Eglises d'Asie

LE TSUNAMI EN ASIE : ET DIEU DANS TOUT CELA ?

Publié le 18/03/2010




Hambantota (Sri Lanka) – Jouxtant les ruines de quatre bâtisses balayées par le tsunami, la petite maison de Poorima Jayaratne se tient debout, presque intacte. La jeune femme a une explication toute prête à cette anomalie, et à la survie de la totalité des membres de sa famille : elle est bouddhiste, et ses voisins ne l’étaient pas. “La plupart des gens qui ont perdu des proches étaient des musulmans dit-elle, ajoutant pour faire bonne mesure que deux chrétiens figurent parmi les morts. Pour appuyer son propos, elle désigne du doigt le poster de Bouddha qui est toujours collé au mur de sa maison.

Le tremblement de terre et le tsunami qui ont tué 150 000 personnes à travers l’Asie ont touché l’Indonésie, le plus grand pays musulman de la planète, l’Inde, à la population hindoue si considérable. Le tsunami a frappé la Thaïlande, à majorité bouddhiste et dont la population compte une minorité musulmane, et aussi le Sri Lanka, principalement bouddhiste, mais qui abrite également des minorités hindoues, musulmanes et chrétiennes non négligeables.

Au sein de chaque nation et de chaque religion, aussi, cherche-t-on à comprendre non pas seulement pourquoi le tsunami est survenu, mais également pourquoi il a tué certaines personnes et épargné d’autres – et chacun y va, en fonction de ses convictions propres, de son explication plus ou moins vive, ou parfois carrément accusatrice. Parmi les personnes les plus croyantes, le tsunami est perçu comme un geste de Dieu, bien qu’il ne soit pas toujours compréhensible par l’homme. Toujours, il y a la recherche de signes perceptibles, comme dans cette conviction de Rose Jayasuriya, 59 ans, que sa sour Patricia, 74 ans, disparue, est morte en action de grâce parce qu’elle venait de communier lorsque l’eau a envahi l’église qu’elles fréquentaient.

Certains y voient une leçon selon laquelle l’humanité devrait s’unir, arguant de tous ces corps de croyants de toutes les religions qui s’entassent dans les fosses communes. D’autres y voient la confirmation de la justesse de leur propre croyance par rapport à celles des autres. Mêlé à la sympathie, il y a le jugement ; derrière la compassion affichée, il y a les justifications personnelles.

En Indonésie, Din Syamsuddin, numéro deux de la Muhammadiyah, une des plus importantes organisations musulmanes du pays, explique que les Acehnais ont reçu calmement la tragédie comme un signe de la désapprobation de Dieu et une épreuve divine visant à éprouver leur foi. Les catastrophes naturelles comme les tsunami sont les signes que l’homme s’est écarté de la voie de Dieu, dit-il. “Nous croyons que c’est une épreuve et nous y faisons face avec passion et soumission explique-t-il. Parce qu’une catastrophe naturelle ne peut être qu’une épreuve envoyée par Dieu, les musulmans d’Aceh pensent que la vraie punition pourrait arriver plus tard, s’ils ne suivent pas les commandements de Dieu, ajoute-t-il.

Selon le dogme musulman, c’est seulement après s’être livrés à une évaluation critique personnelle et avoir accompli de bonnes actions que les gens peuvent commencer à rétablir leur relation avec Dieu. Reconstruire après le tsunami, pour beaucoup d’habitants d’Aceh, signifie véritablement “revenir au centre de la vie, qui est Dieu dit Syamsuddin.

En Inde, majoritairement hindoue, certains y voient l’effet d’une réaction divine à une société en transition, avec une économie en transformation qui alimente la corruption et l’avidité. Muthuvel, 55 ans, pêcheur à Nagapattinam, un des districts les plus touchés par la vague, a perdu son épouse. Il déclare : “La Mère-océan est en colère car les gens sont malhonnêtes et nous avons reçu cette punition. Les pêcheurs deviennent avides et jaloux de leurs confrères plus riches.”

Sri Ravi Shankar, un gourou en Inde qui a fait quantité d’adeptes à travers tout le pays au sein de la grandissante et très active classe moyenne, dit : “Si tu oublies la nature, c’est la voie pour que la nature se rappelle à toi. Le crime et le stress insultent la nature.”

Au Sri Lanka, quatre grandes religions (bouddhisme, christianisme, hindouisme et islam) cohabitent. Les explications fournies par chacun de leurs coreligionnaires présentent souvent des traits de similitude dans la croyance, reflétant à la fois les principales raisons pour lesquelles les religions évoluent et les voies par lesquelles elles se sont mutuellement influencées au cours des siècles.

La majorité de la population suit le bouddhisme du Theravada, pour lequel admettre le dukkha, ou endurer la souffrance, est un concept central, au même titre que l’est l’acceptation que l’homme est impuissant à contrôler la souffrance. Battapola Nanda, un moine bouddhiste dont le temple près de Galle a été transformé en centre d’accueil, dit que le tsunami renforce un principe central de cette croyance. “Si tu espères que quelque chose va arriver, elle n’arrive jamais, dit-il. Si tu espères qu’elle ne va jamais arriver, elle arrive.”

La même idée, selon laquelle le tsunami souligne à la fois les limites de l’homme et la grandeur de Dieu, imprègne les propos de Nasir Mohamad, le propriétaire d’un magasin de tissus à Hambantota, au Sri Lanka. Il n’appartient pas aux hommes d’expliquer pourquoi tant d’enfants ont péri, mais il est de leur ressort de l’accepter. “Allah a fait le monde, dit-il. Il peut donner, Il peut reprendre. Parfois Il donne encore plus. Parfois Il reprend.”

