Eglises d'Asie

CHRISTIANISME ET CULTURE COREENNE : les raisons du succès du protestantisme en Corée

Publié le 18/03/2010




L’auteur est professeur à l’université protestante Soongsil de Séoul. Il a étudié à Heidelberg en Allemagne et à Princeton aux Etats-Unis. Son analyse du protestantisme en Corée est intéressante car il montre bien l’arrière-plan culturel et religieux de la Corée de même que le rôle joué par les protestants dans la résistance contre les Japonais. Le plus intéressant est sans doute l’évaluation…

qu’il fait de l’utilisation de certains termes coréens traditionnels dans la liturgie et la théologie de l’Eglise. L’une des limites de ce texte est cependant qu’il ne mentionne jamais l’existence de l’Eglise catholique en Corée à laquelle adhèrent pourtant 7 % des Coréens. Pour l’auteur, ‘christianisme’ est strictement synonyme de ‘protestantisme’. C’est ainsi qu’il fait débuter l’histoire chrétienne de la Corée en 1884 avec la proclamation officielle de la liberté religieuse (qu’il ne mentionne pas non plus) et l’arrivée des premiers missionnaires américains. L’arrivée du christianisme avait eu lieu plus d’un siècle auparavant par l’entremise de jeunes lettrés coréens qui avaient lu Ricci et qui étaient devenus catholiques. Entre temps, plusieurs dizaines de milliers de martyrs avaient donné leur sang pour leur foi, fondant ainsi une Eglise chrétienne sur des bases mystiques qui ne se laissent guère enfermer dans une lecture strictement socio-politique. Certaines affirmations de l’auteur auraient sans doute été présentées dans une autre perspective s’il avait pris en compte l’histoire du christianisme catholique. Par ailleurs, la traduction faite à partir d’une version anglaise a posé quelques problèmes. Dans le langage courant de la plupart des pays asiatiques, “chrétien” est souvent synonyme de “protestant alors que les chrétiens catholiques sont désignés comme “catholiques romains Nous avons donc ajouté la qualification de “protestant” chaque fois qu’elle nous a semblé nécessaire pour une meilleure compréhension du texte. Pour le catholicisme coréen, le lecteur se référera utilement au dossier déjà paru dans le supplément EDA 399 (Dossier : “L’Eglise catholique en Corée Ce texte a paru en anglais dans la revue Exchange publiée simultanément à Leiden, aux Pays-Bas, et à Boston, aux Etats-Unis, vol. 33, n° 2, 2004. La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.

 

Après un siècle d’activités missionnaires, les Eglises protestantes coréennes comptent aujourd’hui dix millions de fidèles, constituant 20 % de la population totale de la Corée du Sud. La Corée possède ainsi soixante mille Eglises protestantes, cent mille ministres du culte et douze mille missionnaires à l’étranger, ce qui place le pays en seconde position derrière les Etats-Unis. En même temps, la Corée s’est fait connaître comme un pays missionnaire. Si l’on considère qu’il n’y a que 2 % de chrétiens protestants dans l’ensemble de l’Asie, on peut estimer que le christianisme protestant coréen a connu un succès historique remarquable, sans parallèle dans l’histoire de l’Eglise. Selon moi, les raisons de ce succès se trouvent dans la dynamique interne du protestantisme coréen lui-même, parce qu’il a su s’articuler sur la culture et les religions traditionnelles sans pour autant s’y intégrer. Il a réussi à transformer cette culture traditionnelle en s’y adaptant avec une certaine modération, même s’il y a eu aussi des conflits.

Samuel Moffet, missionnaire américain spécialiste de l’histoire de l’Eglise, qui a passé toute sa vie en mission en Corée, exprimait cela de la manière suivante : “Le protestantisme coréen a enseigné la justice sociale, considéré la science et l’instruction comme des valeurs importantes, ce qui l’a mis sur la même ligne que le confucianisme ; il a recherché la pureté et promis une autre vie, comme le bouddhisme le fait ; il a enseigné que la prière était efficace et que des miracles se produiraient, tout comme le chamanisme” (1).

L’auteur voudrait donc introduire la situation du christianisme protestant coréen, décrire sa croissance et ses problèmes, en inscrivant cette problématique dans le contexte culturel très caractérisé de la Corée.

Religion chamaniste et bénédiction ; la recherche de la prospérité pour aujourd’hui ; le terreau de la culture religieuse coréenne

Les religions traditionnelles de la Corée sont le chamanisme, le bouddhisme, le confucianisme et le taoïsme. Le bouddhisme a régenté la société coréenne depuis l’époque des Trois royaumes jusqu’à l’époque de la dynastie Koryo. Le confucianisme a été dominant pendant les cinq siècles de la dynastie Chosun, alors que le chamanisme est toujours demeuré le fond religieux des Coréens depuis l’établissement des anciens Chosun. Il était la religion populaire avant les époques bouddhiste et confucéenne. Bouddhisme, confucianisme et taoïsme se sont ensuite associés au chamanisme, ce qui a eu pour résultat le développement d’un syncrétisme religieux coréen spécifique.

Du fait de la position géographique particulière de la Corée, les Coréens ont subi d’une part de nombreuses invasions étrangères et souffert d’autre part de la pauvreté et de maladies. La foi chamaniste exerçait alors une très puissante influence sur ces Coréens (2) qui s’efforçaient de répondre à des ambitions et des besoins humains tels que le désir réel, la protection contre le malheur, la longévité, la santé, la naissance d’un garçon, la prospérité matérielle et la réputation. On dépendait des esprits pour la prospérité éventuelle d’une vie humaine. Les Coréens croyaient que les esprits étant les âmes des ancêtres décédés étaient déterminants pour le destin des individus. Le chamane était l’un des médiums qui pouvait mettre en relation les esprits et les humains.

Ainsi la foi chamaniste, recherchant ce type de prospérité matérielle, s’était donné une base culturelle et religieuse qui influençait le subconscient des Coréens qui voulaient que réponse soit donnée à leurs désirs concernant la vie matérielle, leur destin concret dans le siècle. De cette manière, Dieu avait préparé le schéma mental des Coréens à accepter l’Evangile. En faisant subir aux Coréens cinq mille ans de tribulations historiques, Dieu avait fait en sorte que leur mentalité soit orientée sur la foi en Dieu et sur sa bénédiction.

