatriement par le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR). Il a ajouté que les engagements non tenus de l’ONU quant au jugement des responsables des violences de 1999 accroissent le sentiment d’insatisfaction de la population est-timoraise.

Le nouveau responsable des Nations Unies à Dili, Sukehiro Hasegawa, n’est aucunement découragé par ces problèmes. Il a servi dans des lieux sensibles comme la Somalie et le Rwanda, et connaît bien les dirigeants du Timor-Oriental. Il a récemment travaillé étroitement avec Xanana Gusmao sur un ambitieux projet financé par le Japon pour offrir une formation professionnelle à d’anciens membres de la guérilla. “Nous devrions être fiers de ce que nous avons accompli, a déclaré Sukehiro Hasegawa à Asia Times Online. Nous nous sommes concentrés sur le renforcement d’une bonne administration, mais nous allons maintenant nous concentrer sur la justice.” Il a ajouté que les Nations Unies allaient nommer treize juges internationaux pour travailler aux côtés des juges du Timor-Oriental afin de désengorger le système surchargé, quantité de gens accusés de crimes croupissant en prison dans l’attente d’un jugement.

Pour certains, les problèmes du Timor-Oriental, cinq ans après l’intervention des Nations Unies, ont autant à faire avec les erreurs des Nations Unies qu’avec le sous-développement de Timor ou les effets négatifs de deux décennies d’occupation militaire indonésienne. Mario Carrascalo a qualifié de terne l’intervention des Nations Unies. “Les gens des Nations Unies ont gagné des montagnes d’argent, alors que la population du Timor-Oriental était affamée, a-t-il déclaré. Le retrait partiel des troupes est prématuré car la frontière n’est pas sûre. Pire encore, la démocratie se meurt – nous sommes sur la voie d’un régime autoritaire.” “Je veux être optimiste, mais cela ne peut être qu’un optimisme réservé a-t-il ajouté.

Même si certains habitants du Timor-Oriental sont tristes de constater que les Nations Unies sont réduites à une minuscule force ayant un rôle de conseil et reconnaissent son rôle de garant de la liberté, d’autres ressentent peu de changement. Tous savent qu’ils doivent finalement s’en sortir seuls, mais l’année prochaine est pleine d’incertitudes. Elle pourrait déterminer si le Timor-Oriental deviendra une vraie démocratie, et s’il sera rendu justice aux victimes des atrocités de 1999.

Lors de son allocution pour le deuxième anniversaire de l’indépendance, Xanana Gusmao a reconnu que l’époque des temps difficiles n’était pas révolue. “Notre ardeur au combat. devrait continuer à éclairer notre marche en avant, a-t-il déclaré, et renforcer notre courage pour affronter les difficultés.”