Eglises d'Asie

Dans la province de Negros Occidental, les évêques catholiques plaident pour une juste et pleine application de la réforme agraire votée en 1988

Publié le 18/03/2010




Dans la province de Negros Occidental, au centre du pays, trois évêques ont appelé à une juste et pleine application de la loi sur la réforme agraire votée en 1988. Le 7 octobre dernier, Mgr Vicente Navarra, de Bacolod, Mgr Patricio Buzon, de Kabankalan, et Mgr Jose Advincula, de San Carlos, ainsi que les responsables des Commissions pour l’action sociale de chacun de ces trois diocèses ont signé une “Déclaration au sujet des violences liées aux questions agraires à Negros Occidental”. Réagissant au meurtre le 3 septembre dernier d’une femme âgée de 60 ans, Teresa Mameng, assassinée par les gardes armés d’un grand propriétaire terrien, les évêques ont mis au défi les propriétaires d’haciendas de respecter la Loi sur la réforme agraire de 1988 et “le droit des paysans à manger”.

Pour ces responsables de l’Eglise, la justice et la paix ne peuvent être réalisées que si les propriétaires terriens respectent la loi, si le ministère de la Réforme agraire s’implique réellement dans l’application effective de la loi de 1988, si les tribunaux prennent à cour d’administrer la justice en toute impartialité et si les autorités locales et la police s’engagent à faire appliquer les décisions de justice. Pour l’heure, dans une région dominée par les grands propriétaires, la réforme agraire qui, à travers le pays, devait aboutir à la redistribution de 10 millions d’hectares à 3,7 millions de paysans sans terre et d’ouvriers agricoles est restée quasiment lettre morte, estime les trois évêques. Menaces, intimidations, manouvres dilatoires en justice, corruption des juges et des forces de l’ordre, tous les moyens sont bons pour les grands propriétaires terriens afin de ne pas appliquer la réforme agraire, insistent les évêques. Depuis la chute des cours de la canne à sucre au début des années 1980, la province connaît des heures difficiles et de nombreux ouvriers agricoles ne trouvent plus à s’employer.

Face à cette situation, les évêques appellent à un partage plus juste des terres. “Gagner son pain implique un partage eucharistique de nos ressources, particulièrement de la terre qui, en premier lieu, ne nous appartient pas mais est le don que Yahvé nous a fait pour que nous la mettions en valeur écrivent-ils, ajoutant que, dans la culture traditionnelle de la région, la terre est considérée comme étant la propriété des forces divines, l’homme n’en étant “que le dépositaire”. En l’absence de tout progrès de la réforme agraire, les évêques mettent en garde contre le danger d’explosions de violence : “Les paysans sont perdus lorsqu’ils sont harcelés par les hommes de mains des grands propriétaires [.] et malheureusement peuvent être poussés à des actions violentes pour se défendre, eux, leurs familles et leurs biens.” Ils déplorent également la violence mise en ouvre par les propriétaires : “N’est-il pas malheureux que, souvent, ce sont les propriétaires qui initient la violence, comme le cas de Teresa Mameng le montre ?”

Le 11 octobre, environ 50 paysans ont entamé une grève de la faim devant les bureaux de l’application de la réforme agraire à Negros Occidental. Ils ont juré ne prendre que de l’eau tant qu’un représentant national de la réforme agraire ne viendrait pas à leur rencontre pour entendre leurs demandes. Ils exigent notamment que la décision du 23 septembre dernier de la Cour suprême stipulant que les questions agraires ressortent uniquement du ministère de la Réforme agraire soit appliquée sans délai. Ils estiment très important de pouvoir prendre possession au plus vite des terres qui leur ont été attribuées par la réforme agraire. La récolte de la canne à sucre bât en effet son plein ces jours-ci et, si les grands propriétaires ensemencent à nouveau leurs terres, les paysans ne pourront pas s’installer sur leurs terres avant au moins un an.

Teresa Mameng figurait parmi les paysans à qui le gouvernement avait décerné un titre de propriété. Ce titre lui donnait droit à une fraction de l’hacienda La Castellana, une grande propriété située sur le territoire du diocèse de Kabankalan. C’est là qu’elle a été tuée le 3 septembre lorsque plusieurs hommes armés ont fait irruption dans le hameau où elle avait élu domicile. L’attaque s’est produite aux environs de minuit. A la faveur de l’obscurité, la plupart des habitants du hameau ont pris la fuite, à l’exception de Teresa Mameng, morte par balles. L’année dernière, son fils Jimmy, âgé de 35 ans, avait été tué dans des conditions similaires.

Selon des statistiques rassemblées par l’Eglise à Negros Occidental, entre 2000 et septembre 2004, 39 paysans ont été illégalement arrêtés, 57 ont été blessés et 15 tués sur les 45 grandes propriétés concernées par la réforme agraire. Par ailleurs, toujours dans le contexte de la réforme agraire, 58 actions en justice ont été lancées contre plus de 3 000 paysans.