Eglises d'Asie

Goa : des missionnaires jésuites tués au XVIe siècle sont-ils morts martyrs ou victimes de la résistance indienne à l’agression occidentale ?

Publié le 18/03/2010




Récemment à Goa, place forte du catholicisme en Inde occidentale, une proposition émanant d’un dirigeant de l’extrême droite hindouiste, a mis le feu aux poudres et suscité une controverse virulente à l’intérieur de cet Etat qui fut colonie portugaise de 1510 à 1961. Le politicien hindou a suggéré que soit enseignée dans les écoles goanaises l’histoire de la résistance de la population locale au colonialisme et à la conversion au christianisme. Bien que certains catholiques aient manifesté leur accord à cette suggestion, d’autres l’ont rejetée comme une manouvre destinée à diviser la communauté chrétienne.

La proposition a été faite par Subash Velingkar au cours d’un rassemblement organisé, le 15 juillet 2004, par des villages de l’Etat pour commémorer le sacrifice de seize de leurs ancêtres ayant perdu la vie à cause de leur opposition aux missionnaires européens au XVIe siècle. La commémoration a eu lieu à 45 km de la capitale de l’Etat, à Cuncolim, lieu où sont morts des chefs de village opposés aux Portugais. Le conflit entre hindous et missionnaires catholiques avait commencé en 1553. L’opposition la plus déclarée se manifesta dans un groupe de villages autour de Cuncolin. En 1583, cinq jésuites missionnaires ainsi que cinq catholiques locaux y furent tués. Les pères jésuites furent béatifiés en 1893 et une chapelle leur fut consacrée, tandis qu’un mémorial était élevé en souvenir des chefs de village massacrés par la suite en représailles. Au cours du rassemblement du 15 juillet, Velingkar, qui est le responsable local du groupe hindouiste Rashtriya Swayamsevak Sang (Corps national des volontaires, RSS), a exposé les faits et émis le vou que ceux-ci soient évoqués par les manuels d’histoire de Goa, aujourd’hui gouverné par le parti nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), afin que chacun sache que l’histoire de Cuncolim “a été écrite dans le sang 

Une certaine interprétation des faits tient que les chefs de village auraient été les précurseurs de la lutte de libération de l’Inde contre les puissances coloniales européennes. Ils auraient lutté sans merci pour la liberté religieuse et politique. Les partisans de cette version soulignent également que les Portugais auraient trompé les chefs de village en leur proposant des pourparlers de paix. Arrivés sur les lieux, désarmés, ceux-ci furent massacrés sur le champ. Cette version des faits est soutenue par un certain nombre d’hindous modérés. Des catholiques de renom approuvent eux aussi cette présentation des faits. Verissimo Coutinho, catholique, ancien enseignant à l’université Loyola de Chicago, responsable du sanctuaire élevé à la mémoire des chefs de village, affirme qu’il s’agit du plus haineux des crimes commis au nom du christianisme et de la civilisation occidentale. Selon lui, les vrais martyrs sont les chefs de village parce qu’ils sont morts en défendant leur foi alors que les jésuites européens profanaient les temples locaux.

Certains historiens de Goa affirment que les paysans de Goa ont massacré les pères jésuites et les chrétiens locaux pour avoir jeté des entrailles de bouf à l’intérieur d’un puits utilisé par des hindous. Certains membres du groupe catholique de l’époque auraient aussi été accusés d’avoir uriné dans un temple en signe de mépris pour ce lieu de culte. Selon eux, les missionnaires chrétiens auraient brûlé des temples et des récoltes. Ils auraient pollué le contenu de réserve d’eau en y jetant des carcasses de vache.

La version des événements généralement admise au sein de l’Eglise catholique diffère sensiblement de la précédente. Pour elle, les missionnaires jésuites étaient venus à Cuncolim pour y chercher un terrain. L’ayant trouvé, ils y avaient construit une église et planté une croix. Des paysans armés s’étaient opposés à eux et avaient tué deux d’entre eux. Ces derniers auraient prié pour leurs meurtriers à l’heure de leur mort. Deux autres prêtres auraient été frappés ensuite. L’un d’entre eux aurait survécu jusqu’au lendemain. Les paysans lui auraient promis la vie s’il acceptait de vénérer les idoles. Le prêtre ayant refusé, ses agresseurs l’auraient achevé à coups de flèches. Dès 1741, le pape Benoît XIV avait accepté d’instruire la cause de leur martyre.

Beaucoup de catholiques locaux sont persuadés que cette nouvelle querelle est simplement une tentative du RSS pour donner ses lettres de noblesse à la lutte contre les conversions au christianisme dont ils sont de fervents partisans. Un curé de paroisse local, le P. Antonio Cotta, a officiellement protesté contre la présence d’un représentant du RSS à la commémoration du 15 juillet à Cuncolim. Selon lui, les catholiques s’opposeront aux nouveaux manuels d’histoire s’ils contiennent une version biaisée des faits. Le prêtre pense que le RSS ne cherche qu’à justifier son opposition à la conversion, même au prix du meurtre de missionnaires.