Même le christianisme protestant, introduit comme un outil de modernisation, après avoir été accepté comme tel et intégré au schéma mental coréen, a ajouté des apports considérables aux éléments du chamanisme. Au temps de l’invasion militaire japonaise et dans des circonstances économiques difficiles, les Eglises protestantes coréennes ont fourni aux Coréens la foi nécessaire pour dépasser et surmonter l’adversité et les calamités. Après la libération du pays, le protestantisme s’est développé pour devenir une religion articulée sur la prospérité ici et maintenant.

Le christianisme protestant fut accepté ainsi par beaucoup de Coréens comme la religion du succès individuel et de la prospérité nationale. Le fondement de la prédication de l’Eglise protestante fut reconnu comme efficace pour la bénédiction matérielle et la prospérité au présent par l’acceptation du Christ comme Seigneur. L’exemple le plus représentatif de cet état de fait fut la foi en la bénédiction prêchée par Yonggi Cho, de l’Eglise du Plein Evangile, qui est aujourd’hui la congrégation la plus importante du monde. Son message en trois temps est fondé (3) sur la troisième épître de Jean, 2 : “Cher ami, je souhaite que tu te portes bien à tous égards, et que ta santé soit bonne ; qu’il en aille comme pour ton âme qui, elle, se porte bien Cette parole promet le salut de l’âme, la santé du corps et la prospérité matérielle. Jusque dans les années 1970, la prédication des Eglises protestantes connues et des réunions du Renouveau ont mis l’accent sur la guérison par la foi et les miracles de Jésus comme étant le thème le plus important (4).

La religion chamaniste, qui guérissait les malades, chassait les démons, réconfortait les détresses et prophétisait l’avenir, a joué un rôle dans la pré-compréhension des Coréens et a fait qu’ils ont cru facilement à l’Evangile surnaturel des merveilles accomplies au nom du Christ prêché par le protestantisme. Dans son projet de démythologisation, Rudolph Bultmann faisait une proposition d’herméneutique existentielle afin de faciliter aux hommes modernes la seule acceptation de la signification existentielle des miracles bibliques en les considérant non pas comme des événements réels mais comme des expressions mythologiques.

Sa théologie existentielle causa beaucoup de controverses non seulement dans l’Eglise occidentale mais aussi dans l’Eglise d’Asie. Les Coréens contemporains ont culturellement l’expérience de la descente des esprits, de la guérison des malades et de l’exorcisme à travers le chamanisme traditionnel. Par conséquent, ils ne manifestent aucun scepticisme quand ces événements se produisent aujourd’hui au nom de Jésus-Christ. Les éléments mythiques qui viennent du chamanisme ont joué un rôle positif dans la propagation de l’Evangile (5). Jusqu’à présent, le chamanisme a joué un rôle éminent dans l’établissement d’une pré-compréhension de l’Evangile chrétien.

Après les années 1980 cependant, l’Eglise coréenne a commencé à mettre l’accent sur la responsabilité sociale des chrétiens, ce qui a éveillé la conscience morale des chrétiens sur la réalité qui les entoure, tout en participant activement au processus de démocratisation en cours. Depuis le milieu des années 1990, à partir du moment où le PIB coréen a dépassé les dix mille dollars par habitant, les pasteurs coréens ont commencé à parler en chaire de croissance qualitative, de foi fructueuse, de la nécessaire relation entre foi et comportement, d’une foi mature afin de rester fidèle à la volonté de Dieu au sein de toutes les réalités vécues par les chrétiens. Par ailleurs, des pasteurs presbytériens réformés faisaient de la prédestination et de la responsabilité transformatrice vis-à-vis de la réalité, les thèmes centraux de leur prédication.

La fin de la dynastie Chosun et le vide laissé par la religion traditionnelle

La dynastie Chosun était un gouvernement civil qui donna priorité à la science humaine et fit du confucianisme la religion d’Etat pendant cinq siècles. La dynastie était militairement faible. Elle conduisit une politique d’imitation exclusive de la dynastie des Qing et fut minée intérieurement par la corruption des fonctionnaires. Le militarisme japonais, qui avait accepté la civilisation occidentale auparavant, en vint à bout. Cet écroulement ne signifiait pas seulement la fin de la dynastie mais aussi la fin du pilier religieux qui avait soutenu la société pendant cinq cents ans.

De plus, le pays dut faire face à un état de crise causé par la perte de souveraineté amenée par l’occupation japonaise forcée. Le confucianisme qui dominait la société à cette époque se révéla incapable de jouer un rôle spirituel pour protéger le peuple dans cette crise. Même les autres religions traditionnelles comme le bouddhisme, le taoïsme et le chongdoyo, qui étaient plus indigènes, ne réussirent pas à empêcher la chute de la dynastie Chosun.

Ainsi, l’annexion de la Corée par le Japon en 1910 provoqua la chute de la dynastie Chosun. Elle créa en même temps un vide laissé par les religions traditionnelles. C’est dans ce vacuum spirituel que le christianisme, venant d’Occident, apparaît comme une sorte de compensation en fournissant un système important de valeurs spirituelles afin de reconstruire l’esprit de la dynastie détruite Chosun. Le roi disparut en tant que leader de la nation. Les piliers sociaux sur lesquels le minjung (peuple ordinaire) avait l’habitude de s’appuyer disparurent eux aussi. En conséquence, le peuple fut obligé de trouver espérance et salut dans le christianisme, parce que cette foi semblait amener une lumière et apparaissait devoir devenir un instrument de modernisation, puisqu’il revendiquait l’égalité des quatre classes sociales : les savants, les paysans, les ingénieurs et les marchands. La guerre sino-japonaise éclatait en 1894, suivie par la guerre russo-japonaise en 1904. Pendant ces guerres, le nombre des chrétiens coréens augmenta considérablement. Le minjung opta pour l’Eglise, qu’il considérait comme appartenant aux étrangers, afin de protéger les vies et les biens. C’est la raison pour laquelle le nombre des chrétiens augmenta fortement au cours de cette période (6).

Ce schéma socio-culturel du christianisme protestant coréen se trouvait en contraste avec le christianisme japonais. Le Japon avait accueilli des missionnaires chrétiens un siècle plus tôt que la Corée. Mais le christianisme japonais est demeuré à environ 0,6 % de la population totale jusqu’à aujourd’hui. L’une des principales raisons en est que le shintoïsme, religion nationale centrée autour de l’empereur, s’est établi comme une religion civile. Les Japonais considèrent le christianisme comme une religion occidentale. Par conséquent, pour eux, abandonner le shintoïsme pour accepter le christianisme revenait à devenir un traître à la patrie. En Corée, où le militarisme japonais a régné pendant trente-six ans, la situation était exactement inverse. Ici, l’acceptation du christianisme était associée au choix du nationalisme et du patriotisme.

