Eglises d'Asie – Divers Horizons
P. EDWARD MALONE : TRENTE ANNEES AU SERVICE DES EGLISES D’ASIE
Publié le 18/03/2010
D’une certaine manière, la sensibilité du P. Malone aux “autres” rites catholiques en Inde fait écho à son souci permanent de “l’autre” dans tous les domaines de la vie de l’Eglise. Ce premier “autre” a très tôt revêtu une importance centrale dans la vie du P. Malone, en fait dès sa naissance à New York il y a 79 ans. Sa mère, avant de rejoindre l’Eglise catholique, était en effet luthérienne. Dès son enfance, il a grandi en apprenant que “l’autre” pouvait avoir du bon. Un autre “autre” dans ses années de jeunesse s’enracine dans sa fréquentation du collège et lycée Regis à New York. Cette école catholique pour boursiers, tenue par les jésuites, se distinguait des autres écoles de la ville en ce sens que les élèves y apprenaient force latin et grec. A la fin de ses études secondaires, l’appel au sacerdoce aurait dû en toute logique le porter à rejoindre la Société de Jésus mais Edward Malone a alors choisi un autre “autre” en intégrant les Maryknoll, société missionnaire américaine.
Le jeune P. Malone a toutefois dû attendre deux décennies avant de voir se réaliser son rêve de partir en mission. Après son ordination en 1952, il fut envoyé à Rome où il décrocha un doctorat en théologie à l’Angelicum, faculté dominicaine. A son retour aux Etats-Unis, il commença à former les séminaristes Maryknoll, enseignant promotion après promotion et les aidant à répondre à leur vocation. Puis, alors que tout indiquait qu’il pouvait prétendre à une carrière de doyen et au confort d’une vie universitaire, il choisit quelque chose d'”autre”.
En 1970, la visite du pape Paul VI à Manille posa les germes de ce qui allait devenir la FABC. Les évêques d’Asie, inspirés par le nouveau climat issu du Concile Vatican II, étaient déterminés à travailler plus étroitement ensemble. Pour cela, ils décidèrent de mettre sur pied une fédération de leurs conférences épiscopales mais réalisèrent vite qu’ils avaient besoin d’une personnalité pour les aider à réaliser ce projet et ce fut au P. Malone que la demande a été présentée. A partir de janvier 1972, le missionnaire Maryknoll a fait “le nécessaire ainsi qu’aiment à le dire les Indiens, pour organiser et développer la FABC. Son titre officiel, pour servir les évêques de la FABC, a été celui de d’assistant du secrétaire général.
En tant que missionnaire, le P. Malone était heureux et désireux d’aider l’Eglise en Asie à développer quelque chose de nouveau, même si aucun chemin n’était encore tracé. Les évêques décidaient tout mais, peu à peu, année après année, il les a convaincus qu’ils pouvaient et devaient prendre en considération “l’autre”. En 1976, entre la première assemblée plénière (Taipei, en 1974) et la seconde (Calcutta, en 1978), le P. Malone a lancé les “FABC Papers une collection de livrets ayant pour objet de mettre en valeur la recherche théologique à l’ouvre dans les Eglises d’Asie. Sa marque et son souci du détail sont évidents dans chacun de ces livrets, du premier, édité en 1976, au dernier, publié cette année sous le numéro 110. En fait, un total de 175 livrets ont été publiés, certains comprenant plusieurs sections, éditées pour faciliter les discussions lors des ateliers organisés pendant les assemblées plénières.
Le P. Malone a également été pleinement et étroitement impliqué dans la création des différents bureaux de la FABC, des deux premiers mis sur pied au tout début de la FABC (le Bureau pour le développement humain et le Bureau des communications sociales) aux derniers-nés, lancés en 2004 (le Bureau du clergé et celui de la vie consacrée). Entre temps, le missionnaire avait aidé à la création de cinq bureaux : le Bureau des affaires ocuméniques et du dialogue interreligieux, le Bureau de l’éducation et de l’aumônerie, le Bureau de l’évangélisation, le Bureau des laïcs et le Bu-reau des questions théologiques. Plusieurs de ces bureaux ont commencé sous la forme d’une commission et, peu à peu, ont évolué pour prendre une forme plus permanente.
Le P. Malone a aussi été au centre d’une initiative lancée pour aider les évêques d’Asie à mieux appréhender leur rôle en tant que responsables et administrateurs de l’Eglise locale. Ainsi qu’il l’expliquait en 1990, les “Séminaires de leadership chrétien” de la FABC ont donné aux évêques “des principes de gestion qui leur ont servi à être plus efficaces dans la direction de l’Eglise”. Le P. Malone avait remarqué que les problèmes surviennent dans les diocèses du fait d’un manque d’interaction entre les personnes ; selon lui, les évêques avaient besoin d’apprendre les techniques de relations humaines telles que l’interaction ou la motivation.
