Eglises d'Asie

L’ORDONNANCE SUR LA RELIGION OU COMMENT OPPRIMER LA RELIGION PAR LA LOI

Publié le 18/03/2010




Comme chacun le sait, le 18 juin dernier, le Bureau permanent de l’Assemblée nationale du Vietnam a adopté une “Ordonnance sur la croyance et la religion” comprenant six chapitres et 41 articles. Il y est stipulé que cette ordonnance entrera en vigueur le 15 novembre 2004.

En tant que croyants, nous estimons avoir le droit et aussi le devoir d’exprimer notre opinion sur cet événement, car nous constatons que cette ordonnance porte gravement atteinte aux justes intérêts des religions et des citoyens qui pratiquent une religion. Nous espérons fermement que l’Etat retire cette ordonnance pour la raison invoquée ci-dessus.

Opprimer la religion par la loi

Un examen rapide suffit à montrer qu’il s’agit là d’un instrument créé par l’Etat pour opprimer le peuple sur le plan religieux. Si l’on n’y trouve aucun déni formel des droits de l’homme et de la liberté de religion, cette ordonnance impose néanmoins que toutes les activités religieuses soient soumises au contrôle tatillon de l’Etat et relèvent entièrement de sa discrétion. En effet, la quasi-totalité des articles de l’ordonnance visent à limiter au maximum ou à rendre inopérant le droit à la liberté religieuse du citoyen, un droit naturel et fondamental reconnu par la Constitution du Vietnam comme par le droit international. Vu son contenu, il serait plus judicieux de nommer cette ordonnance “Ordonnance limitant ou neutralisant la liberté religieuse”. En effet, parmi les 41 articles du texte de loi :

– L’article premier rappelle d’emblée le principe général de la Constitution sur la religion, à savoir : “Le citoyen a le droit de jouir de la liberté de croyance et de religion et d’adhérer ou non à une religion. L’Etat garantit la liberté de croyance et de religion des citoyens. Nul ne peut porter atteinte à ce droit.” On note que, dans cet article, pas un seul mot ne limite le droit à la liberté religieuse.

– Mais des 40 articles qui suivent, hormis les quatre articles relatifs à l’application de la loi, les 36 restants – qui forment la substance de l’ordonnance – portent presque tous la marque d’une limitation du droit qui vient d’être proclamé à l’article premier. Ces 36 articles, qui couvrent pratiquement toute la gamme des activités religieuses normales des fidèles, contredisent tous, plus ou moins, non seulement l’article 1 mais aussi la politique de liberté religieuse proclamée par la Constitution. Car à peine l’article 1 vient-il de déclarer : “L’Etat garantit la liberté de croyance et de religion des citoyens. Nul ne peut porter atteinte à ce droit” qu’immédiatement les articles suivants, peu ou prou, portent atteinte à ce droit. L’article 1 vient-il de proclamer ce droit que les autres articles le vident peu à peu de sa substance jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. Nous avons ici affaire à une ordonnance totalement inconsistante et manifestement anti-constitutionnelle. Ainsi, mis à part l’article premier, l’Etat se sert-il de presque tous les autres articles de l’ordonnance pour dépouiller le citoyen de pratiquement tous ses droits à la liberté de culte. Il n’est pas exagéré de dire qu’en rédigeant et en promulguant cette nouvelle loi, l’Assemblée nationale du Vietnam a commis un acte anti-constitutionnel. C’est l’Assemblée qui a fait la Constitution, et – quelle ironie ! – c’est cette même Assemblée qui la viole ! Quelle valeur a encore la loi au Vietnam ?

En somme, la tactique perfide de l’Etat – et cela était vrai pendant les dernières décennies et le sera plus encore dans un proche avenir lorsque l’ordonnance entrera en vigueur – consiste à ne jamais arrêter quiconque pour motif religieux, car ce serait violer de façon trop flagrante le droit à la liberté religieuse. Ainsi, après avoir édicté dans le passé maints lois et décrets en la matière, l’Etat en est-il venu aujourd’hui, avec plus de solennité que jamais, à faire élaborer une nouvelle loi par l’Assemblée nationale elle-même. L’ordonnance devait être rédigée de façon à faire apparaître la quasi-totalité des activités religieuses normales et justifiées des citoyens comme des actes illégaux, afin de pouvoir arrêter, condamner et emprisonner, en se fondant sur la loi, quiconque s’adonne à une activité religieuse. Tels sont en vérité la nature, le but et le contenu de l’“Ordonnance sur la croyance et la religion” promulguée par l’Assemblée nationale le 18 juin dernier à Hanoi.