L’Eglise chrétienne devint un centre pour le mouvement de l’indépendance pendant l’occupation japonaise. Après la libération, le christianisme protestant fut introduit dans le gouvernement civil à travers le système des aumôniers militaires. L’Eglise pria pour le pays au moment de la guerre de Corée. Elle commença à organiser des conférences évangélistes nationales dans les années 1960, et Billy Graham fut aussi invité dans les années 1970. Ces activités eurent pour résultat une nouvelle augmentation du nombre des chrétiens et manifestèrent l’unité et la puissance de l’Eglise chrétienne. Dans les années 1970, des Eglises progressistes jouèrent un rôle important dans la défense de la démocratie contre le régime dictatorial de l’époque. Dans les années 1980, Eglises conservatrices et progressistes ensemble participèrent à mettre fin au régime militaire et à l’ouverture de l’ère démocratique. Aujourd’hui, l’Eglise se joint au mouvement des ONG au travers de divers rassemblements missionnaires et d’activités profanes. Le Mouvement chrétien pour une pratique éthique et la campagne pour une économie orientée sur la justice, qui ont eu beaucoup d’influence sur la société coréenne, représentent assez bien les ONG dans lesquelles les chrétiens sont actifs.

La rencontre du nationalisme

Selon moi, le succès du christianisme protestant en Corée provient de ce qu’il a marché la main dans la main avec le nationalisme (7), devenant un instrument de la modernisation, alors que, durant l’époque coloniale dans le Sud-Est asiatique, le christianisme coopérait avec les gouvernements occidentaux et devenait leur collaborateur. Ainsi, en Inde, en Chine et au Japon, le christianisme fut rejeté comme une religion occidentale. Pourtant, en Corée, le christianisme a poussé à la prise de conscience et à la modernisation en même temps qu’il est devenu un centre du mouvement national. Dans cette situation, les missionnaires protestants occidentaux arrivés en 1884 essayèrent de protéger le nationalisme en faisant de leurs résidences, qui possédaient un statut d’extraterritorialité, des abris sûrs. C’est pour cette raison et par son soutien à la campagne de conscientisation que le protestantisme fut naturellement associé au nationalisme.

Les nouveaux intellectuels qui se trouvaient dans cette mouvance de réforme créèrent en 1896 une association pour l’indépendance, et les plus radicaux parmi eux s’organisèrent autour de la société Shinmin à partir de 1907. Cette dernière organisation était clandestine et luttait contre le régime colonial japonais. Leur foi patriotique se fondait sur la conviction que foi en Jésus et salut de la nation n’étaient pas séparés mais participaient d’une même appartenance. Cette foi nationale devint une source dynamique du mouvement patriotique au sein des Eglises coréennes dans cette période de souffrance nationale. En 1910, quand Chosun – c’était le nom de la Corée à cette époque – finit par devenir une colonie du militarisme japonais, des chrétiens participèrent au mouvement patriotique, en éveillant la conscience nationale. L’Eglise devint un lieu central où les gens qui avaient perdu leur pays pouvaient se réunir en sécurité, se rencontrer, se réconforter mutuellement et échanger des informations.

Le mouvement pour l’indépendance du 1er mars 1919 fut une campagne qui couvrit l’ensemble du territoire national et qui fut initié par des chrétiens. Ceux-ci étaient au cour de la campagne. Ils jouèrent un rôle déterminant dans l’organisation et l’expansion de cette campagne sur l’ensemble du territoire. Les organisations nationales des Eglises de même que les Eglises locales furent utilisées à cette fin. C’est pour cette raison que l’Eglise chrétienne fut le groupe le plus persécuté par le militarisme japonais (8). La police japonaise considérait l’Eglise de cette époque comme le centre de l’agitation anti-japonaise (9). Le christianisme n’était pas un parti politique mais c’était la seule organisation dans laquelle réunions, associations et journaux étaient autorisés car, à cette époque, ces libertés n’existaient pas ailleurs. Dans cette situation, la communauté chrétienne et la mouvance indépendantiste étaient obligés de se soutenir et de coopérer.

Après le mouvement d’indépendance du 1er mars, la politique coloniale japonaise se transforma et, de militaire qu’elle était, devint culturelle. Les libertés de réunion, d’association et de presse furent accordées aux mouvements patriotiques. Ceux-ci commencèrent donc à s’organiser dans le champ socio-politique et à publier leurs propres journaux. De cette manière, le christianisme devint le lieu d’observation du monde extérieur plutôt que le lieu à partir duquel on regardait les problèmes de la société. Ainsi, une fracture (10) apparut dans le lien entre le christianisme et les cercles patriotiques. Les dirigeants chrétiens devinrent une classe sociale distincte considérée comme honorable et digne. Ils voulaient que le christianisme s’établisse purement comme une religion plutôt que d’être engagé dans une problématique sociale.

Après la libération de la Corée et jusque dans les années 1970, les Eglises conservatrices se montrèrent assez réticentes à la participation sociale, alors que les Eglises progressistes étaient plus ouvertes dans ce domaine. Au cours des années 1970, pendant les régimes dictatoriaux, quand le parlement fut dissous et que les droits de l’homme étaient bafoués, les Eglises conservatrices furent du côté gouvernemental alors que des membres des Eglises progressistes participaient à la protection des droits de l’homme, protestaient contre le régime de dictature et se faisaient emprisonner. Les Eglises progressistes contribuèrent ainsi au développement de la démocratie et à la promotion des droits de l’homme. Plus tard, les Eglises conservatrices furent de plus en plus influencées par l’Alliance de Lausanne. Cette Alliance, approuvée à Genève en 1974, déclarait que l’évangélisme et la participation dans la société étaient aussi inséparables que les chaussures d’une même paire. En conséquence, ces Eglises évoluèrent vers une position plus ouverte au début des années 1980.