Parmi les autres chantiers initiés par le P. Malone, on trouve les “Instituts épiscopaux” au cours desquels les évêques d’Asie ont pu partager sur les problèmes, tels que la pauvreté, que chacun rencontrait dans la réalité de chaque jour. Bien souvent, le P. Malone a exprimé la joie qu’il avait en constatant la grande variété des Eglises en Asie, notamment le fait que tant d'”autres” pouvaient travailler ensemble au sein de la FABC et que les évêques pouvaient connaître entre eux une réelle fraternité, en dépit des très grandes différences de points de vue et de circonstances. En 1985, tandis que la FABC se préparait à tenir sa quatrième assemblée plénière, à Tokyo, le P. Malone estimait que les évêques d’Asie “ne parlent pas toujours avec la même voix, mais d’une voix unie. Ils échangent des idées et comprennent la position que les uns ou les autres adoptent”. En 2000, il soulignait la même chose lorsque l’université de San Carlos, à Cebu, aux Philippines, lui a décerné un titre de honorifique de docteur pour sa contribution à la FABC et à la mission d’évangélisation de l’Eglise en Asie. Il rapportait l’anecdote suivante : “Après le Synode des évêques pour l’Asie de Rome en 1998, un de nos évêques d’Asie m’a confié qu’un cardinal romain lui avait dit la chose suivante : ‘Il est évident que vous, évêques d’Asie, êtes venus préparés ; et que vous vous connaissez les uns les autres’ – puis, après une pause – ‘et que vous vous aimez les uns les autres’. C’est un succès !”
La joie du P. Malone à voir la bonté de Dieu dans “l’autre” était manifeste lorsque la cinquième assemblée plénière de la FABC (Bandung, en Indonésie, en 1990) a décidé de travailler avec la très largement protestante “Conférence chrétienne d’Asie”. Une équipe fut mise sur pied pour travailler au développement de l’ocuménisme chrétien en Asie et le P. Malone faisait partie des cinq catholiques désignés pour en être.
Lors des sixième et septième assemblées plénières (Manille en 1995 et Samphran, en Thaïlande, en 2000), personne n’a été surpris que les délégués épiscopaux soient entourés par un grand nombre d'”autres” participants. Des prêtres, des religieuses, des laïcs, des “délégués ocuméniques” ainsi que des “délégués fraternels issus de Conférences épiscopales extérieures à l’Asie. Pour Mgr John Cummins, évêque émérite d’Oakland, aux Etats-Unis, qui a, à plusieurs reprises, été un des ces “délégués fraternels le P. Malone pouvait avoir une personnalité forte et décidée mais il était profondément respectueux de la responsabilité des évêques.
Pour le P. Malone, relier l’Asie au reste de l’Eglise universelle participait à cet idéal d’atteindre “l’autre”. Au fil des décennies, il a aidé de très nombreux clercs et laïcs à se préparer pour participer à des réunions et des synodes à Rome. Il ne cachait pas sa joie d’avoir été choisi pour participer au Synode des évêques pour l’Asie. Le 24 avril 1998, devant les délégués, il avait choisi de mettre en avant le travail des six sociétés missionnaires de vie apostolique d’Asie (Inde, Corée du Sud, Philippines et Thaïlande) et il appelait chaque Eglise locale en Asie à former des sociétés missionnaires. “Les Eglises qui ne font pas l’expérience de recevoir et d’envoyer se referment sur elles-mêmes, expliquait-il. Aujourd’hui, c’est au tour de l’Asie de donner, d’être un continent porteur d’espérance missionnaire.” Les sociétés missionnaires, continuait-il, peuvent devenir des “ponts de communion” et contribuer à l’évangélisation des Asiatiques par des Asiatiques ainsi qu’au renforcement des liens entre les Eglises d’Asie et l’Eglise universelle.
Au fil des années, le P. Malone, qui s’investissait tant pour affirmer le rôle des évêques, a également insisté pour qu’une place plus importante soit faite aux laïcs. Lorsque le rôle du laïcat a été débattu à la septième assemblée plénière, certains suggérèrent la mise en place de nouveaux rituels pour que certaines fonctions dans l’Eglise deviennent “réellement des ministères”. A cela, le P. Malone répondait : “Nous avons déjà un rituel pour donner du pouvoir aux chrétiens. Nous l’appelons baptême et confirmation.”
Le missionnaire américain s’interrogeait sur l’usage voulant que les responsabilités de procureur soient confiées à des prêtres. Selon lui, un laïc pouvait parfaitement remplir cette fonction. “Ne pouvons-nous pas leur faire confiance ? Faisons-nous confiance aux prêtres car ‘eux, ils ne prendront pas notre argent’ ? Il a bien des métiers et des fonctions qui peuvent être occupés par les laïcs insistait-il sans jamais élever la voix. Les évêques ne se sont pas offusqués des appels du P. Malone à faire confiance aux laïcs, cet “autre” et considérable partie de l’Eglise. Au contraire, ils ont applaudi à ses propositions, le remerciant pour sa contribution au débat.
Selon Mgr Orlando Quevedo, archevêque de Cotabato (Philippines), le départ à la retraire du missionnaire américain marque “la fin de l’ère des pères fondateurs de la FABC”. Ayant eu à travailler étroitement avec lui depuis 1986, notamment pour la rédaction des documents publiés à l’issue de chaque assemblée plénière de la FABC, l’archevêque philippin estime qu’il “sera difficile de le remplacer”. Pour le P. Franz-Josef Eilers, secrétaire exécutif du Bureau des communications sociales de la FABC, l’absence du P. Malone était déjà sensible à Daejeon, en Corée, où nombreux ont été ceux à ressentir “un manque de direction” au cour même de l’assemblée plénière. “Il nous manquera à tous, lui qui fut un père et un ami. Nous pouvons seulement espérer et prier pour que son successeur soit aussi visionnaire et créatif qu’il l’a été.”