Eglises d'Asie

L’EGLISE CATHOLIQUE ET LES PEUPLES AUTOCHTONES DES PHILIPPINES

Publié le 18/03/2010




Ucanews : Quelle est la situation des peuples autochtones des Philippines aujourd’hui ?

Benjamin Abadiano : Pour l’ensemble du pays, il y a des signes positifs et des signes négatifs. En ce moment, je suis très heureux du fait que de plus en plus de gens prennent conscience du sort difficile fait aux peuples autochtones. Il y a dix ou quinze ans, il y avait seulement quelques rares organisations qui travaillaient pour le bien de ces gens. En 1997, il y a eu le vote de la Loi sur les droits des peuples autochtones. Ces derniers disposent donc d’une base légale pour affirmer leurs droits. Beaucoup d’entre eux aujourd’hui ont suivi une scolarité complète, quelques-uns ont suivi des formations professionnelles et ils peuvent désormais se battre pour les droits de leur peuple. Un certain nombre peuvent déjà mener une bien meilleure vie.

Quels sont les défis qui restent à relever ?

En général, nombreux sont parmi les hommes et les femmes des peuples autochtones à vivre dans les montagnes. Beaucoup de ces communautés manquent d’accès aux services de base comme l’éducation, la santé, les infrastructures de déplacement et les autres services du gouvernement. Mais ce qui est encore plus important, nombre de leurs terres sont devenues la propriété ou sont occupées par des gens influents, parfois même par des hommes politiques, et les peuples autochtones n’ont pas été justement indemnisés. Il faut comprendre que, pour eux, la terre c’est la vie. Ils ont été déplacés et poussés plus loin vers l’intérieur. Ils n’ont pas beaucoup de possibilités pour vivre. Plus haut on va dans les montagnes, plus il est difficile de cultiver. Et puis, on est loin des services et des ressources. Ces gens sont pris dans les conflits qui opposent les militaires et les groupes insurgés. Et leurs jeunes sont recrutés soit par l’Armée du Peuple Nouveau (NPA), communiste, ou par un camp militaire.

Que pouvez-vous dire de l’apostolat de l’Eglise catholique auprès des peuples indigènes ?

Certains travailleurs ecclésiaux ont besoin d’améliorer leur manière de voir et leur attitude, car ils sont trop paternalistes. De plus, dans l’Eglise, certains de nos partenaires dans l’Eglise n’ont pas réfléchi à des programmes concrets. Les gens d’Eglise regardent les peuples autochtones purement comme des minorités qui ont peu de besoins auxquels on doit répondre. Or, les autochtones constituent “les plus petits de nos frères” et l’Eglise est supposée s’occuper des besoins de ce groupe. Nous devons les considérer comme des êtres humains, avec la même dignité que la nôtre. L’Eglise doit aussi être plus systématique dans son action car le travail de la mission avance par tâtonnements, au gré de nos essais et de nos erreurs. C’est une des faiblesses du travail de l’Eglise avec les autochtones. Les gens d’Eglise sont inspirés par l’Esprit mais ils manquent de méthode. Il y a un grand gâchis de ressources et d’énergie.

Avec le concile Vatican II, l’Eglise a compris l’importance de prendre en considération la culture des gens. Elle semble avoir réalisé qu’il y a tant de choses à apprendre de la culture indigène et que les valeurs chrétiennes sont très présentes dans ces cultures. Le problème est que beaucoup de nos travailleurs pastoraux – et plus particulièrement les missionnaires – n’ont pas été formés à mettre en ouvre les programmes de développement ou leur travail missionnaire en accord avec ce que Vatican II a dit de la manière dont l’Eglise doit répondre aux réalités de la culture. L’inculturation, par exemple, est une question importante et un problème auquel l’Eglise catholique doit faire face. Comment réaliser cela concrètement ? Sous beaucoup d’aspects, en bien des dimensions, cela reste un grand défi. Les travailleurs pastoraux, y compris les prêtres, les religieuses, les missionnaires, devraient suivre un programme de formation spécial pour être capables de comprendre cela. Distribuer des aides de ci de là et recourir aux autres méthodes habituelles, tout cela est trop paternaliste. Deuxièmement, nous devons éviter les conversions agressives sans examiner quelles valeurs chrétiennes sont déjà présentes – et comment sont-elles présentes – dans la culture de ces peuples. Les missionnaires ne devraient pas imposer. Ils devraient laisser les gens penser librement. La clé, c’est témoigner : comment votre vie témoigne maintenant des valeurs chrétiennes. De cette manière, les gens verront et se diront : “Voilà ce que être chrétien veut dire”.