C’est ainsi qu’en 1986 les Eglises conservatrices participèrent à la campagne pour forcer le gouvernement à accepter l’élection du président de la République au suffrage universel. Aujourd’hui, l’Association évangélique coréenne, la Mission chrétienne pour la Corée du Nord, la Société coréenne de théologie évangélique, la Société coréenne de théologie réformée participent à des discussions sur le lien social et l’unification, tout en organisant des séminaires et des recherches communes sur la démocratisation, l’humanisme, la participation de la société, particulièrement autour des problèmes de distribution juste des biens et d’une gestion politique transparente.

Le christianisme comme porteur de lumière

Le christianisme protestant fut introduit en Corée comme un instrument destiné à éclairer la nation. Les missionnaires chrétiens commencèrent une mission indirecte dans les domaines de l’éducation et de la santé, plutôt qu’une mission directe d’évangélisation, afin de pénétrer une société confucéenne close. La création d’établissements éducatifs et médicaux devint la pierre d’angle de la modernisation.

Les missionnaires américains qui arrivèrent en Corée en 1884 étaient un docteur en médecine, H.N. Allen, qui travaillait en même temps au consulat, le pasteur presbytérien H.G. Underwood et le pasteur méthodiste H.G. Appenzeller. Ils choisirent de mener leur action missionnaire à travers des établissements scolaires et médicaux. La création d’hôpitaux et d’écoles fut reçue avec enthousiasme dans la société coréenne qui aspirait à l’introduction d’une société moderne et à un esprit éclairé. Quand les missionnaires commencèrent à avoir des activités proprement missionnaires à travers les instituts médicaux ou scolaires, des écoles et des hôpitaux furent construits comme des bases pour une propagation directe de l’Evangile et l’établissement de l’Eglise.

Les missionnaires commencèrent d’abord avec des missions médicales. En 1884, le membre du consulat, le Dr Horace N. Allen, soigna Youngik Min qui avait été grièvement blessé pendant des troubles politiques. Il le guérit. Ses talents médicaux étant reconnus, il reçut l’autorisation d’établir l’hôpital Kwanghaewon en 1885, qui devint ainsi le premier établissement de médecine occidentale. Cet hôpital allait jouer un rôle central non seulement en tant qu’établissement médical mais aussi pour le travail missionnaire, parce qu’il était approuvé par le roi. Grâce à la donation d’un homme d’affaires américain, Severance, l’hôpital put acquérir un nouveau bâtiment à l’extérieur de Nandaemoon, qui est aujourd’hui devenu l’hôpital Severance.

En ce qui concerne l’éducation, l’école Baejai fut fondée en 1886. En 1897, le missionnaire William M. Baird commença l’école Soongsil dans sa salle de séjour. L’école établit un programme pré-universitaire en 1906. Le collège Soongsil devint ainsi la première pré-université moderne. L’école pour filles Ewha fut établie en 1886 et l’école Yonhee en 1915. Aujourd’hui, ces trois instituts d’éducation sont d’importantes universités chrétiennes en Corée.

Le nombre des chrétiens augmenta lui aussi, et ceux-ci se concentraient dans la province du nord-ouest. La raison en était que les chrétiens réveillaient le sentiment national en faisant savoir que le salut d’une nation en déclin passait par le fait de devenir un homme nouveau dans un esprit de sacrifice et de service en Jésus-Christ (11). Dans la société confucéenne de l’époque, l’enseignement du christianisme était révolutionnaire (12). Le christianisme enseigne que tous les hommes sont égaux devant Dieu. Les chrétiens croient que les classes supérieures et inférieures de la société, hommes et femmes, adultes et enfants sont égaux. Ils pratiquent tous le culte dans le même lieu. Ils affirmaient que la discrimination confucéenne en ce qui concerne le statut social, le culte des ancêtres, le concubinage, l’addiction à l’opium étaient contraires à la morale chrétienne, et ils essayaient de réformer les manifestations vides et ostentatoires du confucianisme.

L’Eglise et les écoles d’Eglise devinrent le centre d’un nouveau mouvement culturel. Le mouvement national chrétien fonctionnait aussi dans l’agriculture et dans le mouvement pour la tempérance dont le but était de faire que les gens se nourrissent bien. A cette époque, les paysans, plus de 80 % de la population totale, connaissaient une vie difficile à cause de l’exploitation japonaise. L’Eglise coréenne dirigea très largement le mouvement agricole. Elle dirigeait en même temps un mouvement social en faveur de la tempérance pour protéger la jeunesse de la pollution par une culture japonaise décadente. A travers ces deux campagnes, elle essayait d’obtenir l’indépendance nationale tout en évitant la persécution japonaise.

Le mouvement patriotique pour sortir de l’obscurantisme de la première période chrétienne en Corée contribua à faire reconnaître le christianisme comme une religion qui apportait beaucoup à la nation et au pays, alors qu’en Asie du Sud-Est, il était rejeté comme une religion occidentale ou une puissance coloniale. En Corée, le christianisme fut capable d’aider à la croissance du pays grâce à l’ancien (au sens d’aîné) de l’Eglise méthodiste, Sungman Lee, qui devint le premier président de la République de Corée.

Mission évangélique et politique forte d’évangélisation

Les missionnaires coréens possédaient un esprit évangélique et ils construisirent l’Eglise coréenne comme un corps indépendant en lui appliquant la méthode Nevius. La méthode Nevius, que l’on peut résumer comme étant “auto-propagation, auto-gestion et auto-gouvernement utilisait les missions médicales et éducatives pour amener l’Eglise coréenne à devenir une structure indépendante et dynamique destinée à évangéliser la société. Les premiers missionnaires se tenaient socialement et politiquement du côté des cercles nationalistes. Dans leur stratégie missionnaire, ils partirent de l’idée que la religion et l’Etat étaient séparés et que l’Eglise devait seulement propager l’Evangile. Ainsi quand les assemblées de renouveau s’organisèrent, les fruits concrets en sortirent sous la forme du mouvement d’éveil spirituel de l’Eglise presbytérienne de Jangdaehyun, à Pyongyang en 1907 (13). Ce fut la naissance spirituelle de l’Eglise coréenne ; les missions évangéliques avaient commencé. Les missionnaires de l’Evangile furent envoyés dans tout le territoire national.

