Eglises d'Asie

MENTALITE JAPONAISE TRADITIONNELLE ET CHRISTIANISME : RENCONTRE DE DEUX CULTURES

Publié le 18/03/2010




Dans cette étude, il s’agit, au sein de la rencontre du Japon avec tout ce qu’a pu lui apporter l’Occident en matière d’idées politiques, commerciales et culturelles, de découvrir les signes de l’implantation d’une vie chrétienne vécue, d’évaluer le présent et de prévoir les orientations à venir. Ici, avec la littérature comparée qui met bien en évidence le caractère hétérogène de la culture japonaise par rapport à celle de l’Occident, se posera encore une fois le problème de la rencontre, c’est-à-dire de l’acculturation.

[.] Du point de vue historique, la rencontre entre le monde occidental et le Japon se divise en deux périodes. Celle des premières chrétientés implantées aux XVIe et XVIIe siècles et la seconde, celle de la nouvelle évangélisation de l’ère Meiji (1868-1912). Les deux phases de cette rencontre Orient-Occident sont tellement différenciées que l’histoire du christianisme au Japon peut se diviser en deux périodes distinctes. Mais se pose alors pour nous, les Japonais, le problème de devoir nous situer aujourd’hui. C’est-à-dire, vivons-nous encore et toujours sous l’ère Meiji ou vivons-nous une nouvelle troisième période, les deux premières étant reconnues comme historiquement closes ? Qu’est-ce qui différencie la période d’après la guerre du Pacifique et qu’est-ce qui décide de l’orientation des temps à venir pour le Japon d’aujourd’hui ?

Dans cet exposé, nous essaierons de voir ce qu’a été, dans le passé, cette rencontre entre le Japon et de l’Occident et, après l’avoir évaluée, nous tenterons de situer ce temps présent qui est le nôtre et de prévoir son orientation.

Première période : culture “singulière » et culture “plurielle”

En schématisant le problème de la rencontre du Japon et de l’Occident, on peut dire de l’Europe que le christianisme est au cour même de sa culture. L’Occident, c’est une culture vitalement liée en profondeur au christianisme. Ce qui ne signifie pas que tout y est peint aux couleurs du christianisme et que le monde occidental est gouverné par l’Eglise catholique. Au moment même où l’Occident, à l’époque des grandes découvertes, partait à la recherche du nouveau monde, la vigueur du mouvement protestant, le gauchissement d’une longue tradition chrétienne héritée du Moyen Age mais routinière et la collusion entre religion et politique engendrèrent une prise de conscience anti-chrétienne active qui, mêlée d’hérésies, fut pour l’Occident une épreuve difficile à supporter. Quoique ce fût pour le christianisme quelque chose de négatif, ce ne fût pas une simple péripétie. Les structures de l’anti-christianisme, de par leur antagonisme même, ont donné naissance à un dynamisme lié à l’approfondissement de sa source première. Un christianisme sans son interface anti-chrétienne n’existe pas. L’Occident est une civilisation originale dont le cour est le christianisme, ses adversaires anti-chrétiens y compris.

En revanche, il est difficile de schématiser d’un coup tous les aspects de la culture du Japon. En la comparant à l’unique source d’inspiration de l’Occident, on peut dire que, pour ce qui est du Japon, ses sources d’inspiration sont multiples. La culture du Japon ne relève pas d’un modèle clos. Elle accepte ce qui vient d’ailleurs, c’est-à-dire toutes choses nouvelles jugées par elle d’une valeur digne du plus grand respect. Cette tolérance qu’on peut dire généreuse et sans limite peut se réaliser en un laps de temps record et sans exemple ailleurs. Cependant, même accueillante, la culture du Japon ne se laisse pas pour autant dominer par ce qu’elle a coopté. Ce qu’elle adopte garde sa spécificité et ne se transforme pas en élément fédérateur, mais, tout en s’infiltrant largement, ira en se développant certes, mais ‘à la japonaise’. C’est-à-dire que ce qui vient d’ailleurs n’est pas submergé par une confrontation inévitable, mais, tel quel, cohabitera et continuera d’exister le plus harmonieusement possible.

