Eglises d'Asie – Indonésie
UNE TENTATIVE DE DIALOGUE INTERRELIGIEUX A YOGYAKARTA : LE FORUM INTERRELIGIEUX DE LA FRATERNITE
Publié le 18/03/2010
Kiai Abdul Muhaimin : Il faut d’abord noter que le FPUB (Forum interreligieux de la Fraternité) n’est pas une organisation de masse mais un forum fondé dans le contexte de la fin de l’année 1996. A cette époque, des émeutes alimentées par des conflits ethniques, religieux, raciaux et des troubles divers se multipliaient à travers le pays. On craignait que ces conflits s’étendent aussi à Yogyakarta. Pour faire face à ce risque, un certain nombre de responsables religieux ont décidé d’organiser des rencontres régulières entre responsables locaux, issus de la société civile aussi bien que de la sphère religieuse. Ces rencontres, a-t-il été décidé, devaient se tenir successivement dans des écoles coraniques, des églises chrétiennes, des temples (vihara) bouddhistes, des temples hindous et les maisons communes des villages.
Ces rencontres régulières ont d’abord eu – et ont toujours – pour objectif de répandre un esprit de paix fondé sur la foi et sur une vraie fraternité. Deuxièmement, elles visent à rendre les gens capables de prendre par eux-mêmes des décisions éthiques. Et troisièmement, elles s’efforcent de constituer un mouvement moral ouvrant pour la paix, par exemple en organisant des manifestations, en publiant des déclarations, et en mettant sur pied des activités interreligieuses comme le travail social, des séminaires, des discussions et des dialogues.
Quel est, à ce jour, le résultat le plus significatif obtenu grâce à ce forum, que ce soit pour les membres du forum ou pour la société en général ?
Pour les membres ou pour les gens qui sont directement concernés, le résultat est très concret. Je crois que nous sommes beaucoup plus liés les uns aux autres, pas seulement du fait de nos contacts institutionnels mais tout simplement par des relations humaines plus étroites. Nos relations ne sont pas seulement institutionnelles, elles sont aussi devenues humaines. Les différences religieuses ne sont jamais un problème pour nous. Nous pouvons comprendre parfaitement et nous pouvons respecter des gens qui ont des croyances théologiques différentes.
Pour la société, ce genre de compréhension mutuelle est riche de signification. Nous sommes devenus un modèle de fraternité interreligieuse. Les gens peuvent voir que, parmi les membres de différentes religions, une réelle fraternité et une compréhension en profondeur sont possibles. En fait, le FPUB est devenu une “marque” pour ce qui est du dialogue interreligieux. Nous sommes toujours invités dès lors qu’une initiative interreligieuse est organisée quelque part.
Concrètement, quelles ont été les réalisations du Forum ?
Aujourd’hui, les plateformes pour le dialogue interreligieux ne sont pas rares. D’autres groupes ont imité notre modèle de dialogue, qui met l’accent sur le dialogue personnel et qui a rencontré du succès. Parmi nos jeunes membres, des relations plus ouvertes et plus personnelles ont commencé et ils peuvent maintenant agir ensemble sans être troublés par les différences religieuses. Ils ont aussi accompli des actions concrètes. Par exemple, le Groupe de la jeunesse hindoue publie une lettre de nouvelles qui promeut le libéralisme et une vraie fraternité entre les religions. Cela nous aidera certainement à promouvoir notre propre mission, qui consiste à favoriser une véritable fraternité entre tous les gens de différentes religions. Un autre résultat concret, si je puis ainsi dire, est la naissance en beaucoup d’endroits de nombreux groupes semblables au nôtre. Franchement, cela n’est pas notre travail mais nous leur facilitons la tâche, partageons nos expériences et les motivons.
Quel genre de facilité est apporté par le Forum ?
Peu de chose, en fait. Nous avons rassemblé des gens de différentes religions et nous leur avons demandé de construire une équipe pour organiser ce dont ils ont besoin. S’ils ont besoin de tenir un colloque ou un dialogue, nous partageons notre expérience sur la façon d’organiser ces entreprises et nous leur fournissons les modèles que nous avons utilisés. Pour le reste, ils décident entièrement eux-mêmes. Si cela marche, un nouveau groupe semblable au nôtre émergera mais nous n’allons pas intervenir, à moins qu’ils ne considèrent que c’est important.