Quand la campagne pour l’indépendance du 1er mars 1919, dirigée essentiellement par des chrétiens, échoua, le christianisme se tourna d’une politique de campagnes sociales vers une politique de stricte propagation de l’Evangile (14). Ainsi, le christianisme se sépara des pouvoirs séculiers qui utilisaient l’Eglise pour des fins socio-politiques et se consacra seulement à la prédication de l’Evangile plutôt qu’aux questions socio-politiques. Le christianisme, avec cette séparation de la religion et de la politique, évitait ainsi le conflit avec le pouvoir japonais et concentrait son activité sur la propagation de l’Evangile. Après la libération, le christianisme s’adonna avec zèle à des missions domestiques et des Eglises poussèrent comme des pousses de bambou après la pluie, sous la présidence d’un chrétien. L’Eglise coréenne eut la chance de s’agrandir considérablement grâce aux conférences évangéliques nationales dans les années 1960 et 1970. En arrière-plan de ce grand développement, se retrouvait l’attitude positive du peuple vis-à-vis de l’esprit patriotique manifesté par l’Eglise au cours de l’occupation japonaise.

Harvie Conn, missionnaire américain dévoué à la Corée, dit que cette mission intégrale a largement contribué à la rapide croissance de l’Eglise coréenne. Il se souvenait d’une Eglise dans une ferme coréenne qu’il avait visitée quelques années auparavant. Cette Eglise avait doublé en cinq ans. Il lui rendit visite à nouveau avec un étudiant de séminaire pour essayer d’en découvrir la raison. La question qu’il posa aux membres de l’Eglise était la suivante : “Comment expliquez-vous la rapidité de la croissance de cette Eglise ?” Personne ne répondit pendant un certain temps. Néanmoins, il trouva la réponse après avoir rencontré un couple de la congrégation. Ce couple était arrivé dans cette localité cinq ans auparavant. Ils utilisaient un évangélisme intégral : quand une femme de la localité tombait malade, l’épouse lui préparait de la nourriture et lui parlait de Jésus. Quand un homme avait besoin d’aide, le mari l’aidait. C’est ainsi que ce couple gagna la confiance de la population de cette localité. Ainsi le chemin de l’évangélisme était ouvert (15). La croissance de l’Eglise coréenne s’explique par le zèle évangélique des chrétiens, combiné à l’aide fournie au voisin dans les situations difficiles, gagnant ainsi leur confiance en témoignant de l’Evangile avec enthousiasme.

Le concept traditionnel de Dieu “Hananim »

Le concept ‘qui a son origine dans la culture coréenne a joué un grand rôle dans le succès de la communication du concept chrétien de Dieu. Les premiers missionnaires croyaient que le concept traditionnel de Dieu, Hananim, était similaire au concept chrétien de Dieu (16). Le missionnaire John Ross, qui fut le premier à traduire la Bible en coréen, écrivait ainsi : “Le Hananim est tellement distinct et tellement utilisé partout qu’il n’y a pas à avoir de crainte pour les traductions et les prédications futures” (17).

D’abord, Hananim signifiait pour les Coréens la divinité la plus haute. Hana signifie ‘grand et haut’, c’est la signification de han. Nim signifie la personne. Le concept Hananim fait allusion à l’excellence de Dieu. Les dieux que les Coréens avaient l’habitude d’adorer appartenaient à 273 catégories. Parmi eux, Hananim occupait la plus haute position (18). La puissance de Hananim représentée par ce concept était absolue et toute puissante. Ce concept communiquait une image du Dieu chrétien comme étant le Dieu des dieux.

H. B. Hulbert disait que la foi en Hananim diffère du chamanisme de la manière suivante : elle est très éloignée d’une simple adoration de la nature. Les Coréens considèrent cet être comme le roi suprême de l’univers. Il est totalement séparé et à l’extérieur du cercle des divers esprits et démons qui habitent la nature. Le Hananim n’a jamais été adoré à travers des rites idolâtres. De manière habituelle, le peuple n’adore pas Hananim. Il n’est prié que par l’empereur (19).

Ensuite, Hananim signifie le Dieu unique. Hana ne signifie pas ‘le divers’ mais le seul et unique. Il y a beaucoup d’esprits et de fantômes dans les cieux, mais Dieu est le seul et unique Dieu. Le concept ne porte pas le sens d’un Dieu-Trinité, mais celui du Dieu unique tel qu’il apparaît dans l’Ancien Testament et auquel les prophètes rendent témoignage. Hulbert disait encore : “Les Coréens sont strictement monothéistes et les pouvoirs attribués à cet être sont en telle corrélation avec ceux de Jehovah que les missionnaires protestants étrangers ont presque tous accepté d’uti-liser ce terme dans l’enseignement du christianisme” (20).

Par ailleurs, Hananim possède la compassion. Il accepte toutes les prières humaines et libère l’être humain de toutes souffrances et tribulations. Hana s’origine dans les cieux. Hanul signifie Hananim au-delà des cieux du monde naturel, donc nommément un Dieu personnel (21). Hanulnim était Dieu pour les Coréens. Ceux-ci priaient Dieu pour leur libération quand ils devaient faire face à des souffrances et tribulations qu’ils ne pouvaient résoudre par eux-mêmes. Ce Dieu est Celui qui règne sur la terre et le ciel, qui gouverne toutes choses du monde et qui est responsable de la destinée des hommes. Ce concept de Dieu nous communique l’image d’un Dieu qui nous est proche, qui nous gouverne et qui nous sauve de nos souffrances.

Reconnaissant ainsi que le Dieu absolu des chrétiens avait un équivalent culturel dans le concept de Dieu qui existait déjà dans la culture religieuse des Coréens, beaucoup de ceux-ci acceptèrent le christianisme (22). Ils n’éprouvèrent pas de difficulté à comprendre le Dieu chrétien au moment de la mission protestante. Après être devenus chrétiens, ils essayèrent de se débarrasser des éléments panthéistes et chamanistes contenus dans le concept traditionnel de Dieu, en étudiant les concepts bibliques de Dieu. De cette manière, ils s’efforcèrent de transformer le dieu indigène en Dieu chrétien (23).

Ce terme de Hananim joua le rôle d’un pont herméneutique pour comprendre le concept traditionnel, culturel et religieux de Dieu par rapport au concept chrétien (24). Ce ter-me cependant n’explique pas pleinement le Dieu chrétien. Nous devons maintenir une attitude critique sur les éléments chamanistes et panthéistes qu’il contient. Sinon, les dieux chamanistes habillés de vêtements chrétiens continueront à avoir de l’influence. C’est dans ces termes que nous devons donner le baptême chrétien. Le concept traditionnel de Hananim conserve une saveur panthéiste. Il ne contient pas d’élément trinitaire ni celui de Christ médiateur. Par conséquent, le christianisme coréen doit porter l’idée d’une culture théologique transformée. L’idée c’est que le Christ est celui qui transforme la culture religieuse.