Par exemple, l’arrivée du bouddhisme a exercé, c’est certain, une grande influence sur le Japon. Pourtant on ne peut pas dire que la source première de la culture japonaise soit le seul bouddhisme. Les idées du bouddhisme telles qu’elles ont été reçues ne sont pas devenues pour autant un pivot de la culture japonaise. Le Japon n’est pas devenu un pays bouddhiste. Toléré au Japon, le bouddhisme s’y est développé mais en tant que bouddhisme japonais et la pensée bouddhiste y demeure toujours une doctrine étrangère. La religiosité du Japon, sans refus catégorique et sans lutte, a simplement choisi de célébrer ensemble “les dieux shintoïstes et les dieux du bouddhisme”. On peut en dire autant du confucianisme. Confucianisme et bouddhisme n’enseignent pas la même chose. Mais dans la culture du Japon, quand on fait l’historique des idées adoptées au fil des siècles, quelles qu’elles soient, on leur découvre inévitablement des ascendants bouddhistes ou confucéens. C’est-à-dire que confucianisme ou bouddhisme, l’un et l’autre, à l’évidence, sont deux des sources de la culture japonaise.

Ce Japon pluriel a rencontré le monde occidental monolithique pour la première fois au début de l’ère moderne. Aux XVIe et XVIIe siècles, l’entrée de l’Occident au Japon avait, certainement, pour but principal le commerce, spécialement celui des armes. Cependant, ce commerce qu’on disait “à la recherche des épices et de l’or”, on ne doit pas oublier qu’il avait au point de départ d’authentiques intentions spirituelles et religieuses, « la recherche des âmes Mais les demandes formulées par le Japon n’avaient, elles, rien de religieux ou de spirituel. Les Japonais voulaient des choses modernes utiles, des techniques utilisables sur l’heure et, pour tout dire, les fusils qu’ils ne possédaient pas encore. Entre cette demande et les intentions occidentales, la “différence” était immense.

A l’époque des grandes découvertes, l’Occident, l’Espagne et le Portugal en tête, avait comme premier objectif, selon la formule consacrée, la diffusion du christianisme. Pourtant, ce n’est qu’après, une fois que les deux empires aztèque et inca d’Amérique centrale et du Sud et les Philippines furent conquis et colonisés par les deux puissances ibériques que le religieux apparut avec la christianisation de la population par les missionnaires. Ce qui montre que le souci religieux ne fut pas premier. Dans un Japon très difficile où les méthodes colonialistes s’avéraient inapplicables, l’Occident chercha donc, pour commencer, à lui faire rencontrer le christianisme. Or, comme je l’ai déjà dit, malgré les tentatives des Occidentaux de lui présenter “la civilisation unique” fondée sur l’unique christianisme, le Japon, de son côté, jamais, ne lui présenta de requête d’ordre religieux.

Dans la région de Nagasaki, les conversions des seigneurs féodaux et la christianisation des populations vassales relevaient à n’en pas douter de l’idée toute simple de vouloir doter le fief d’un port qui, fort du monopole de la vente d’armes, permettrait ainsi d’acquérir une position dominante très utile en cette période de guerre civile (3). La demande n’ayant pas été satisfaite immédiatement, s’ensuivit une forte opposition. Les hommes d’Etat japonais des XVIe et XVIIe siècles, plutôt que de s’opposer directement au christianisme en tant que tel, forts de l’idée politique de devoir établir une autorité unique dans le pays, préférèrent la solution isolationniste dénommée “sakoku” (fermeture à l’étranger). Pourtant, cette volonté de fermeture ne fut jamais totale, irraisonnée et exempte de tout espace de liberté. Cet isolationnisme ne fut jamais absolument hermétique (4).

Du fait des controverses théologiques soulevées par la réforme protestante et suite au Concile de Trente qui clarifia la doctrine catholique, le christianisme de cette époque était un christianisme revivifié. L’isolationnisme du Japon survint après qu’avec sa large capacité d’accueil et son immense intérêt pour les idées nouvelles, le Japon eut compris vraiment en profondeur ce qu’était l’Occident et sa culture toute imprégnée de cette religion chrétienne. Malgré toute la différence entre les propositions religieuses d’un côté et les requêtes de l’autre, l’Occident, riche de sa culture et tout imprégné de ce christianisme revivifié, à travers déportations, interdits et persécutions, a laissé chez les Japonais les traces d’une authentique et profonde rencontre.

