Eglises d'Asie

UN ENTRETIEN AVEC Mgr CHIA, ARCHEVEQUE DE SINGAPOUR

Publié le 18/03/2010




Ucanews : Parlez-nous de la vie de l’Eglise de Singapour ?

Mgr Nicholas Chia : D’une façon générale, je dirais que l’Eglise à Singapour est plutôt aisée. L’argent n’est pas véritablement un problème. Les fidèles sont très généreux. A chaque fois que nous faisons appel à eux, comme lorsque la Société Saint Vincent de Paul quête pour les pauvres chaque mois ou bien pour telle ou telle cause particulière, la réponse est généreuse, les dons sont importants. Mais s’il s’agit pour les fidèles de s’occuper spontanément des pau-vres, les choses sont différentes. Les gens sont généralement aveugles aux conditions de vie et aux difficultés des personnes telles que les immigrés. Certains groupes et associations s’occupent de ces personnes mais les gens en général ne cherchent pas à en faire plus, en un certain sens. Comment pouvons-nous aider les gens à réellement changer leur cour, à faire qu’ils s’intéressent aux besoins des autres et que leurs yeux soient ouverts aux besoins des autres ?

Quel est le principal défi auquel l’Eglise de Singapour doit faire face ?

La tendance au matérialisme est toujours présente, même au sein des familles. La vie de famille se désintègre dans une certaine mesure car les parents travaillent pour gagner toujours plus. Parce que la volonté de gravir les échelons de la société est très forte, il faut toujours plus d’études, de travail au-delà des horaires normaux et de formation. Ils ne passent pas assez de temps en famille ou bien ne sont pas proches de leurs enfants. De plus, ils gâtent leurs enfants en compensant le temps qu’ils ne peuvent pas leur donner par un surcroît de biens matériels. Certaines familles se reposent énormément sur leurs employées de maison parce que les enfants sortent de la maison très tôt pour aller à l’école lorsque leurs parents dorment encore. A leur tour, les enfants se couchent tôt et les parents, eux, rentrent tard. Au final, ils n’ont que très peu ou pas du tout de temps pour se voir. Enfin, notre système éducatif est très, très compétitif. L’accent est mis et remis sur l’étude, l’étude, l’étude. On ne voit jamais la fin du tunnel. En un sens, les enfants n’ont pas de temps pour vivre leur enfance, accaparés qu’ils sont par l’étude d’une seconde langue vivante, les cours particuliers et d’autres genres de leçons (informatique ou autre).

Quelle est la réponse de l’Eglise à cette situation ?

Nous faisons de notre mieux pour voir comment nous pouvons former les gens. Les catholiques sont très pratiquants mais sont-ils catholiques à 100 % ? Voilà une autre question : être réellement un catholique catholique. L’état d’esprit des gens doit se transformer. Comment y parvenir ? Il ne faut pas cacher que la tâche est très difficile. Nous essayons d’éduquer les gens, qu’ils connaissent mieux ce que veut dire leur foi. Mais notre enseignement de la foi est occidentalisé – tout simplement du fait que notre société est en partie occidentalisée. Notre culture est faite d’un tel mélange, empreinte de confucianisme. Nombreuses sont les personnes à ne pas en avoir conscience. L’Eglise essaye de voir comment les catholiques peuvent être mieux formés, à ce que chacun comprenne qui est le Christ pour lui et ce que le Christ devrait être pour lui.

Quelle est la direction que l’Eglise de Singapour a prise aujourd’hui ?

Nous essayons d’aider les gens, les fidèles à se redresser et à savoir où sont leurs responsabilités. Nous mettons l’accent sur les Ecritures, pour qu’ils connaissent mieux les Ecritures par eux-mêmes. Aujourd’hui, nous en sommes à mettre sur pied ces conseils pastoraux de paroisse, où un plus grand nombre de personnes dans la paroisse est impliqué. Nous sommes en plein dedans. Par le passé, nous avons déjà tenté cela à plusieurs reprises mais ces conseils se résumaient à simplement une grande réunion de plus et puis plus rien ! Ce qui est important, c’est de concrétiser, de mettre en mouvement.