On constate certes un certain nombre de manifestations à caractère religieux qui se déroulent de façon “apparemment libre” et régulière, mais ce ne sont là que des activités que les autorités peuvent aisément contrôler : il s’agit de “montrer au monde extérieur” que le Vietnam dispose de la liberté de religion et de tromper ainsi les observateurs superficiels qui ne voient pas le fond des choses. Mais même pour ces activités-là, il faut les “déclarer” (les “faire enregistrer”) en bonne et due forme, puis obtenir une “autorisation ou un accord préalable” des autorités. L’ensemble du texte de l’ordonnance contient 18 fois les termes déclaration/enregistrement ou demande d’autorisation, 21 fois les termes accorder, reconnaître, autoriser ou être autorisé. A noter que, jusqu’à présent, faire une déclaration ou un enregistrement ne veut pas dire qu’il suffit d’informer les autorités de ce que l’on va faire puis de prendre l’initiative d’agir, cela signifie bien qu’il faut attendre d’obtenir l’approbation avant d’agir. Bien que les verbes “faire enregistrer” et “demander l’autorisation” soient deux termes distincts, dans la pratique ils sont parfaitement synonymes. C’est ainsi que tout au long des 41 articles, on compte pas moins de 39 termes dont le contenu signifie “demander l’autorisation” ou “accorder l’autorisation”. C’est pourquoi, la liberté de religion comprise au sens de cette ordonnance n’est qu’une liberté sous condition, une liberté octroyée. Les expressions “à condition de demander l’autorisation ou à condition de faire une déclaration” accolées au mot liberté vident ce dernier de tout son sens !

On peut alors s’interroger : aux termes de l’ordonnance, quelle activité religieuse à caractère publique ou collectif peut avoir lieu sans déclaration ou demande d’autorisation ? Et pourtant on n’y trouve aucun article stipulant dans quels cas les autorités compétentes sont tenues d’autoriser une activité, faute de quoi elles sont censées violer la loi et doivent être sanctionnées. De fait, ces autorités ont le pouvoir d’accorder ou non une autorisation selon leur bon vouloir, au gré de leur jugement ou de leur sympathie personnelle, cas par cas, et peut-être aussi selon que le demandeur accepte ou non de se plier à la corruption. Par exemple, le cas est fréquent où ce n’est que par la corruption qu’un séminariste est autorisé à recevoir l’ordination sacerdotale, car il n’y a aucun moyen autrement.

Cela d’autant plus que les autorités peuvent utiliser ces faveurs octroyées pour récompenser tels religieux ou tels clercs qui acceptent de courber l’échine pour se prêter à la manipulation par l’Etat contre leur conscience. A contrario, l’Etat se sert de son pouvoir de refus pour punir les fortes têtes qui n’acceptent pas de se plier à sa politique et qui s’entêtent à suivre les injonctions de leur conscience. Ainsi le droit que le pouvoir se donne d’autoriser ou de refuser dans ce domaine n’est autre que celui de ‘la carotte ou le bâton’ dont il se sert pour obliger les religions et les clergés à devenir des instruments dociles dont il peut disposer à sa guise, comme il s’en sert pour freiner ou neutraliser l’ardeur de ceux qui refusent de baisser la tête et de courber l’échine. Il est notoire que certains bonzes, pasteurs ou prêtres qui plaisent au régime peuvent obtenir facilement ce qu’ils demandent, tandis que ceux qui ne sont pas bien en cour ont beaucoup plus de difficulté, même lorsque leurs demandes sont parfaitement légitimes et justifiées.

C’est pour perpétuer cette politique de ‘la carotte ou le bâton’ que l’Etat cherche à tout prix, par l’intermédiaire de la nouvelle ordonnance, à consolider le système de ‘demande et octroi’ abandonné depuis longtemps dans les pays démocratiques, et qui, dans notre pays, a par ailleurs fait l’objet de sévères critiques de la part des médias et de l’opinion.