Au milieu des situations extrêmes de tout un peuple persécuté, sans pasteurs et sans sacrements, la seule idée d’une vraie “contrition” qui vous met en présence du Dieu d’amour a fait vivre les communautés chrétiennes pendant deux cent cinquante ans. Certaines d’entre elles choisirent de rallier le bouddhisme syncrétiste. Mais ceux qu’on appelle encore “les chrétiens cachés inspirés par la pensée de la charité et de la croix, continuèrent à vivre leur foi chrétienne jusqu’à la restauration de Meiji (5) et la résurrection de ces communautés chrétiennes enfin sorties de deux cent trente ans de clandestinité (6).

Deuxième période : “une technologie inconnue à intégrer”

Au XIXe siècle, l’Occident se souvenant de sa précédente et douloureuse expérience, cesse de mettre en avant sa culture et sa religion chrétienne et privilégie sa technologie. Avec A. Toynbee, il avait appris en effet que “quoique faisant partie de la culture, une technologie dont on ignore tout sera plus accessible qu’une religion méconnue dont cette culture est pourtant l’émanation. C’est-à-dire qu’introduire à l’étranger une partie seulement d’une culture rencontre moins de résistance que de vouloir l’introduire dans son entier. Elle s’y insère plus rapidement”.

En comparant avec la période précédente où le décalage technologique n’était pas très important, l’Occident du XIXe siècle, qui avait connu la révolution urbaine et la révolution commerciale, possédait une technologie moderne avancée et un capitalisme organisé. Il se tenait devant le Japon en position de force et celui-ci se vit dans l’obligation d’ouvrir ses portes au défi de la technologie occidentale. Le Japon, de son côté, devait lutter pour sa modernisation, l’accélération de la construction d’un Etat moderne et l’amélioration de sa position internationale. Dans cet esprit étaient lancés des slogans comme : “Forces armées et richesse nationale “Production industrielle et développement « Culture et Civilisation”. Les pionniers de l’ère Meiji, ne voulaient pas des idées qui avaient cours en Chine à l’issue de la guerre de l’opium (7), ni fouler les mêmes ornières qu’elle. Ils visaient plus haut. Le Japon, en un court laps de temps, montrant des facultés d’accueil peu communes et sans aucune révolution industrielle, se dota, sans coup férir, d’une industrie lourde. De par ses propres forces, il prit sa place sur la scène internationale. A peine une trentaine d’années après son ouverture au monde, il remportait la victoire dans sa guerre contre “le lion endormi”, la Chine des mandchous (8). Au début du XXe siècle encore, avec la guerre russo-japonaise (9), il obtenait une victoire et se hissait au rang de grande puissance.

Ainsi, les rencontres du Japon et de l’Occident ont chacune été différentes. Au XVIe et au XVIIe siècle, il s’agissait de rencontrer une religion et une culture étrangère, au XIXe siècle, de s’approprier un des aspects de cette culture, la technologie de l’étranger. Dans cette dernière rencontre, la religion chrétienne, source essentielle de la civilisation occidentale, a été complètement laissée de côté. Le phénomène religieux ne posant pas de problème particulier, il fut froidement ignoré. Le Japon de l’ère Meiji tout occupé à se moderniser, c’est-à-dire à s’occidentaliser, n’adopta que la civilisation technologique occidentale. Ce qui étayait cette dernière, ce qui fait vivre les hommes et les relie à Dieu, a été complètement occulté. Ce parti pris continue de nos jours. Même chez les intellectuels, le facteur essentiel qu’est le religieux et qui fait que l’homme vive en homme ne recueille aucun intérêt. La cause lointaine est à chercher dans le fait que les Japonais de l’ère Meiji ne pensaient qu’à la modernisation, l’occidentalisation et la civilisation technologique. Ce fulgurant progrès soutenu par l’impérialisme et le militarisme aboutit soixante-dix ou quatre-vingts ans plus tard à la catastrophe de la guerre du Pacifique qui affectera pratiquement le monde entier (10).