Le concept de Han (ressentiment) et la théologie Minjung

La théologie Minjung est un mouvement qui réfléchit théologiquement sur le concept du han du minjung, c’est-à-dire le ressentiment du peuple ordinaire. Le mouvement commença dans les années 1970 quand le régime politique était dictatorial et que les droits de l’homme étaient violés. Le ressentiment avait son origine dans la position géographique de la Corée entre la Chine et le Japon. La Corée a été attaquée plus de neuf cents fois par le nord par les Chinois et les Mongols, et par le sud par les Japonais. Le minjung coréen avait souffert de l’extérieur, à cause des envahisseurs, et de l’intérieur, à cause des fonctionnaires corrompus. Le minjung vivait dans une sorte de ressentiment, une émotion profonde faite de souffrance mentale accumulée à travers l’expérience de l’injustice, de la répression, du mal et du malheur dans toute son histoire. Le han (ressentiment) est une aspiration à la pratique de la justice (25).

La théologie Minjung fut une application coréenne de la théologie de la Libération qui réfléchit théologiquement sur la libération des pauvres. La théologie de la Libération a son origine en Amérique latine dans les années 1960. La théologie Minjung fut une théologie pour ceux qui étaient socialement et politiquement opprimés sous le régime militaire dictatorial des années 1970. Elle se manifesta dans les lieux où le ressentiment du minjung était à son comble (26) ; dans l’immolation par le feu, en signe de protestation, de l’ouvrier Taeil Jun dont le travail était exploité par un salaire trop bas, et dans la mort de l’ouvrière Kyungsook Kim, qui était engagée dans un conflit de travail et qui fut tuée par les pouvoirs publics en 1973. Les cercles théologiques Minjung organisèrent une campagne de protestation théologique contre la suppression des droits de l’homme et l’exploitation de la classe ouvrière dans les années 1970. Ce mouvement théologique joua par la suite un rôle important dans les développements qui amenèrent la démocratie et des progrès dans le respect des droits de l’homme au cours des années 1980.

Byungmoo Ahn définit le concept de minjung en utilisant le terme grec de ochlos plutôt que celui de laos (27). D’abord, était le groupe qui se rassemblait autour de Jésus où qu’il aille. Ce groupe était composé de malades, de pauvres, d’affamés, de veuves et incluait beaucoup de percepteurs et de pécheurs. En second lieu, était différent du groupe des disciples. Jésus blâmait ses disciples pour leur ignorance, mais il ne blâmait pas . Tout au contraire, il acceptait ce dernier groupe sans conditions. Troisièmement, était le minjung de Galilée en contraste avec la classe au pouvoir à Jérusalem. Quatrièmement, les membres de étaient les boucs émissaires manipulés et achetés par les puissances. La théologie Minjung, telle qu’on la voit dans l’interprétation de Marc par Ahn, interprète le Nouveau Testament comme une représentation sociale et idéologique. C’est ainsi que la théologie Minjung déforma la véritable signification du texte en l’interprétant non pas comme un texte mais à partir d’un contexte. Dans l’interprétation de Ahn, le sujet de l’Evangile n’est pas l’histoire de Jésus de Nazareth qui est le Messie du minjung, mais l’histoire du minjung lui-même.

Depuis les années 1990, après que la démocratie politique fut advenue et que la société post-industrielle se fut installée, le mouvement des organisations non gouvernementales (ONG) s’est activement développé et le concept de minjung a décliné. Pendant ce temps-là, le nouveau concept de ‘citoyen’ est devenu un thème commun. Ce mouvement civil s’est développé comme suit : d’abord il met en avant la transparence et la responsabilité du pouvoir, ensuite il établit une organisation légale dans laquelle la responsabilité des citoyens s’exprime démocratiquement ; troisièmement, il met l’accent sur la prise de conscience de chaque citoyen pour organiser des projets d’aide aux citoyens les plus faibles et démunis socialement. De cette manière, les ressources offertes par la théologie Minjung, qui accumulait les ressentiments du minjung contre l’oppression socio-politique et faisait du minjung une puissance dynamique de résistance, se sont considérablement amoindries. Des voix critiques se sont élevées demandant davantage de réflexion sur eux-mêmes à la première génération des théologiens Minjung. Ces voix disent que la théologie Minjung doit revenir au texte biblique.

Le système éthique confucéen

Le christianisme coréen s’est gardé d’entrer en conflit avec le système existant d’éthique sociale, affirmant ainsi qu’en termes d’attitude ou de comportement et de valeurs familiales, les normes éthiques protestantes sont en accord avec les valeurs confucéennes. Aujourd’hui, les valeurs confucéennes qui ont dominé la société au temps de la dynastie Chosun pendant un demi millénaire restent influentes sur les Coréens. Les hautes normes éthiques suggérées par le protestantisme sont sur beaucoup de points similaires au système de valeurs confucéennes dans lesquelles les Coréens ont vécu. Les fondamentaux de l’éthique chrétienne correspondent à ceux du confucianisme. Par exemple, des valeurs confucéennes comme celle de pauvreté honnête, de vie paisible, de loyauté et de piété filiale, d’honnêteté, de sincérité, de fidélité et de pureté coïncident avec les normes fondamentales des dix commandements.

En premier lieu, la vision de la famille en termes de valeurs est similaire à la vision éthique chrétienne. L’idée confucéenne de piété filiale correspond au devoir filial des chrétiens vis-à-vis de leurs parents. En mai, mois de la famille, les thèmes des sermons dans les Eglises protestantes sont essentiellement centrés sur l’honneur dû aux parents, l’amour familial, l’amour du mari et de la femme, l’amour fraternel. L’histoire de Ruth dans l’Ancien Testament, par exemple, dans laquelle une veuve enseigne le devoir filial à sa belle-mère, n’est pas sans rapport avec certaines vertus confucéennes. L’idée paulinienne des relations entre époux, demandant l’obéissance de la femme à son époux, est aussi en rapport avec l’éthique confucéenne qui enseigne la même chose (Eph. 5, 22-23).