En somme, la “liberté de religion” dont parle l’ordonnance n’est qu’une liberté vide, dépourvue de toute substance et qui n’a de liberté que le nom. Il suffit de consulter n’importe quel dictionnaire pour constater que cette prétendue liberté n’a aucun sens. Ou pour dire les choses plus précisément, que la liberté au sens de l’ordonnance n’est qu’une liberté fondée sur le régime ‘demande et octroi’.

Illustration du régime ‘demande et octroi’

Pour comprendre la nature véritable de cette liberté, voici un exemple simple. Un patron dit à ses employés : “En principe, vous êtes libres de faire tout ce que vous voudrez. A une seule et unique condition : quand vous voulez faire quelque chose, il faudra me le dire à l’avance, vous ne pouvez le faire que si j’en donne la permission.” Et ledit patron de pérorer devant ses collègues : “Chez moi, tous mes gens sont libres, ils peuvent faire ce qu’ils veulent : je les y ai autorisés.” A l’entendre, les personnes naïves et crédules ne peuvent que s’incliner devant la ‘haute vertu et la grande bonté’ de ce patron.

La liberté ainsi définie par ce patron pour ses employés est bien la même que celle du système de ‘demande et octroi’ de l’ordonnance que l’Etat vient de promulguer. Qu’y a-t-il de différent entre l’article premier de l’ordonnance qui reconnaît, dans le principe, le droit à la liberté religieuse, et la déclaration du patron à ses employés : “En principe, vous êtes libres de faire tout ce que vous voudrez.” ?

Mais les 40 articles suivants annulent immédiatement le premier article, exactement comme l’avertissement du patron : “Je ne vous demande qu’une seule et unique chose, à savoir : quand vous voulez faire quelque chose, il faudra me le dire à l’avance, etc.” Un seul point différencie l’ordonnance de la phrase précitée, c’est que, au lieu de dire tout de go que pour toutes les activités religieuses, il faut demander la permission, l’ordonnance énumère toute une gamme d’activités qu’il faut faire enregistrer pour obtenir l’autorisation, ce qui couvre pratiquement tous les aspects de la vie religieuse du citoyen.

Fort d’une ordonnance dont le premier article semble en parfaite conformité avec la Constitution, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a pu clamer devant l’opinion internationale que depuis toujours le Vietnam respecte la liberté religieuse comme cela a été définie par la Constitution, la preuve la plus concrète étant l’ordonnance qui vient d’être édictée. Evidemment dans le monde d’aujourd’hui, il n’y a plus grand monde pour croire encore à ces mensonges, hormis des gens naïfs et crédules. Les Vietnamiens dans le pays comme ceux de la diaspora ont une trop longue expérience là-dessus, expérience qui s’est concrétisée dans le fameux dicton ‘mentir comme une moule’ (1) répandu dans le peuple depuis un demi-siècle. Mais cela n’a pas empêché le ministère des Affaires étrangères de continuer à tenir sans rougir des propos mensongers devant l’opinion internationale !

Est-il vraiment nécessaire de limiter la liberté de religion ?

Certes le régime peut craindre que des citoyens puissent abuser de la liberté de religion, ou de la religion elle-même pour enfreindre la loi, saboter la politique nationale, troubler l’ordre public ou encore nuire à autrui, c’est pourquoi il doit restreindre quelque peu cette liberté dans des limites raisonnables. Mais si c’est vraiment le cas, il n’a qu’à confier cette tâche de surveillance à la police pour sanctionner comme il se doit quiconque transgresse la loi, ici comme dans tout autre domaine. Car une crainte de cette nature ne justifie pas qu’on doive limiter la liberté au point de soumettre l’ensemble des activités religieuses à l’obligation d’enregistrement ou de demande d’autorisation. D’ailleurs demander l’autorisation ne veut pas forcément dire être autorisé, ce qui fait que les citoyens qui se livrent à une activité de culte – qui en soi est un besoin spirituel incontournable – sans en avoir la permission explicite, contreviennent ipso facto à la loi, même s’ils n’ont commis aucun délit formel.