Troisième période : l’avenir

Après l’ère Meiji, concevoir la fin de la deuxième guerre mondiale comme un autre changement majeur dans l’histoire du Japon paraît évident. Il est certain qu’au cours de cette guerre, le fardeau porté par l’Eglise catholique japonaise a été fait de beaucoup de souffrances. Après la défaite de 1945, grâce à la promulgation d’une nouvelle constitution, les droits de l’homme seront globalement respectés au Japon et la liberté religieuse assurée. Après la longue période de contrainte, on pouvait penser que renaîtrait une grande espérance. Du monde entier furent donc envoyés de nombreux instituts missionnaires et des religieux aux moyens financiers importants. Pourtant, plus d’une trentaine d’années après la fin de la guerre, peut-on, aujourd’hui, parler d’une croissance du Royaume de Dieu au Japon ? Le nombre des catholiques représente à peine 0,35 % de la population et la baisse des vocations met en péril la continuité de la mission. Malgré la liberté et la paix d’aujourd’hui, les conditions de l’évangélisation au Japon ne sont pas brillantes. La mutation historique du Japon et l’occasion d’une nouvelle rencontre avec le christianisme, n’ont-elles donc pas provoqué un essor ?

Cette rencontre à la fin de la deuxième guerre mondiale n’a absolument pas été une de ces périodes historiques dont on se souvient. Après cette terrible guerre, il semble que s’est simplement transformée en institution ce qu’on pourrait appeler une reconduite du schéma de l’époque de Meiji. Après la guerre, la thèse du Japon de l’ère Meiji, celle de la modernisation, de l’occidentalisation et de la technologie, n’a pas disparu. A seulement été supprimé ce qui avait conduit à la catastrophe, le nationalisme et la suprématie de l’armée. Pour les générations de l’après-guerre, la notion de défense du Japon et d’amour de la patrie, le fait même d’exprimer ces mots, provoquait une réaction allergique de rejet de tout nationalisme et de tout militarisme. Se dépouiller du militarisme obsessionnel, qui avait dressé le monde contre lui et lui avait fait tant de mal, pouvait apparemment exprimer un grand changement. En fait, alors qu’il n’était plus nécessaire pour le Japon de devoir se dépasser, ce fut au contraire pour lui, immédiatement, comme un coup d’éperon vers plus d’occidentalisation et de technologie. Près de soixante-dix ans avaient été nécessaires pour que le Japon de l’ère Meiji accède à une stature internationale. L’après-guerre réussit en moins de vingt ans, grâce à son habileté innée et à son application au travail, à faire du Japon un empire économique, un “animal économique” comme il est souvent désigné en anglais.

Arrivé à ce stade, la vraie modernisation du Japon signifie-t-elle son occidentalisation ? L”occidentalité’ se réduit-elle à une culture technique ? Pas de place ici pour se poser des questions existentielles et douter. Comme au début de la restauration de Meiji, la foi religieuse qui est au cour de l’‘occidentalité’ est laissée de côté. N’est recherchée que la technologie importée de l’étranger, accompagnée d’une détermination sans faille à vouloir rejoindre et dépasser l’Occident.

Pourtant, à l’heure où il est parvenu à se hisser au rang des premiers pays industriels du monde et où il réfléchit à ce qu’il lui faudrait faire pour soutenir son économie de pointe, le Japon éprouve une certaine vacuité et commence à connaître l’incertitude de ne pas avoir d’objectif clair pour un avenir à définir. Jusqu’alors, pas d’erreur et rien d’inutile. Mais, après avoir foncé sans trop réfléchir, arrive la maturité et brusquement vous assaillent doutes et hésitations. C’est comme une remise en question radicale de la modernisation, de l’occidentalisation et de la technologie comme culture, c’est-à-dire de l’orientation prise par le Japon depuis l’ère Meiji. Comme un tâtonnement vers une prise de conscience globale de grande dimension qui dépasse de loin l’ancien slogan : “Wakon-yôsai” (11).

