Eglises d'Asie

LE SORT PEU ENVIABLE DES EMPLOYEES DE MAISON EN ASIE

Publié le 18/03/2010




Pour Nirmala Bonat, dont la “maison” était une cabane au sol en terre battue pauvrement éclairée par une lampe à pétrole, la proposition d’un travail à l’étranger avait quelque chose d’irrésistible. Employée de maison, elle gagnerait plus que l’équivalent des 15 dollars qu’elle parvenait difficilement à obtenir avec son job de serveuse dans un restaurant, en Indonésie. Avec le salaire qui lui était promis, elle pourrait envoyer de l’argent pour soutenir sa famille.

Le rêve n’a malheureusement pas duré longtemps. Comme nombre de ses semblables envoyées à l’étranger par le biais d’agences de placement dûment enregistrées auprès des autorités, comme beaucoup des femmes pauvres employées comme domestiques au service de foyers issus des classes moyennes de plus en plus nombreuses des pays de la zone Asie et du Moyen-Orient, Nirmala Bonat, âgée de 19 ans, a été sérieusement maltraitée.

Employée par un couple de Kuala Lumpur, Nirmala Bonat rapporte que sa patronne lui a appliqué à de nombreuses reprises un fer à repasser chaud sur le dos et les seins et l’a frappé au visage. L’appartement du couple, situé au 25e étages d’une tour d’habitations de la capitale malaisienne, était dans un autre univers que le village isolé au bord de la forêt de la jeune fille.

Témoignant lors d’une interview organisée dans les locaux de l’ambassade d’Indonésie à Kuala Lumpur, Nirmala Bonat, dont la peau est encore fragile après les brûlures subies, témoigne encore qu’elle n’a pas été tourmentée que physiquement. Les mauvais traitements dont elle a été victime étaient également psychiques. “Je n’avais le droit de franchir la porte de l’appartement que pour sortir les poubelles raconte-t-elle.

Le sort de Nirmala Bonat a attiré l’attention le jour où elle a été trouvée en sang et sanglotant dans le hall de la tour où elle travaillait, il y a un mois de cela. Son cas jette un coup de projecteur sur les sombres aspects d’une industrie internationale très profitable, une industrie supposée être régulée par les gouvernements qui porte sur l’exportation de femmes issues de pays pauvres, principalement l’Indonésie, les Philippines, le Sri Lanka, le Bangladesh, le Pakistan et l’Inde, qui trouvent à s’employer comme domestiques.

La dernière édition du rapport annuel du département d’Etat américain au sujet du “Trafic des personnes récemment rendue publique par le secrétaire d’Etat Colin Powell, passe en revue de nombreuses formes d’abus, du tourisme sexuel au recrutement d’enfants-soldats. Les employées de maison constituent un aspect souvent oublié d’un vaste problème. Certaines d’entre elles ont été trouvées en situation de quasi-esclavage, retenues prisonnières dans les appartements où elles étaient employées, souligne ce rapport, forcées de travailler sans être payées et dans des conditions inhumaines.

Certaines personnes impliquées dans cette industrie ne disent pas le contraire, ici, à Djakarta. Selon Agustina Endang, directrice de l’agence de recrutement Agesa Asa Jay, spécialisée dans l’envoi d’Indonésiennes au Koweït, “certains employeurs pensent qu’ils achètent leur employée de maison et qu’ils ont donc le droit de la faire travailler comme une esclave”. Si la jeune femme, souvent peu alphabétisée et issue d’un village rural, ne se montre pas à la hauteur des attentes de ses patrons, alors elle est battue, témoigne Agustina Endang.

L’exportation de femmes employées comme domestiques est allée croissant ces dernières années, en particulier après la crise financière de 1997 qui a particulièrement affectée la région. Comme l’offre est devenue plus abondante, en particulier venant de pays comme l’Indonésie, la demande a crû dans les pays du Moyen-Orient tels le Koweït et l’Arabie Saoudite, ainsi que dans les pays d’Asie qui ont été moins touchés par la crise, comme la Malaisie, Singapour et Hongkong. Dans ces derniers pays, les classes moyennes peuvent se payer une employée de maison, faiblement rémunérée selon les standards locaux, pour repasser le linge, faire la vaisselle, cuisiner, faire le ménage ou bien encore laver la ou les voitures garées au parking.

Le gouvernement philippin, dont les transferts envoyés au pays par les travailleurs émigrés (environ 7 milliards de dollars par an) sont de plus en plus indispensables à l’économie locale, a passé des accords avec certains gouvernements étrangers pour que les employées de maison jouissent d’un jour de repos par semaine. Hongkong, de son côté, a cherché à réglementer le traitement des femmes au travail qui sont recrutées à l’étranger. Mais, à part ces exemples, très peu d’autres gouvernements ont entrepris quelque chose.

En Malaisie, pays relativement peu peuplé de 23 millions d’habitants, on compte officiellement 160 000 employées de maison venues d’Indonésie. Ces chiffres, qui datent de l’an dernier, sont à comparer avec ceux de 1991 : à cette date, seulement 585 domestiques indonésiennes travaillaient dans le pays. Selon la Commission indonésienne des violences faites aux femmes, pour avoir une image plus complète de la situation, il faut rajouter les quelque 100 000 Indonésiennes qui travaillent clandestinement dans le pays.