Il arrive fréquemment que des rassemblements de fidèles pour la prière ou l’homélie soient dispersés par la police, et les organisateurs arrêtés comme s’ils avaient vraiment violé la loi. Qu’ont-ils donc fait pour que l’Etat prenne ainsi peur et craigne qu’ils “abusent de la religion pour enfreindre la loi et par là, en prenne prétexte pour limiter leurs activités de culte à ce point ?

Depuis plusieurs décennies, ce que voit le citoyen de visu, c’est plutôt le spectacle de tant de membres du Parti communiste qui abusent de leur ‘identité du Parti’ pour enfreindre la loi, s’approprier le bien public, pratiquer la corruption et opprimer le peuple. Contre cette situation bien répandue qui atteint aujourd’hui un degré gravissime, tant de citoyens ont dû récriminer, y compris nombre d’intellectuels et de communistes patriotes ! Pourtant l’Etat n’y prête guère attention. S’il le fait parfois, il ne s’agit, semble-t-il, que d’une attention feinte destinée à calmer le peuple, et non d’un véritable effort pour redresser efficacement la situation. Si vraiment l’Etat craignait que des citoyens abusent de la religion pour enfreindre la loi, et pour cela il a dû édicter une ordonnance pour les en empêcher, combien il serait plus justifié de promulguer jusqu’à dix ou cent ordonnances pour endiguer le penchant des membres du Parti à abuser de leur qualité pour transgresser la loi ! Mais de telle ordonnance, que nenni !

Plus grave encore, les tares sociales telles que corruption, drogue, prostitution, traite des femmes et vente d’enfants à l’étranger. ne cessent de se répandre et d’enfoncer le pays dans la misère et le sous-développement. Pourquoi le régime ne concentre-t-il pas ses efforts sur ces problèmes qui devraient mériter toute son attention, au lieu de se laisser accaparer par la question des religions à un point aussi absurde ! Serait-ce parce qu’il considère les religions plus dangereuses et pires que la corruption, la drogue, la prostitution, la traite des femmes et la vente des enfants ? Alors que dans d’autres pays, on sait combien les religions ont contribué de grand et de noble pour le bien-être des citoyens, pourquoi notre régime ne promulgue-t-il pas une ordonnance pour endiguer les tares qui sont en train de miner notre pays ?

Même dans les pays qui n’ont pas d’ordonnance spéciale sur la religion, sait-on combien il y a d’individus qui abusent de la religion à des fins criminelles ? Notre gouvernement tient-il les croyants de chez nous en si piètre estime comparés à ceux des autres pays, alors que ses forces de police sont renommées pour leur nombre et leur zèle à surveiller des moindres faits et gestes des citoyens ? Quel besoin a-t-on de se prémunir aussi exagérément contre la religion ?

Si l’Etat craignait à ce point que les religions s’opposent au régime, il devrait les laisser d’autant plus libres, et cela ne serait que plus conforme à la raison. Au contraire il ne cesse de limiter la liberté de religion des citoyens. Il suffit de comparer la directive 234S/L du 14 juin 1955 – la première de ce genre édictée par le gouvernement Ho Chi Minh – avec la nouvelle ordonnance pour constater une flagrante escalade dans la répression. Cette politique ne fait que provoquer les citoyens normalement tranquilles qui, pour avoir plus de liberté, doivent lutter en s’opposant au régime. Car sans cela, les religions seraient assurément asphyxiées et ne subsisteraient que dans un état moribond. Que des religieux comme les vénérables Thich Huyen Quang, Thich Quang Do, le P. Nguyen Van Ly ou le pasteur Nguyen Hong Quang aient dû prendre la lutte, c’est précisément parce que l’Etat a vraiment opprimé la religion et limité de façon excessive le droit à la liberté religieuse des citoyens. Si la liberté de religion existait vraiment comme on le prétend, quelle raison auraient ces personnalités de lutter ? L’Etat devrait sincèrement reconnaître la réalité et mettre un terme à la répression. Lénine, un des pères fondateurs du communisme, n’a-t-il pas déclaré avec justesse : “Là où règnent l’injustice et l’oppression, là il y a lutte” ? Par l’arrestation, la diffamation et l’emprisonnement des citoyens qui luttent pour leur liberté, l’Etat cherche-t-il à user de la manière forte pour intensifier la répression et, par la même occasion, réduire les citoyens mécontents au silence afin d’étouffer dans l’ouf toute velléité d’opposition ? N’est-ce pas là marcher sur les pieds des gens et leur interdire de crier !