Il ne s’agit pas de désavouer le passé mais, au contraire, pour mieux aller de l’avant, de s’examiner soi-même, de rencontrer “l’homme” et de se demander qui il est et quelle devrait être sa vie. Dans le Japon d’aujourd’hui, la réponse immédiate à cette question ne sera pas celle que lui donnera une religion établie.

Quoique l’histoire religieuse du Japon ne soit pas le sujet de cet article, quand on réfléchit à son histoire et à ses traditions, c’est le développement et le travail “à la japonaise” ainsi que l’adaptation au réel qui émergent avant tout. Ce qui induit une perte du sens de l’au-delà (transcendance) et une imprégnation profonde des masses populaires plus orientées vers l’action politique que vers les sentiments religieux ou les idées. Pour les gouvernants de ce pays, les gens qui portent le nom de leur religion en bandoulière sont des groupements fanatiques dangereux qui provoquent à répétition les conflits entre politique et religion. A l’époque d’Edo (12), la religion politiquement soumise conserva une position acceptable dans une société féodale à base de consanguinité mais ne joua aucun rôle au moment de la réforme de Meiji. Devenue alors un shintoïsme national, elle servit de slogan politique et la réforme religieuse du “Haibutsu-kishaku” finira par être rejetée (13).

Depuis Meiji, le rationalisme évolutionniste est le soutien des intellectuels de la classe dirigeante. La religion ne se projette pour eux que sous le vocable habituel de superstition. Elle n’est l’objet ni de persécution ni de lutte, elle est seulement et froidement ignorée. Pour les Japonais d’aujourd’hui, la religion, souvent, n’est plus qu’une sorte de nostalgie familiale ou folklorique évocatrice du passé. Dans une société qui évolue difficilement, elle n’est pas quelque chose qui puisse peser fortement sur le présent d’une humanité mature ni sur son orientation future. Telle est la conception de la religion qu’ont les Japonais, bonne pour les uns parce qu’indulgente, mauvaise pour les autres parce qu’ambiguë. Au shintoïsme, la joie et la création, au bouddhisme, la mort et le culte des ancêtres (14). Dans cet-te nation avancée où plus de la moitié des 125 millions d’habitants a une religion, le climat religieux y est plus que tempéré. Mais, compte tenu de la compréhension qu’ont les gens de la religion, une réponse religieuse immédiate, claire et directe aux questions profondes qui commencent à se poser au Japon et aux hommes d’aujourd’hui ne serait pourtant pas une solution. Ce serait refaire ce qu’on a connu déjà avec la stagnation imprévue de l’Eglise catholique après la guerre.

Ici, je voudrais réfléchir non pas à la réforme historique du Japon à la fin de la deuxième guerre mondiale, mais à cette thèse indéboulonnable qui, depuis Meiji, perdure encore selon laquelle modernisation égale occidentalisation et civilisation industrielle et qui fait question aujourd’hui. C’est-à-dire que le Japon, à partir de ce questionnement intérieur, se doit d’inaugurer une troisième période substantiellement différente de celle qu’il a connue au XVIe- XVIIe siècle et à l’époque de Meiji.

[.] La rencontre du Japon avec l’Occident doit s’élargir pour amorcer une troisième période et prendre une nouvelle orientation. L’Occident de l’époque des chrétiens cachés avait à l’égard du Japon certainement le même désir de lui faire connaître l’Evangile. Mais il s’agissait d’un dogmatisme chrétien trop direct, rempli de la certitude qu’en dehors de lui il n’y avait point de salut. Les vues politiques internes du Japon étant devenues un élément à prendre en compte, l’agressivité de l’Occident a favorisé le sentiment d’hétérogénéité et l’isolationnisme, deux éléments qui se sont ligués pour refuser l’ensemble de la culture que représentait cette religion dite “perverse” (15). C’est pourquoi, peut-on dire, la tendance pro-occidentale de l’ère Meiji s’est tournée vers la haute technologie de cette civilisation, sans passer par sa source, pour en arriver aujourd’hui à vivre en dehors de toute rencontre avec la religion chrétienne, source originelle pourtant de tout occidentalisme. Cependant, aujourd’hui, l’Occident, en particulier le christianisme, grâce au Concile Vatican II, a élargi considérablement et fait mûrir l’adage ancien qu’en dehors de l’Eglise il n’y avait pas de salut. On s’est débarrassé de la faiblesse de l’homme qu’on faisait s’incliner devant la supériorité arrogante qui regardait de haut les autres, de la conscience d’un peuple élu qui regardait la grâce du salut comme exclusive.