En deuxième lieu, l’honneur dû aux ancêtres correspond à des valeurs chrétiennes, bien que le culte confucéen, en termes de rites religieux, soit un culte idolâtre à l’âme d’un ancêtre et se trouve donc en conflit avec les concepts chrétiens. Cependant, en substance, il correspond à la valeur chrétienne de piété filiale dans le respect dû aux ancêtres. L’interdiction du culte des ancêtres durant la première période de l’Eglise chrétienne en Corée devint un obstacle majeur à la prédication de l’Evangile. Elle fut même à la racine de la persécution. Le christianisme d’aujourd’hui, cependant, a imaginé un nouveau culte en mémoire, comme un équivalent chrétien, en supprimant du culte des ancêtres le besoin de courber la tête et d’offrir des sacrifices aux divinités ancestrales. De cette manière, le protestantisme a réussi à contextualiser l’Evangile dans la culture coréenne en introduisant la valeur confucéenne de culte des ancêtres dans les valeurs chrétiennes. Ainsi, l’Eglise coréenne, en ayant une attitude tolérante vis-à-vis du culte des ancêtres, a permis aux chrétiens de participer à cette cérémonie, sans la flexion rituelle. Aujourd’hui, les adultes non chrétiens approuvent cette attitude des chrétiens. Une petite partie, plus libérale, des Eglises protestantes considérait le culte des ancêtres simplement comme un devoir filial qui n’a rien à voir avec un rituel religieux, et donc l’approuvait. De cette manière, contrairement à la Chine, au Japon ou à l’Inde, le culte des ancêtres en Corée a été transformé en rituel chrétien.

En troisième lieu, le système familial centré sur le mâle s’accorde aux valeurs chrétiennes de système patriarcal, qui est un système de valeurs familiales suggéré par l’Ancien comme par le Nouveau Testament.

Le fait que 80 % des chrétiens protestants coréens sont des presbytériens s’explique par le climat culturel et par le fait que la structure de l’Eglise coïncide avec le système confucéen de valeurs, qui demande le respect pour les vieux et les anciens. Par conséquent, en Corée, un système respectueux des anciens a été introduit non seulement chez les presbytériens mais aussi chez les méthodistes, les baptistes et les Assemblées de Dieu.

La co-existence avec les autres religions

Aujourd’hui le christianisme protestant s’est établi comme une religion familière au côté des religions traditionnelles telles que le chamanisme, le bouddhisme, le confucianisme et le taoïsme. A cause du fait que, à l’exception du christianisme, aucune des religions traditionnelles n’a joué un rôle important dans la modernisation et l’accès au progrès de la Corée, les jeunes générations ont tendance à regarder le christianisme d’aujourd’hui, qui entre temps s’est enraciné dans l’esprit et la culture des Coréens, comme une religion dynamique qui va au-delà du bouddhisme et du confucianisme. Parce qu’il met l’accent sur la vie pratique, alors que les religions traditionnelles sont orientées sur la méditation, le christianisme protestant a joué un rôle dirigeant dans les questions sociales, manifestant la dynamique d’une conscience éthique et l’importance significative d’une technologie avancée dans des domaines tels que la bioéthique et la préservation de l’environnement.

Les principales Eglises protestantes ont gardé des relations sereines avec les religions traditionnelles, mais certains groupes fondamentalistes considèrent le dialogue avec elles comme tabou. Dans les questions sociales, comme l’unification du sud et du nord de la Corée, l’honnêteté des campagnes électorales, l’aide aux victimes d’inondations, l’engagement dans la défense des droits de l’homme, des droits des travailleurs ou des consommateurs, le christianisme protestant coopère avec les autres religions. Par conséquent, en Corée, il n’y a pas eu de conflit interreligieux comme on en voit entre l’hindouisme et l’islam en Inde ou au Pakistan. En Corée, l’islam est une petite minorité et ses adhérents sont très peu nombreux. Les religions traditionnelles comme le bouddhisme, le confucianisme et le taoïsme sont paisibles. Le christianisme lui aussi est paisible vis-à-vis des autres religions. On peut donc parler en Corée de coexistence religieuse. La pluralité religieuse est acceptée par tous les croyants comme une réalité.

Dans ‘l’académie chrétienne’ dirigée par les cercles protestants libéraux, un dialogue religieux entre bouddhisme et christianisme s’est organisé. Il y a des difficultés dans ce dialogue avec le bouddhisme dues aux différences dans les sotériologies et les cosmologies respectives. En ce qui concerne le confucianisme, il est un système de valeurs morales plutôt qu’une religion.

Les transformations culturelles et la Foi réformée

Se débarrasser des éléments du chamanisme

La pratique chamaniste de résoudre les frustrations et les souffrances de la vie par la prière et des rituels permettait aux Coréens de connaître Dieu comme une source de bénédictions, tout comme le christianisme le fait. La foi chamaniste leur donnait une importante pré-compréhension qui a permis que l’Evangile soit communiqué facilement et entre profondément dans la conscience coréenne. La foi chrétienne des Coréens telle qu’elle est comprise par la mentalité chamaniste est cependant toujours en danger de s’immobiliser dans cette mentalité pour améliorer la prospérité matérielle par des moyens non rationnels. Dans une telle foi, il manque la rationalité et la pratique concrète pour surmonter l’affliction, la souffrance ou la catastrophe, parce qu’on utilise exclusivement les moyens chamanistes sans réflexion rationnelle et sans les efforts pratiques pour résoudre les problèmes réels.

Aujourd’hui, le christianisme coréen doit sublimer la foi chamaniste pour en faire une foi mature et moderne. La foi mature consiste non seulement à vivre avec un Dieu qui résout les problèmes de la vie dans les situations extrêmes, mais aussi avec l’Unique qui se trouve au centre de la vie. Elle implique qu’on glorifie et qu’on rende grâces à Dieu et que l’on vive avec Dieu moralement. Dans cet âge post-moderne, nous avons besoin d’un esprit de partage avec ceux qui ont moins, d’un esprit de don, de service du prochain, que la foi soit engagée en Dieu pour respecter les femmes et honorer la vie.

La sublimation du han

Les ressentiments ne doivent pas se transformer en vengeances. Le ressentiment qui continue d’être exprimé par le minjung ne devrait pas continuer d’exister comme un ressentiment qu’il faudrait satisfaire (29) par le moyen des danses satiriques des fêtes du Nouvel An. Il faut aller plus loin et l’exorciser par l’amour rédempteur de la Croix. L’expression du ressentiment est chamaniste. L’exorcisme des ressentiments est possible à travers l’amour crucifié. Le han doit se transformer en pardon. La sublimation du han est réalisée par la première victime qui reçoit une guérison intérieure par l’amour de la croix. Quand les victimes acceptent la guérison, elles trouvent la paix de l’esprit.