Si cette ordonnance est mise en application, alors d’innombrables activités religieuses justifiées tomberaient sous le coup de la loi pour n’avoir pas fait l’objet d’enregistrement ou faute de permission, ou parce qu’une demande d’autorisation n’a pas reçu d’accord formel des autorités. Par exemple, les réunions de prière à domicile, les visites missionnaires en dehors des lieux approuvés par l’Etat, l’installation de pages Web à caractère religieux, l’impression de documents religieux, ou toute autre activité culturelle, sociale, éducative, humanitaire, etc. sont toutes des activités parfaitement justifiées que les croyants de presque tous les pays du monde peuvent pratiquer sans encombre ni obligation d’enregistrement ou d’autorisation préalable, et sans jamais être taxées d’illégales. Alors que les croyants vietnamiens, eux, lorsqu’ils s’adonnent à ces activités sans en avoir la permission explicite, sont considérés comme enfreignant la loi et donc passibles d’arrestation et d’emprisonnement. Comment peut-on dire que le Vietnam jouit de la liberté religieuse ? La lutte de notre peuple tout au long du siècle dernier, qui a coûté des millions de vies et engendré tant de souffrances à l’ensemble de la nation, n’a-t-elle apporté que cette espèce de liberté au rabais bien au dessous de ce que connaissent les autres pays du monde ? N’est-ce pas trop cher payer une telle liberté ?

Pourquoi faut-il absolument être reconnu par l’Etat ?

Une des bizarreries de cette ordonnance est que seuls les religions, clercs ou religieux qui ont été reconnus par l’Etat, sont autorisés à exercer leur ministère. Cela veut-il dire que telle confession qui n’est pas reconnue par l’Etat, ne serait pas une religion pour autant ? Que tels bonzes, prêtres ou pasteurs qui ne sont pas reconnus par l’Etat, ne seraient pas bonzes, prêtres ou pasteurs, et qu’ils n’auraient donc pas de besoins et d’obligations à remplir envers leurs co-religionnaires ? A quoi bon être bonze, prêtre ou pasteur si on ne remplit pas ses devoirs et obligations vis-à-vis des fidèles ?

Je suis par nature un être humain, suffit-il que l’Etat ne reconnaisse pas ma qualité en tant que tel pour que je cesse d’être un être humain, que je n’aie plus de besoins naturels à satisfaire en tant qu’être humain, et qu’il ne me soit plus permis de faire ce qui est conforme à ma nature humaine ? Si je suis malade, suffit-il que l’Etat ne reconnaisse pas ma maladie pour que je sois guéri et n’aie plus besoin de prendre de médicament ou de suivre un traitement ? L’Etat peut-il prétexter de cette non-reconnaissance pour m’interdire de me soigner ? C’est vraiment absurde et insensé !

Qu’il nous soit permis de poser cette question à des membres du Parti communiste : si une religion ou une organisation quelconque ne reconnaissait pas votre qualité de membres du Parti communiste, cesseriez-vous pour autant de l’être ? Et cela vous dispenserait-il de remplir vos devoirs et obligations envers votre Parti ?

A notre avis, même un élève du premier cycle peut comprendre que, quand bien même un membre authentique du Parti communiste n’est pas reconnu comme tel par le monde entier, il est toujours membre du Parti communiste. Ce n’est pas parce des gens à l’extérieur du Parti ne reconnaissent pas sa qualité de membre du Parti qu’il cesse de l’être et, partant, n’a plus aucune obligation vis-à-vis de son Parti. C’est pourtant ce que veulent dire les rédacteurs de l’ordonnance quand ils allèguent qu’un bonze, un pasteur ou un prêtre qui n’est pas reconnu par l’Etat ne serait plus bonze, pasteur ou prêtre, et que l’Etat a donc le droit de leur interdire tout ministère. Comment un raisonnement aussi élémentaire a-t-il pu échapper à chacun des membres de l’Assemblée nationale du Vietnam ?