L’Eglise à Singapour a-t-elle suffisamment de vocations ?

Nous avons consacré beaucoup d’efforts à cet aspect et les résultats sont là. Des personnes témoignent de l’intérêt mais nous rencontrons deux obstacles. L’un est le fait que la taille des familles se réduit – un ou deux enfants, voire pas d’enfant du tout. Auparavant, on voyait des familles avec cinq, six, huit ou dix enfants. L’autre obstacle, ce sont les distractions. Les jeunes se voient proposer tant de distractions qu’ils n’ont plus beaucoup de temps à consacrer à leur vie spirituelle. Désormais, nous avons des retraites en vue de la vocation, avec des réunions par la suite qui assurent un suivi. Ceux qui se montrent intéressés sont dirigés vers certains prêtres spécialement responsables de ce ministère.

Une autre difficulté tient à la tendance au matérialisme. Beaucoup d’attention est portée au matériel, à l’édification, à l’accumulation de ce qui est matériel. Peu de temps est dévolu à former les gens, à amener les personnes à s’engager véritablement. Cet aspect de la pastorale n’a sans doute pas été assez développé. Singapour a atteint un niveau de vie élevé et même les prêtres peuvent vivre une vie très confortable. Mais il y a des conséquences à cet état de fait, sur la question de l’exemple donné, du dévouement, du détachement. Tous ces points ne doivent pas être perdus de vue.

La situation est-elle la même pour le clergé séculier et le clergé régulier ?

S’agissant des vocations à la prêtrise au sein du clergé diocésain, le problème n’est pas très aigu en ce sens que nous sommes un petit pays et que chaque paroisse a, au moins, deux ou trois prêtres. Mais certains vieillissent et nous devons penser au renouvellement. Pour les vocations religieuses chez les frères ou les vocations religieuses féminines, il y a très peu de vocations. Ce sont des races en voie d’extinction !

Souhaitez-vous commenter le récent procès du P. Kang ?

Ce procès a été initié par les autorités, pas par l’Eglise et la chose la plus triste est qu’il ne semble pas vouloir exprimer un quelconque repentir. Il dit qu’il est innocent ; nous devons voir ce que nous pouvons faire pour lui, d’un point de vue pastoral. Mais je vois un bien sortir de tout ceci, en ce sens que cela nous a amenés à être plus attentifs aux questions financières. Il y a eu un scandale mais les gens n’ont pas perdu la foi parce qu’ils ont réalisé, après tout, que Jésus avait douze apôtres et que Judas était l’un d’eux. Certains critiquent l’Eglise car ils pensent que c’est l’Eglise qui a sorti l’affaire et ils pensent que cela aurait dû être réglé par l’Eglise elle-même. Mais ils ne connaissent pas la situation.

Le P. Kang affirme qu’il a fini par plaider coupable pour le bien de l’Eglise mais ce n’est pas vrai. Si dès le départ il avait voulu épargner de l’embarras à l’Eglise, il aurait immédiatement plaidé coupable mais il ne l’a pas fait. Quoi qu’il en soit, nous voulons éviter de polémiquer avec lui car, si nous disons quelque chose, il dira quelque chose d’autre et cela n’aura pas de fin. Laissons les choses en l’état.

C’est difficile d’être archevêque ?

Etre prêtre, c’est beaucoup plus facile, beaucoup moins de responsabilités. De plus, lorsque vous êtes en paroisse, vous rencontrez plus de gens directement. En tant qu’évêque, vous allez de place en place, vous rencontrez les gens épisodiquement, et finalement vous ne parvenez pas à bien connaître les gens. J’ai un bureau de consulteurs pour m’aider et je fais de mon mieux pour entendre le maximum de suggestions, d’opinions et nous travaillons tous ensemble. Non pas du haut vers le bas, à la façon d’une pyramide, mais de manière circulaire, avec beaucoup de discussions et d’implication des laïcs. C’est ainsi que je vois les choses.