Purifier le concept de Hananim

Nous devons nettoyer les résidus chamanistes qui restent dans le concept de Hananim et nous devons enraciner le concept de Dieu-Trinité dans la culture coréenne. Dans le concept de Hananim, Dieu est essentiellement représenté comme celui qui est responsable de la prospérité, mais on néglige l’image du Dieu qui exige une bonne vie morale. En d’autres termes, dans le concept de Hananim, Dieu est uniquement représenté comme le sauveur tout puissant, celui qui résout les problèmes de la vie réelle. Mais l’image de Dieu comme celui qui est venu parmi nous au milieu des tribulations, de la maladie, de l’échec et de l’adversité est faible.

Le concept d’un Dieu-Trinité qui dit que l’essence divine unique existe en trois personnes devrait devenir une donnée indigène dans la culture coréenne. Les dieux coréens du mythe de Dangun, mythe national des origines (Hwanin, Hwanung et Dangun), font allusion aux dieux chamanistes. Ils n’expliquent pas le Dieu-Trinité (30). Alors que les dieux chamanistes n’ont aucune dimension morale et ne sont pas concernés par la vie réelle, le Dieu chrétien sauve l’être humain, le met au défi d’une conduite morale, conduit l’histoire vers la venue du Royaume et se montre actif dans l’immanence comme dans la transcendance.

La christianisation du culte des ancêtres

Dans le rituel chrétien d’aujourd’hui, se sont introduits certains éléments du culte confucéen. Beaucoup de chrétiens coréens conduisent des services en mémoire des morts mélangés à des rites confucéens. Par exemple, ils regardent la photo du mort, font une flexion, brûlent des bougies et les mettent devant le tombeau (31). La raison en est que le rituel confucéen n’a pas encore été transformé en rituel chrétien. Le christianisme coréen doit, d’une part, ranimer l’esprit filial vis-à-vis des ancêtres et, d’autre part, critiquer l’esprit filial ritualisé sous forme d’adoration chamaniste des âmes et des esprits. Tout cela doit être baptisé dans une forme rituelle chrétienne. Nous devons nous débarrasser des éléments rituels fondamentaux du chamanisme. Nous devons cesser de montrer la photo du mort, de brûler des bougies, de mettre de la nourriture devant les tombes, et faire des flexions devant les morts. C’est ainsi que nous transformerons le rituel confucéen en rituel chrétien.

La question du dialogue interreligieux

Le christianisme coréen doit se dépouiller de l’attitude dogmatique et exclusive qu’il a vis-à-vis des autres religions, en reconnaissant que la réalité coréenne est faite de pluralisme religieux. La foi réformée doit acquérir un esprit tolérant à l’égard du rôle des religions traditionnelles afin de défendre le bien commun au sein de la Révélation générale de Dieu. Nous ne devons ni condamner ni mépriser les enseignements des autres religions. Nous devons respecter leur piété et leur doctrine et essayer de comprendre leur religiosité en profondeur. Cela ne veut pas dire que nous devons abandonner l’Evangile. L’acceptation de l’Evangile se fait à un niveau individuel par une décision personnelle, mais non par la force ou la persuasion.

Il est bon de commencer un dialogue interreligieux avec les leaders et les experts. Un dialogue entre laïcs peut suivre. En faisant cela, nous pouvons nous débarrasser des préjugés et des malentendus entre les uns et les autres. La foi appartient au domaine de la conscience, toutes les religions doivent respecter la décision d’une conscience individuelle. Puisque nous devons respecter la conversion au christianisme d’autres croyants, nous devons aussi respecter la conversion de chrétiens à d’autres croyances.

L’islam fondamentaliste condamne la conversion des musulmans à d’autres religions, la punit de mort et donc l’interdit de fait, alors qu’il approuve la conversion d’autres croyants à l’islam. Ceci contredit l’esprit de la liberté religieuse. Dans toutes les religions, la démocratie de la foi doit être appliquée. Il n’est pas rare que, dans certaines Eglises coréennes protestantes, l’évangélisation soit menée en critiquant les autres religions. Je pense que ce n’est pas une attitude appropriée. Il faut témoigner du rôle unique de Jésus-Christ mais il ne faut pas le faire passer en force. L’exigence est, dans une attitude d’ouverture, que l’on fasse une différence distincte entre les religions et que l’on accepte ce qui peut être appris des uns ou des autres dans le domaine de la piété commune.

Conclusion

Si l’on prend les pays d’Asie, c’est en Corée aujourd’hui que le christianisme protestant connaît ses plus grands succès mais, depuis le début des années 2000, le christianisme coréen fait l’expérience d’une certaine stagnation dans sa croissance. Ceci peut s’expliquer de deux manières, l’une interne et l’autre externe. En interne, le christianisme coréen n’a pas mis en pratique une pensée transformée et distincte sur le conflit entre foi chrétienne et culture coréenne. Il n’a pas non plus suggéré une manière satisfaisante d’arriver à l’excellence éthique. La séparation entre foi et vie, l’aspiration au succès matériel et à la bénédiction, plutôt que d’essayer de mener une vie bonne et morale, ou une vie sainte, tout cela a détourné la vie des chrétiens de son chemin. Dans la société coréenne, le christianisme ne montre pas clairement un exemple spirituel et moral, même s’il possède une dynamique plus forte que celle des autres religions. Le christianisme coréen s’est laissé aller en grandissant au sein d’une vie culturelle et économique marquée par l’expansion de l’esprit séculier. Avec le développement économique, la vision des valeurs de l’Eglise chrétienne s’est laissé régir par le matérialisme et l’hédonisme.

Malgré tout, le christianisme protestant coréen possède des forces dynamiques de mission et d’évangélisation. Le christianisme coréen doit apporter sa contribution à l’Asie et au monde en développant solidement cette dynamique. Pour ce faire, le christianisme coréen doit être fidèle à son identité évangélique d’une part et d’autre part s’adonner à une réflexion pointue sur une théologie contextualisée dans la situation dans laquelle l’Evangile est proclamé. Une telle entreprise est possible si l’on transforme la culture théologique (32) (33).