[.] Quoiqu’il en soit, il n’y a rien qu’un Japon qui voudrait se mettre à la remorque de l’Occident ne puisse imiter ou recevoir. Mais ce qu’il lui faut apprendre, ce qu’il lui faut rencontrer maintenant ou jamais, et qui lui est ouvert à l’infini, ce sont non pas des résultats dramatiques superficiels mais une plénitude intérieure profonde. Il ne s’agit pas d’une simple transplantation d’un christianisme grandi en Occident, ni de la fabrication univoque d’un christianisme japonais autochtone Il s’agit de la rencontre du Japon avec le Christ et du “témoignage” qu’il en donnera.

Notes

(1)Statistiques 2003 de la Conférence épiscopale : 449 927 catholiques pour une population de 126 478 millions d’habitants.

(2)Etude parue dans Fukyô (‘Mission’), revue mensuelle du Centre d’études religieuses Oriens (Tôkyô), vol. 33, n° 5, juin 1978.

(3)Sengoku : période d’une longue guerre civile entre sectes religieuses, grands seigneurs féodaux et petits seigneurs locaux pour conquérir la suprématie. Elle dura de 1490 à 1600 avec l’entrée d’Oda Nobunaga à Kyôtô, le premier unificateur du Japon.

(4)Sakoku : fermeture du pays à toutes relations internationales de 1639 à 1868, période pendant laquelle les relations avec les pays européens furent interdites sous peine de mot, à l’exception de celles avec les Hollandais de l’îlot de Dejima à Nagasaki. En revanche, les relations avec les pays asiatiques étaient autorisées mais strictement contrôlées. Il était également interdit aux Japonais de sortir du pays.

(5)Meiji isshin : Restauration de l’ère Meiji, révolution qui mit fin en 1868 au shôgunat et mit au pouvoir l’empereur Mutsuhito. La période de Meiji se caractérise par la modernisation du Japon, l’ouverture du pays aux étrangers, la liberté religieuse, l’adoption d’une constitution, etc.

(6)Sur les ‘chrétiens cachés’ du Japon, voir EDA 245, EDA 380 (Dossier : “L’Eglise du Japon : 444 ans d’histoire et EDA 317 (Cahier de documents : “La ‘christologie’ du romancier japonais Shusaku endo 

(7)Guerre de l’opium (1839-1842). L’empereur de Chine interdisant l’importation de l’opium, les Britanniques occupèrent Shanghai et imposèrent à la Chine le traité de Nankin. Ce qui, aux yeux des Japonais, symbolisait l’idée d’une compromission avec l’étranger.

(8)Guerre sino-japonaise : septembre 1894-avril 1895

(9)Guerre russo-japonaise : février 1904-septembre 1905

(10)Guerre du Pacifique : décembre 1941- août 1945

(11)Wakon-yôsai : mot à mot : ‘Esprit japonais et connaissance occidentale’. Expression par laquelle au début de la période Meiji, on prônait l’acceptation de la science occidentale tout en conservant un ‘esprit national’.

(12)Période qui correspond au shôgunat des Tokugawa (1603-1868) qui avaient fait d’Edo (Tôkyô) leur centre névralgique.

(13)Haibutsu-kishaku : ‘Contre le Bouddha et contre Shaka’. Mouvement de réforme religieuse du début de l’ère Meiji, entre 1868 et 1871. Il visait à séparer les sanctuaires shintô de l’emprise du bouddhisme et à faire du shintô une religion d’Etat.

(14)L’auteur fait allusion ici au syncrétisme traditionnel des Japonais qui viennent présenter un nouveau-né au prêtre shinto dans la joie et l’action de grâce mais ne conçoivent pas que des funérailles puissent se dérouler autrement que sous la présidence d’un bonze.

(15)Jashûmon : appellation appliquée au christianisme par ses adversaire en particulier pendant la période d’Edo. Mot à mot : ‘mauvaise religion’.