Les bouddhistes sri-lankais croient que la renaissance succède à la mort, et que les bonnes et les mauvaises actions déterminent le futur de chacun dans cette vie et la suivante. Il n’est donc pas surprenant que quantité de bouddhistes disent qu’ils soupçonnent que les gens qui ont perdu des enfants ont accompli quelque chose de mal lors d’une précédente vie. M. Wilmot, 49 ans, un boulanger dont les quatorze membres de la famille ont survécu, est convaincu que ceux qui ont perdu des êtres chers ont été punis de quelque péché. “Nous gagnons notre vie honnêtement, dit-il. C’est pourquoi il ne nous est rien arrivé à nous.” Sa boulangerie, située à une dizaine de mètres de la mer, a été endommagée, mais pas détruite. Il affirme suivre les cinq commandements du bouddhisme Theravada : ne pas mentir, ne pas voler, ou boire de l’alcool, ou faire la cour aux femmes, tuer des animaux, pendant que d’autres se contentent de donner de l’argent au temple et ensuite se comportent mal.

G. H. Bandusile, 44 ans, une épouse de pêcheur à Koggala, est convaincue que la punition est infligée aux rescapés, non aux morts. “Les bonnes personnes sont parties, dit Bandusile, qui a perdu sa mère. Les mauvaises personnes doivent rester et souffrir.”

Dans une ruelle du village de Nagurasa, situé dans le district de Galle, T. G. David, un agriculteur âgé de 72 ans, de confession bouddhiste et strict végétarien, dit que les pêcheurs assaillis par le tsunami ont payé pour le prix de leur travail. “Les pêcheurs prennent la vie, explique-t-il. Les agriculteurs n’ont pas de problèmes.”

Quelle que soit leur religion, les Sri Lankais cherchent à établir un lien entre la férocité de la nature et le caractère faillible de l’homme. Dans le district de Galle, au temple Sri Kathiresan, temple hindou datant de 1790, A. P. Sethuraman, supérieur du temple, s’en prend aux activités prohibées comme boire de l’alcool ou s’adonner à l’usage de la drogue, du fait des étrangers en particulier. “Quantité de choses mauvaises se passent autour des plages dit-il. Cela a été une leçon envoyée par Shiva, ajoute-t-il, précisant : “Vous devez vivre dans le droit chemin.” Pour appuyer ses propos, il tient pour preuve que le temple dédié à Vishnu et Kanda situé en ville a été épargné par les flots, là où les bâtiments alentour n’ont pas résisté.

Ramzy Mohamad, un homme d’affaires de confession musulmane âgé de 32 ans, dit que nombre de musulmans sri-lankais pensent que Dieu était en colère contre les dissensions au sein des familles, l’usage de la drogue et les viols. “Il s’est mis en colère et a déchaîné les flots dit Mohamad, qui a perdu onze membres de sa famille.

Pour le P. Charles Hewawasam, prêtre catholique qui déplore la disparition d’une religieuse et dix-huit membres de sa paroisse à Matara, au Sri Lanka, le tsunami peut s’interpréter comme une réaction aux divisions ethniques qui déchirent son pays, et aux récentes tensions religieuses entre bouddhistes et catholiques. “La Nature nous dit : ‘Vous pouvez bien jouir de vos pouvoirs, avoir vos luttes ; je peux détruire en quelques secondes tout cela’ dit-il. Les morts “ont sacrifié leur vie pour nous apprendre une leçon : restez unis, traitez-vous les uns les autres comme des êtres humains”.

Mais le tsunami paraît aussi avoir renforcé les divisions, peut-être dangereusement. Plusieurs dizaines d’églises ont été attaquées au Sri Lanka au cours de ces dernières années par des extrémistes bouddhistes. Et, aujourd’hui, de nombreux bouddhistes attribuent la responsabilité du tsunami aux chrétiens.

Au temple bouddhiste à Kalatura, Nimal Ranjit Perera en veut à un chrétien blasphémateur qui, selon lui, a confectionné un gâteau en forme de Bouddha pour ensuite le découper à l’aide d’un couteau. L’Indonésie, ajoute-t-il comme en aparté, a été frappée parce que les Indonésiens ont fabriqué et porté des sous-vêtements à l’effigie du Bouddha. Dans le même temple, Thenahandy Asha, 26 ans, accuse les chrétiens, mangeurs de viande, et qui ont “tué quantité d’animaux” à Noël, le jour précédent du tsunami. “Dieu était en colère dit-elle, de sorte que le jour suivant, le jour de “poya la pleine lune, jour sacré pour les bouddhistes, il a envoyé sa punition.

Se tenant à ses côtés, Samantha Silva, 24 ans, acquiesce : Dieu était en colère que tant de personnes aient mangé de la viande et consommé de l’alcool pendant Noël. Mais il ne parvient pas à expliquer pourquoi, si ce fut le cas, tant de bouddhistes sont morts, ni pourquoi tant d’enfants, sa propre fille et son propre fils, âgés de cinq et deux ans, se sont retrouvés parmi eux. Il est trop démoralisé pour tirer tout cela au clair, dit-il. Tout ce qu’il peut faire, c’est offrir des fleurs et allumer des bougies au temple, et prier pour que les prochaines vies de ses enfants soient de bonnes vies.