L’Arabie Saoudite est le pays qui compte le plus grand nombre de domestiques indonésiennes : environ 200 000, selon les chiffres des autorités indonésiennes. Chaque année, des cas terrifiants de maltraitance sont rapportés. Le contact entre l’employée de maison et son futur employeur est fait par l’une ou l’autre des agences de recrutement qui opèrent sur le marché. Un bon nombre fonctionne en dehors de tout contrôle public. Il existe environ 400 agences, qui vont de l’entreprise établie, ayant pignon sur rue et qui propose des formations ad hoc, à l’entité seulement formée d’un ou de quelques individus munis d’un numéro de téléphone portable. Ces 400 agences sont enregistrées auprès de l’Agence pour les ressources humaines et la transmigration, officine gouvernementale de l’Indonésie.

Selon le Centre de recherche sur l’Asie du Sud-Est, de l’Université de la ville de Hongkong, ces agences, le plus souvent, entretiennent des liens étroits avec les fonctionnaires locaux indonésiens et partagent avec eux l’argent que les employeurs situés à l’étranger versent pour recruter une domestique. Les agences de recrutement n’ont pas besoin de faire de la publicité. Elles préfèrent envoyer des recruteurs dans les villages où les femmes, telles Nirmala Bonat, sont à peine ou peu alphabétisées. Nirmala Bonat raconte qu’un homme se présentant comme un certain Henry l’a encouragé à partir travailler à l’étranger, lui disant qu’elle pourrait y gagner jusqu’à 100 dollars par mois. Selon ceux qui ont étudié le fonctionnement de ces filières, les agences contraignent parfois les femmes à s’endetter en facturant des frais très élevés pour l’obtention du passeport et le bon déroulement des procédures administratives, notamment les tests requis par les autorités dans le domaine médical, psychologique et d’aptitude professionnelle.

Les agences bien souvent omettent de dire à leurs recrues qu’elles ne seront pas payées durant les premiers mois sur place, au terme d’un accord par lequel l’agence est supposée se rembourser des frais qu’elle a engagés, tels le prix du billet d’avion. Une fois arrivée dans l’appartement où elle a été embauchée, il arrive que l’employée de maison ne soit pas payée du tout.

Après huit mois passés dans l’appartement de la famille qui l’avait embauchée à Kuala Lumpur, Nirmala Bonat, qui est originaire du Timor occidental, une des provinces les plus pauvres et les plus reculées d’Indonésie, n’a jamais été payée, rapportent les fonctionnaires de l’ambassade d’Indonésie à Kuala Lumpur.

“L’intérêt des agences de recrutement et celui du gouvernement ont la priorité sur celui des travailleurs, dit Ruth Rothenberg, une ancienne directrice de la Commission catholique internationale des migrations qui a étudié le trafic des femmes et des enfants en Indonésie. C’est comme si c’était normal et accepté que les femmes gagnent une misère tandis que tous les autres font des fortunes autour de leur travail.”

Certaines recrues ne deviennent jamais des employées de maison mais finissent dans des maisons de prostitution. Pour celles qui deviennent réellement des domestiques, un des dangers auxquels elles sont exposées est le harcèlement sexuel, voire pire. En Arabie Saoudite, depuis 1995, les histoires ne manquent pas d’Indonésiennes violées. Certaines d’entre elles ne supportent plus leur sort et leur vie. En Arabie Saoudite, six d’entre elles se sont données la mort depuis le début de l’année. Selon l’ambassade d’Indonésie à Riad, le dernier suicide remonte au 14 juin, une jeune femme s’est tuée en ingurgitant un verre de détergent. A Singapour, des domestiques indonésiennes se sont tuées en sautant des appartements où elles travaillaient, des tours d’habitations.

Certaines parviennent à échapper à un employeur maltraitant mais, à court d’argent ou de contacts sur place, il leur est difficile de trouver de l’aide ou de retourner chez elle. La publicité faite autour du cas de Nirmala Bonat a relancé les tentatives visant à réformer ce métier et ceux qui tournent autour. Des demandes ont été faites aux autorités malaisiennes en vue de renforcer les contrôles visant les agences de recrutement spécialisées dans l’importation d’employées de maison indonésiennes. Le gouvernement, nouvellement en place après les élections législatives du 21 mars 2004, a présenté des excuses à Nirmala Bonat et annoncé que Yim Pek Ha, la femme qui a battu la jeune indonésienne, sera rapidement présentée devant une cour d’assises.

En Indonésie, les changements paraissent aller plus lentement. Etant donné l’importance du taux de chômage, l’émigration de domestiques à l’étranger contribue à atténuer le problème du sous-emploi dans le pays. Pour Faiza Mardzoeki, responsable de Solidaritas Perempuan, organisation indonésienne de défense des droits des femmes, il est temps que les autorités indonésiennes agissent sur ce dossier. “Les employées de maison doivent jouir du même niveau de protection juridique que les autres travailleurs estime-t-elle.