A côté de cela, nous avons donné de l’argent quand nous le pouvions, même si ce n’était que 100 000 ou 200 000 roupies (10 à 20 euros). Nous avons aussi guidé des étudiants en troisième cycle de l’université qui faisaient des stages d’action sociale dans des villages. Parfois certains de ces étudiants ont rencontré des ennuis avec les gens des villages du fait d’une différence de religion.
Quel genre d’obstacles le Forum a-t-il rencontré en accomplissant sa mission ?
Beaucoup d’obstacles, à la fois en dehors et au dedans de l’organisation. De l’intérieur, beaucoup de gens me considèrent, ainsi que le P. Yatno (Suyatno), le pasteur Bambang (Subagyo) et d’autres co-fondateurs, comme syncrétistes. Sans détour, ils me demandent si je suis encore un musulman, si le P. Yatno est encore un prêtre catholique et le Rév. Bambang encore un protestant. Ils ne voient pas ce que nous avons réalisé dans une perspective à la fois nationale et pluraliste. Ils ne voient les choses que dans une perspective idéologique ou théologique. Bien qu’ils soient peu nombreux, on peut trouver ces gens dans chaque religion. Parfois, ils utilisent la théologie comme un prétexte contre nous. Par exemple, certains groupes musulmans fondamentalistes interdisent toute action commune ou de coopération avec des gens d’autres religions.
Comment surmontez-vous ces problèmes ?
Comme je l’ai déjà dit, ceux qui sont contre nous utilisent la théologie comme un prétexte. C’est pourquoi, j’essaye de mettre en avant une théologie islamique plus pluraliste, ou libérale. En fait, l’islam lui-même est libéral. L’islam ne force jamais quelqu’un à suivre son enseignement. Aussi, je ne les confronte pas ; au lieu de cela, j’essaye de clarifier leur compréhension de la théologie islamique. Je pense que une lecture textuelle, qui est la source de la théologie islamique, devrait être transformée, pour s’adapter aux situations d’aujourd’hui. Mais, d’une façon générale, nous pensons que ces problèmes sont normaux. Dès le départ, nous avions à l’esprit que des gens refuseraient notre approche. Nous ne prétendons pas que tout le monde doive nous accepter.
Des groupes islamiques luttent encore pour l’application de la charia (loi islamique) en Indonésie.
Je pense que cette idée n’est plus populaire parmi les musulmans. Ils ne sont pas tous d’accord avec cette idée. La charia est plutôt une matière première utilisée en politique par certains groupes pour faire avancer leur cause sur la scène politique. Cette matière première politique rencontrera des clients si le gouvernement ne réussit pas à imposer la loi, l’Etat de droit. Si le gouvernement fait appliquer les lois de façon juste, transparente et équitable, la demande pour la charia s’évanouira d’elle-même. Les groupes fondamentalistes qui luttent pour l’établissement de la loi islamique ont du succès parce que certaines personnes estiment que le gouvernement est injuste envers elles dans les domaines du droit, de la politique et de l’économie. Alors elles se battent pour établir une Etat islamique qui leur garantirait, pensent-elles, justice et richesse. Mais je pense qu’elles sont une minorité.
Que représentent ceux qui veulent l’application de la charia ?
Ils représentent un très petit pourcentage. Sur 122 écoles coraniques à Yogyakarta, une seulement appartient à ce groupe. Sur les centaines de ces écoles qui existent dans l’île de Java, il n’y a que deux groupes fondamentalistes. Hors de Java, les partisans du droit islamique existent seulement en certains lieux et pour des raisons historiques. Un tel lieu est, par exemple, Macassar, dans la province de Célèbes-Sud, devenu une base pour des rebelles islamiques dans les années 1950.
A la lumière des élections de cette année, qu’attend votre organisation du président Susilo Bambang Yudhoyono ?
A une réunion au siège de la Conférence indonésienne sur la Religion et la Paix, à laquelle étaient présents les cinq candidats à la présidence ainsi que les candidats à la vice-présidence, j’ai souligné que l’Indonésie était sur le point de se désintégrer. Les gens n’ont plus le sentiment d’appartenir à une nation ; le seul sentiment d’appartenance qu’ils ont est celui de l’appartenance à leur communauté, à leur groupe. Si le président est perçu comme issu de l’un ou de l’autre de ces groupes, de ces communautés, les membres des autres communautés ne se sentiront pas représentés au sommet de l’Etat. J’ai donc demandé aux candidats de travailler pour l’unité du peuple indonésien.