Eglises d'Asie

Jharkhand : les communautés aborigènes menacent de recourir à l’action violente si le gouvernement de l’Etat persiste à considérer comme aborigènes deux castes hindoues

Publié le 18/03/2010




Le 27 novembre dernier, plus de 50 000 membres des communautés aborigènes de l’Etat de Jharkhand ont manifesté dans les rues de la capitale de l’Etat, Ranchi, pour dénoncer la prochaine inclusion des Kurmi et des Teli, deux groupes considérés par les aborigènes comme appartenant au système des castes de l’hindouisme, dans leur groupe, celui des communautés aborigènes. Issus de treize communautés aborigènes distinctes, les manifestants ont menacé de lancer des actions “violentes et sans précédent” si le projet n’est pas retiré, dénonçant la politique du gouvernement de l’Etat, dirigé par le parti nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP).

Issu il y a quatre ans d’une division de l’Etat voisin de Bihar, l’Etat de Jharkhand a été créé précisément pour favoriser le développement des peuples aborigènes. Selon des statistiques officielles, sa population de 27 millions d’habitants est composée à 28 % d’aborigènes et ces derniers sont censés profiter en premier lieu des mesures de discrimination positive inscrites dans la Constitution fédérale et mises en place au profit des basses castes et des aborigènes. Pour les représentants des communautés aborigènes, leur poids dans la population de l’Etat n’est toutefois pas de 28 mais de 60 % et le projet gouvernemental d’admettre les Kurmi et les Teli, deux communautés qui conservent des liens politiques étroits avec l’Etat voisin du Bihar, parmi la liste des bénéficiaires du système des quota risque de remettre en cause les avantages que les aborigènes actuellement reconnus comme tels tirent de lui.

Le ministre-président de l’Etat de Jharkhand s’est défendu pour sa part de toute mauvaise foi. Début décembre, il a déclaré à la presse qu’il ne faisait que suivre une recommandation de son gouvernement. “J’ai fait mon travail, maintenant c’est au gouvernement fédéral d’accepter ou de refuser a-t-il précisé. Pour Chandreshwar Prasad Singh, membre du BJP et député à l’assemblée législative de l’Etat, les Kurmi et les Teli ont fait partie de la liste des communautés aborigènes de 1913 à 1931 et il est donc légitime aujourd’hui de les considérer à nouveau comme des aborigènes, “aucune explication claire” n’ayant été fournie pour justifier leur exclusion du système des quotas.

Les opposants au projet, eux, ne voient pas les choses sous cet angle. Dans un mémorandum adressé au gouverneur de l’Etat, Ved Prakash Marwah, les manifestants du 27 novembre ont décrit les Kurmi et les Teli comme des groupes ayant exploité les minorités ethniques. Tandis que les uns se sont appropriés les terres des populations aborigènes, les autres ont exploité les aborigènes en exerçant l’activité d’usuriers. Selon Karma Oraon, un des leaders des communautés aborigènes, admettre les Kurmi et les Teli dans la liste des communautés aborigènes est un acte de nature à troubler “l’harmonie sociale et communautaire” de l’Etat et attiser la violence.

Un autre opposant au projet, député de l’opposition à l’assemblée législative, Deo Kumar Dhan, fait observer que les deux groupes en question diffèrent des aborigènes dans leurs pratiques religieuses et leurs habitudes alimentaires. “Nos cultures ne se ressemblent pas. Comment peuvent-ils être membres de notre communauté ? s’est-il interrogé, ajoutant que les aborigènes frapperont d’ostracisme ceux des députés qui s’aviseraient de voter le projet gouvernemental.

Pour un certain nombre d’observateurs locaux, la controverse est étroitement liée au contexte politique local. En effet, l’assemblée législative de l’Etat doit être renouvelée au cours du premier trimestre de l’année 2005 et les projets “électoralistes” fleurissent ces temps-ci. Selon certains, le BJP cherche, par ce projet au sujet des Kurmi et des Teli, à mobiliser en sa faveur le vote hindou.

Pour l’heure, les responsables de l’Eglise catholique ont refusé d’entrer dans la polémique, en dépit du fait que les populations aborigènes sont chrétiennes pour une bonne part. Le cardinal Telesphore Toppo, archevêque de Ranchi et président de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde, s’est contenté de regretter que la question surgisse juste avant les élections législatives. Il a mis en garde contre le risque d’enflammer les passions.

A l’université jésuite Saint Xavier, Franklin Baxla, responsable du département d’histoire, rappelle pour sa part que deux lois, promulguées au temps du colonisateur britannique, régissent la propriété des terres dans la région. “Les deux textes protègent le droit des aborigènes sur leurs terres” et indiquent que les Kurmi ont accepté leur statut qui les rattache à la caste hindoue des guerriers, les Kshatriya, indique-t-il.

Selon certaines sources, les Kurmi composeraient de 18 à 22 % de la population de l’Etat, et leur vote serait déterminant dans vingt-deux districts. Les Teli représenteraient, eux, entre 10 et 15 % de la population de l’Etat.