Les grandes religions comme le bouddhisme, le catholicisme, le protestantisme, l’islam etc. ont fait leur apparition et se sont développées depuis des milliers d’années, reconnues partout dans le monde, alors que le Parti communiste ne compte pas encore 100 ans d’âge. Et l’on voudrait que l’Etat communiste du Vietnam puisse reconnaître ou ne pas reconnaître telle ou telle religion, autoriser ou non telle ou telle confession à exercer sa mission. C’est vraiment grotesque et extravagant !

Ou alors cette reconnaissance obligatoire ne serait qu’un moyen permettant de frapper d’interdit certaines confessions ou leurs ministres récalcitrants devant l’autorité du Parti et de l’Etat. Il suffit en effet que l’Etat communiste refuse sa reconnaissance à une confession pour que celle-ci soit inopérante, à un religieux ou à un clerc pour que toute activité de ces derniers devienne illégale et leurs auteurs passibles d’arrestation ou d’emprisonnement. Dans les pays libres, y a-t-il un Etat pour qui la reconnaissance ou la non-reconnaissance de telle ou telle confession, de tel ou tel bonze, pasteur ou prêtre, pose problème ? Cette question de reconnaissance ou de non-reconnaissance de la qualité d’un clerc ou d’un religieux relève de la responsabilité interne des Eglises et non de l’Etat. Il en est de même pour le Parti communiste qui a toute latitude de reconnaître ou ne pas reconnaître en son sein un individu comme membre du Parti sans devoir en référer à quelque instance extérieure. L’Etat n’a-t-il pas d’autres préoccupations que d’accaparer ainsi les tâches qui ne sont pas les siennes ? Inversement, au sein des Eglises, qui a assez de loisir pour se préoccuper de la reconnaissance ou de la non-reconnaissance de telle ou telle personne comme membre du Parti communiste ?

Heureusement, ce système de reconnaissance ou non-reconnaissance est dans bien des cas contre-productif. Certaines confessions, précisément parce qu’elles sont autorisées et bénéficient de faveurs et facilités de l’Etat, sont de ce fait l’objet de suspicion, voire de boycottage de la part de leurs propres fidèles qui les taxent de ‘religions nationalisées’, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas considérées comme des religions authentiques, mais seulement des instruments au service de l’Etat. Tels bonzes, pasteurs ou prêtres, précisément parce qu’ils sont reconnus et comblés d’éloges par l’Etat, sont de ce fait suspectés d’être corrompus, vendus ou ‘nationalisés’, des valets du régime ou des taupes introduites par le Parti au sein des Eglises pour les saper de l’intérieur. Autrement dit, ce ne sont pas de véritables et authentiques bonzes, pasteurs ou prêtres. Il est naturel que les fidèles nourrissent à l’égard de ces personnes de la suspicion, parfois du mépris manifeste. A l’inverse, plus un religieux ou un clerc est désavoué par l’Etat et interdit de ministère, plus il est respecté et aimé du peuple qui voit là le signe le plus sûr de son authenticité et de sa fidélité à sa religion.

Pourquoi les communistes peuvent enseigner librement leur doctrine et non les croyants ?

Un des points absurdes de l’ordonnance est que toute activité religieuse et missionnaire doit faire l’objet de demande d’autorisation (et l’on sait qu’une demande n’aboutit pas forcément), alors que les communistes ont toute liberté pour propager leur doctrine. Et non seulement ils n’ont pas besoin de demander l’autorisation pour le faire, mais encore ils ont le droit d’obliger les étudiants d’étudier cette doctrine. Tous les citoyens sont-ils donc libres devant la loi ? Cela est-il conforme à la raison quand on sait que les communistes ne représentent qu’une infime minorité (2 %) de la population, alors que les fidèles des religions les dépassent de loin (30 % pour les bouddhistes, 8 % pour les chrétiens, 4 % pour les caodai, 3 % pour les hoa-hao) ? Cette inégalité est la preuve éloquente que l’Etat que nous avons actuellement est l’Etat des communistes, et non l’Etat du peuple et pour le peuple.

