Eglises d'Asie

LES FAUX-SEMBLANTS DU COUPLE NATIONALISME – ISLAM

Publié le 18/03/2010




Dans un article publié le 30 décembre 2003 dans le Jakarta Post, intitulé “Les rivalités idéologiques minent la conduite de la politique nationale j’écrivais que “les lignes de partage idéologiques de la scène politique indonésienne en 2004 ont de grandes chances de rester marquées par l’opposition du couple nationalisme – islam”. Les coalitions de partis forgées par les candidats à la présidentielle du 5 juillet prochain peuvent sembler aujourd’hui comme aller dans le sens contraire, c’est-à-dire dépasser cet antagonisme – c’est du moins ce que, au moins tacitement, les candidats semblent admettre.

Les candidats, qui se posent comme étant des “nationalistes ont choisi pour former le “ticket présidentiel” (président et vice-président) des personnalités “islamiques”. Et ceux des candidats qui se disent “islamiques en particulier les dirigeants des partis fondés explicitement sur l’islam, ont choisi comme co-listiers des personnalités qu’ils considèrent comme étant des “nationalistes ces derniers pouvant pour autant être de religion musulmane.

Ainsi, par exemple, la présidente sortante, Megawati Sukarnoputri, qui se représente sous la bannière du Parti démocratique indonésien de lutte (PDI-P), a choisi pour co-listier Hasyim Muzadi, responsable de la plus importante organisation musulmane de masse du pays, la Nadhlatul Ulama (NU). De son côté, l’actuel vice-président, Hamzah Haz, qui représente les couleurs du Parti du développement uni (PPP), parti fondé sur un ordre du jour islamique, a choisi comme co-listier Agum Gumelar, général à la retraite et ancien ministre des Communications. Membre d’aucun parti ou proche d’aucune organisation islamique, l’ex-général semble devoir être placé dans la catégorie des “nationalistes”. Amien Rais, qui se présente devant les électeurs au nom du Parti du mandat national (PAN), un parti “islamique” comme son nom ne l’indique pas, a choisi comme co-listier Siswono Yudohusodo, président de l’Association des paysans d’Indonésie (HKTI), Amien Rais considérant ce dernier comme un “nationaliste”.

Dans cette présentation, il ne faut pas oublier les deux autres anciens généraux qui briguent la présidence, Wiranto pour le Golkar et Susilo Bambang Yudhoyono pour le Parti démocratique. Le premier a choisi de faire équipe avec Solahuddin Wahid, un haut responsable de la NU, et le second avec Jusuf Kalla, membre autoproclamé de la NU pour Célèbes-Sud.

Ces alliances “nationaliste-islamique” ne doivent pas cacher les fausses promesses dont elles sont porteuses et tromper l’électeur moyen, une grande partie de l’électorat manquant de formation et n’étant pas familier avec les arcanes subtiles du jeu politique national. Il paraît de plus douteux que les candidats eux-mêmes saisissent toutes les implications des alliances qu’ils modèlent entre nationalisme et islam. On peut penser que ces alliances ont été forgées dans l’unique but d’engranger un maximum de votes, et donc d’exploiter l’ignorance d’un électorat peu formé et politiquement naïf.

En premier lieu, ce qui est généralement placé sous le vocable “nationalisme” en Indonésie ne correspond pas à ce qui est compris sous ce mot là dans le monde moderne de l’après-seconde guerre mondiale. Le nationalisme a été façonné par des siècles de colonisation hollandaise et est devenu le fondement de notre lutte victorieuse pour la souveraineté. En conséquence, il est compréhensible qu’aujourd’hui, les Indonésiens tendent à se montrer nationalistes principalement lorsqu’ils se sentent bouillir de colère, de frustration ou même de haine dès lors qu’ils se sentent victimes d’une “ingérence étrangère (occidentale)” trop grande.

Il faut ajouter à cela que le terme de nationalisme devient de plus en plus vague. Différents types de nationalisme sont aujourd’hui défendus par des partis politiques fort différents et nombreux. Tous se réclament du nationalisme mais au-cun ne définit précisément le terme et certains entretiennent même avec la notion une relation douteuse. On peut citer la version à tendance nationaliste du “marhaenisme” de Sukarno, une idéologie aux accents prolétariens dont même les filles de l’ancien président, y compris Megawati, ne s’accordent pas sur la signification ; chacune affirme être la véritable héritière du “sukarnoisme” et incarner donc la vraie légitimité pour son parti.

Enfin, l’opposition entre nationalisme et islamisme donne l’impression qu’un dirigeant musulman n’est pas et ne peut pas être un nationaliste. Et, de fait, les dirigeants des partis fondés sur l’islam paraissent très attentifs non seulement à apparaître comme suffisamment islamiques aux yeux de l’opinion publique mais aussi à ne pas sembler trop proches ou pas du tout proches des idéaux nationalistes.

De la même façon, il semble normal qu’un dirigeant nationaliste, même s’il est de religion musulmane, n’est pas et ne doit pas être perçu comme islamique. Ainsi Wiranto et Susilo Bambang Yudhoyono, tous deux de religion musulmane mais classés dans la catégorie des nationalistes, ont l’un et l’autre choisi des personnalités de la NU pour la course à la présidence, craignant sans doute de ne pas apparaître assez islamiques.

On peut penser que le progrès de la démocratisation dépend en grande partie du niveau et de la qualité de la formation non seulement du personnel politique mais aussi de l’opinion publique en général. En Indonésie, troisième pays le plus peuplé de la planète, il n’est pas exagéré de dire que la qualité de l’éducation est médiocre, jusque et y compris au sein des élites politiques. Il est donc très compréhensible que beaucoup soient perdus face à ces phénomènes idéologiques. Même les hommes politiques ne savent pas toujours où ils en sont.

On peut se demander si l’essence de l’alliance “nationalisme – islamisme” n’est pas une tentative consciente ou inconsciente d’éviter la confrontation “laïc – non-laïc” qui a marqué la vie politique indonésienne avant même la proclamation de l’indépendance. Malgré tout, il est entendu qu’il est contraire aux usages en Indonésie d’appeler un chat un chat et qu’en faisant ainsi, nous paraissons essayer d’éviter l’éclatement de conflits ouverts.

Lors d’un discours prononcé à l’université Gadjah Mada, Susilo Bambang Yudhoyono a qualifié la base idéologique du Parti démocratique de “nationalisme religieux” tandis que dans l’ouvrage Bambang Yudhoyono, Sang Demokrat, cette notion pouvait être comprise comme n’étant “pas laïque”. Si son “nationalisme” englobe les principes démocratiques, alors son “nationalisme religieux” présente une contradiction dans les termes. Et sa relation apparemment étroite avec le Parti de l’étoile et du croissant (PBB), parti qui milite ouvertement pour l’introduction de la charia dans la vie de la nation “par des moyens constitutionnels tendrait à corroborer cela.

Malgré tout, en continuant à se maintenir dans l’illusion en refusant d’éliminer les racines du conflit, à l’image d’une autruche enfouissant sa tête dans le sable pour prétendre que tout va bien, la nation se prépare à être secouée par des conflits sporadiques, locaux et horizontaux. Des conflits qui se déclenchent sous un prétexte ou sous un autre et qui finissent toujours par prendre, d’une façon ou d’une autre, une teinte religieuse – à la manière d’un cancer, rongeant peu à peu la vie de la nation.