Y a-t-il eu des progrès dans l’apostolat ?

Il y a des diocèses qui répondent aux besoins des autochtones, et d’autres ont amélioré leur approche. A Tabang Mindanaw (une fondation pour le développement de Mindanao), par exemple, nous travaillons avec des diocèses de Mindanao. Sous des aspects variés, nous avons réussi à réaliser nos projets et nos programmes et maintenant nous réalisons le programme de sécurité humaine de la Fondation Assise pour les autochtones. Nos partenaires d’Eglise ont approuvé cela et ils soutiennent aussi le programme de sécurité humaine.

Que peut faire le gouvernement ?

Il peut faire en sorte que la Loi sur les droits des peuples autochtones soit pleinement appliquée. Deuxièmement, ceux qui appartiennent à la Commission nationale pour les peuples autochtones devraient prendre au sérieux dans leur mission. Ils doivent réellement travailler dur pour répondre aux besoins des peuples autochtones et ils doivent aussi utiliser intelligemment leurs ressources. Si seulement la Commission pouvait faire diminuer la corruption ! Elle devrait revoir comment des politiciens, qui sont supposés servir le bien public, sont capables de s’approprier des terres appartenant aux peuples autochtones.

Comment réagissez-vous au fait d’avoir reçu le prix Magsaysay ?

Lorsqu’on me l’a annoncé, cela a vraiment constitué une surprise car personne ne m’avait dit que j’étais sur la liste des éventuels lauréats. Bien sûr, j’étais très heureux que nos efforts, bien que modestes, aient été reconnus. Pas tellement pour moi mais pour les efforts des gens, parce que ce que nous avons fait, ce n’est pas ce que j’ai rêvé mais c’est ce que les gens ont rêvé. Je me suis senti aussi bien peu digne de ce prix parce que je connais beaucoup de gens qui font des choses bien plus spectaculaires. Ce que j’ai fait représente si peu ! J’espère que ce prix nous encouragera et nous donnera l’inspiration pour continuer ce que nous avons commencé.

C’est une tâche très difficile que de traiter avec les gens et les gens sont changeants. Vous devez mettre en balance beaucoup d’éléments, la culture et les traditions culturelles, l’idéal et la réalité. Par exemple, beaucoup parmi les chefs autochtones vendent leurs terres parce qu’ils sont pauvres et des autochtones ont exploité leurs terres. Nous ne pouvons pas romancer ces questions. Nous devons être analytiques.

Parmi les difficultés externes, nous avons été qualifiés de communistes parce que nous aidons les gens à devenir conscients de leurs droits. Même la Fondation Assise a été qualifiée ainsi. La question des peuples autochtones est devenue si complexe ! Et nous n’avons pas beaucoup de ressources pour soutenir nos programmes.

Que pensez-vous faire avec votre prix ?

Vous savez, Dieu seul connaît réellement les désirs de chacun. Je me suis dit que si j’avais seulement un million de pesos, je pourrais faire beaucoup de choses. Maintenant, on m’a donné plus d’un million. Je prie vraiment pour savoir ce que j’en ferai. 30 000 dollars US sont supposés être pour moi et 20 000 sont supposés être pour les projets. Donc j’ai pensé à utiliser les 30 000 dollars pour financer des bourses d’études et envoyer des membres des peuples autochtones à l’université. Je mettrai cet argent dans un compte bloqué pour qu’il ne soit pas dilapidé. Je procéderai doucement et il se peut que je commence avec cinq étudiants l’an prochain, puis six ou sept l’année suivante. Les 20 000 dollars restants seront pour un programme ou un centre dédié à l’animation de base (grassroots leadership). Nous formerons des leaders et aussi nous ouvrirons à des volontaires. J’aimerais fournir à des jeunes, spécialement à ceux qui viennent des écoles publiques la possibilité de servir leur pays.