L’ordonnance est un outil d’escalade dans la répression religieuse

Jusqu’à présent, les lois sur la religion n’émanaient que de résolutions du Parti, de directives du Premier ministre ou du Bureau des affaires religieuses ; aujourd’hui elles sont officiellement promulguées par l’Assemblée nationale et portent le nom d’“Ordonnance sur la croyance et la religion”. Auparavant, alors qu’il n’y avait pas encore d’ordonnance édictée par l’Assemblée, mais seulement des décisions émanant d’instances inférieures, tant d’activités religieuses justifiées étaient déjà considérées comme illégales et sujettes au harcèlement de la police et dispersées manu militari. On peut se demander jusqu’où ira l’escalade de la police dans les troubles et la répression une fois l’ordonnance entrée en vigueur !

Avant l’existence de cette ordonnance, c’est-à-dire quand aucune activité religieuse n’était encore officiellement déclarée illégale par l’Assemblée nationale, combien de fois des réunions de prière des communautés protestantes, en de nombreux endroits, n’ont-elles pas déjà été perturbées et dispersées par la police, avec arrestation et emprisonnement des organisateurs ? Avant l’ordonnance, combien de fois, dans les provinces de Son La, Lai Chau, Tay Nguyen et dans d’autres régions, la police n’a-t-elle pas déjà confisqué les bibles, livres de culte et catéchismes des catholiques avec interdiction de se réunir pour la prière ? Alors, avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance, jusqu’où n’ira pas la répression ? Jusqu’à ce jour, l’oppression subie par les religions était déjà insupportable. Maintenant que l’Etat a mobilisé jusqu’à l’Assemblée nationale, qui est l’organe législatif suprême de la nation, pour édicter une ordonnance visant à limiter la liberté de religion de façon aussi officielle et solennelle, on peut se demander jusqu’à quel degré les religions continueront à être opprimées !

C’est pourquoi, nous sommes en pleine communion avec le cardinal Pham Minh Man lorsqu’il déclare : “Il vaudrait mieux ne pas promulguer cette ordonnance.” Et nous espérons fermement que l’Etat l’abroge tout simplement. Car la mise en ouvre de cette loi ne fait qu’aviver les luttes en faveur de la liberté religieuse dans le pays. Et le régime devra se dépenser encore plus pour arrêter et emprisonner tant de citoyens innocents. Sans compter que cette ordonnance montre que l’Assemblée et les membres chargés de sa rédaction et de sa promulgation ne comprennent que des gens qui n’ont pas le moindre sens de la justice, n’ont jamais lutté pour les intérêts du peuple, et ne sont en réalité qu’un instrument docile que le Parti mène au doigt et à l’oil pour opprimer le peuple, incapables de distinguer ce qui est raisonnable de ce qui est insensé, ce qui est utile de ce qui est nuisible au pays et à ses citoyens.

A tous les hommes et femmes de bonne volonté de par le monde, plus spécialement aux croyants à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, nous demandons d’élever aussi leurs voix pour exiger que l’Etat communiste du Vietnam respecte vraiment le droit à la liberté religieuse – à la fois un besoin naturel et un droit justifié du peuple – que le Vietnam a solennellement reconnu et pour lequel il s’est porté garant devant les Nations Unies. Du fond de notre cour, nous lançons cet appel au secours !

Vietnam, le 15 août 2004

Notes

Le P. Chan Tin, 84 ans, est un militant bien connu des droits de l’homme et de la liberté religieuse. Suite à ses fameux sermons de Pâques 1990 sur “la Repentance de la Nation”, il fut placé en résidence surveillée pendant trois ans loin de Saigon.

Les PP. Nguyen Huu Giai et Phan Van Loi (tous deux dans leur cinquantaine), du diocèse de Huê, sont des amis et supporteurs déclarés d’un des prisonniers de conscience les plus connus du Vietnam, le P. Nguyen Van Ly, qui purge actuellement une longue peine de prison.

(1) NdT : le dicton populaire, d’origine inconnue, ‘noi nhu vem’ (littéralement ‘parler comme une moule’) signifie : parler sans cesse, dire des balivernes. L’expression ‘noi dôi nhu vem’ (‘mentir comme une moule’), apparue pendant la première guerre d’Indochine, joue sur la contraction des initiales ‘V.M.’ (‘vem’) de ‘Viet Minh’ (mouvement communiste d’avant le Vietcong) pour signifier : ‘mentir comme les communistes’.