A l’âge de 81 ans, le jésuite Jacques Dupuis, théologien du dialogue interreligieux, est mort à Rome le 28 décembre 2004

La publication, en 1997, de son ouvrage Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux avait été suivie, en octobre 1998, de l’ouverture d’une enquête par la Congrégation pour la doctrine de la foi (1). Après trente-deux mois d’investigations et d’échanges de courriers entre la congrégation romaine et le jésuite, L’Osservatore Romano avait publié, le 26 février 2001, une “notification” dans laquelle on pouvait lire que le livre en question contenait “de graves ambiguïtés et des difficultés sur des points doctrinaux importants pouvant conduire le lecteur à des opinions erronées ou dangereuses”. L’ouvrage n’était toutefois pas interdit ou modifié et le document romain ne faisait plus mention – comme cela avait été le cas au début de la procédure – d’erreurs théologiques ou doctrinales.

Pour le P. Jacques Dupuis, la conclusion de la polémique suscitée par cette affaire était satisfaisante dans la mesure où, selon ses propres termes, elle lui permettait de “recouvrer, même de façon limitée, [sa] liberté”. Mais, selon le témoignage de proches, le jésuite estimait que sa liberté demeurait entravée par la surveillance que, selon lui, la Congrégation pour la doctrine de la foi continuait à exercer sur ses écrits et son enseignement.

Né le 5 décembre 1923, Jacques Dupuis était né dans une famille de quatre enfants de la province du Brabant, en Belgique. Entré au noviciat de la Compagnie de Jésus en septembre 1941, il exprima le désir de partir en mission en Inde. Son départ en bateau, de Naples jusque Bombay puis Calcutta, eut lieu le 8 décembre 1948. Dans un manuscrit à ce jour non publié, il a décrit “le choc culturel” ressenti en arrivant à Calcutta, ainsi que le saisissement vécu au contact de “cette ville de contrastes”. Conquis par “l’immense héritage culturel et humain” de l’Inde, il se consacra à la théologie, accordant “une attention particulière aux relations entre la foi chrétienne et les autres traditions religieuses du monde” – ce qui deviendra le thème de sa vie.

Entré en janvier 1952 à la Faculté théologique jésuite du St Mary’s College à Kurseong, sur les contreforts de l’Himalaya, il est ordonné prêtre le 21 novembre 1954. Après un passage chez les dominicains à Hazaribagh, au Bihar, il poursuit ses études à l’université de Calcutta et au De Nobili College de Poona. De septembre 1957 à février 1959, il est à Rome où il décroche un doctorat à l’Université grégorienne. De retour à Kurseong, il commence à enseigner la théologie. Tout en suivant de près le Concile Vatican II et ses développements, le P. Dupuis entreprend avec d’autres théologiens, notamment le P. Josef Neuner, la rédaction d’un recueil très complet de tous les grands documents du Magistère. La première édition de The Christian Faith in the Doctrinal Documents of the Catholic Church, publiée par les Theological Publications in India, paraît en 1973. Ce livre, dont la dernière réédition remonte à 2001 (une somme de 1 135 pages), est utilisé en Inde et dans tout le monde catholique anglophone où il sert d’ouvrage de référence dans les séminaires et les facultés de théologie. De plus, durant toutes ces années, le P. Dupuis devient un des principaux conseillers de la Conférence épiscopale indienne en matière de théologie et collabore étroitement avec la FABC (Fédération des Conférences épiscopales d’Asie). De 1977 à 1984, il dirige Vidyajyoti: Journal of Theological Reflection, un des centres de la vie intellectuelle de l’Eglise indienne.

En mai 1984, le supérieur général des jésuites, le P. Pedro Aruppe, l’appelle à Rome pour enseigner à la faculté de théologie de l’Université grégorienne ; il y restera jusqu’en 1998, date à laquelle il lui est demandé d’arrêter d’enseigner. Il assume également la direction de Gregorianum, prestigieuse revue de l’université pontificale. Par ailleurs, il est nommé consulteur au Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux en 1985, fonction qu’il assumera durant dix ans. De son expérience de missionnaire, il disait : “En ce qui concerne ma vocation de théologien et de professeur, mon exposition à la réalité indienne a été la plus grande grâce que j’ai reçue de Dieu. On ne peut pas vivre trente-six ans en Inde sans être profondément touché par cette expérience.”

En 1989, le P. Dupuis publie en français un livre intitulé Jésus-Christ à la rencontre des religions, où il présente avec une grande maîtrise et une remarquable érudition le problème de la rencontre des religions. Fidèle à l’enseignement de Vatican II, le théologien jésuite, à aucun moment, n’y met en doute l’unicité et l’universalité du message salvifique de Jésus – le P. Dupuis tenait sur ce point à se démarquer des questions posées par certains théologiens indiens. Dans cet ouvrage, central pour la compréhension de son ouvre, il s’interroge sur la place des religions non chrétiennes et des autres grandes traditions religieuses dans le projet de Dieu pour l’humanité. Le théologien y développe l’idée, présente dans Vatican II, selon laquelle l’Esprit est aussi à l’ouvre dans les autres religions. Pour le P. Jacques Dupuis, un chrétien peut prétendre que sa foi en Jésus-Christ est source de salut “à condition de ne pas figer ni réduire la manifestation de Dieu à la révélation de Jésus”. Il remarquait : “Jésus ne clôture pas l’histoire des manifestations de Dieu. Certes, l’événement Jésus-Christ est le point culminant et le sacrement universel, mais, selon la comparaison de St Irénée, Dieu sauve avec ses deux mains que sont le Verbe et l’Esprit.”

Outre son ouvrage de 1997, le P. Jacques Dupuis a publié plusieurs autres livres, notamment Jesus Christ and His Spirit (paru en 1977) et La rencontre du christianisme et des religions. De l’affrontement au dialogue (paru en 2002). Un certain nombre de manuscrits sont encore inédits ; en l’attente d’une autorisation de publication, ils n’ont pas encore été rendus publics.