Eglises d'Asie

La Conférence épiscopale a publié un document pour clarifier sa position vis-à-vis des jeux de hasard, notamment des dons qui peuvent lui être faits par les organisateurs de jeux d’argent

Publié le 18/03/2010




Le 23 janvier dernier, en tant que président de la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP), Mgr Fernando Capalla, archevêque de Davao, a publié un document intitulé : “Déclaration de la CBCP au sujet des jeux de hasard”. Les évêques y affirment qu’ils n’encouragent pas les dons à l’Eglise issus des organismes officiels de jeux de hasard, même au motif de financer des projets pour les pauvres, pas plus qu’ils n’approuvent ou ne souhaitent promouvoir la culture des jeux de hasard prévalant dans le pays. Ils précisent toutefois qu’en tant que tels, les paris ne sont pas un péché. Le document des évêques a été publié à l’issue des trois jours qu’a durée l’assemblée plénière de la Conférence épiscopale.

Au sujet des organisateurs de paris illégaux, très répandus dans le pays, où le jueteng, jeu d’argent fondé sur des paris portant sur des combinaisons de chiffres, est très populaire, les évêques affirment qu’en tant que Conférence épiscopale, ils n’ont jamais sollicité ou reçu en connaissance de cause de dons issus de ces milieux (1). A propos des opérations légales de jeux de hasard, les évêques déplorent le fait que des responsables de l’Eglise aient pu solliciter à titre individuel des dons pour leurs ouvres charitables. Les évêques ajoutent qu’ils se gardent de juger de telles sollicitations venant de “pasteurs qui ont à cour d’aider les pauvres Ils déplorent le fait que, dans la situation de pauvreté qui est celle des Philippines d’aujourd’hui, les fonds publics tirés des activités de jeu de hasard sont souvent les seuls disponibles pour financer les ouvres caritatives de l’Eglise.

Sur le plan des principes, les évêques rappellent que, si la doctrine catholique ne condamne pas en tant que tels les jeux de hasard, c’est la passion que ces derniers provoquent qui est condamnée en ce sens que les jeux de hasard sont moralement condamnables dès lors qu’ils privent une personne ou sa famille du nécessaire. Forts de ce principe, les évêques affirment que l’Eglise des Philippines n’encourage pas le recours aux fonds issus des jeux d’argent pour aider les pauvres. Le risque, soulignent-ils, est de paraître approuver et promouvoir la culture du jeu et, par voie de conséquence, de scandaliser les fidèles.

Selon la presse locale, le document des évêques vient répondre à des controverses qui sont apparues sur la scène publique ces dernières semaines. Le 18 janvier dernier, la Commission sur les jeux de la Chambre des représentants délibérait au sujet d’une loi visant à réguler les activités, clandestines, des jueteng et autres jeux d’argents illégaux. Lors des débats, il a été affirmé que l’Eglise bénéficiait de dons faits par des organisateurs de tels paris clandestins et un député s’est interrogé publiquement sur “l’hypocrisie pure” dont faisait preuve l’Eglise lorsqu’elle acceptait pour ses ouvres de l’argent d’origine illégale.

Dans un entretien accordé à l’agence Ucanews en décembre dernier (2), Mgr Oscar Cruz, archevêque de Lingayen-Dagupan, avait ouvert le débat. Partisan de la lutte contre les jeux clandestins d’argent, il a initié en 2003, avec d’autres responsables religieux et civils, une campagne contre les jueteng ainsi que contre les autres formes de jeux de hasard, fussent-elles légales et organisées par la PAGGOR (Philippine Amusement and Gaming Corporation), la société publique qui gère les casinos et autres jeux d’argent. Dans l’entretien à Ucanews, Mgr Cruz a mis en cause un archevêque, sans le nommer. “Un archevêque, m’a-t-on dit, a reçu quatre millions de pesos (58 000 euros) de la PAGGOR en juillet dernier a-t-il déclaré, s’interrogeant sur l’indépendance dont on peut faire preuve sur les questions liées à la PAGGOR et aux jeux de hasard dès lors que l’on accepte de l’argent de ces milieux. Dans son combat contre les jeux d’argent, Mgr Cruz a ajouté qu’il estimait ne pas recevoir de ses pairs dans l’épiscopat le soutien qu’il attendait d’eux dès qu’il aborde la question des “abus commis par la PAGGOR” (3).

Deux responsables de l’Eglise catholique rendent publics leurs différends au sujet des relations de l’Eglise avec le pouvoir et à propos du rôle de la Conférence épiscopale

Quelques semaines avant l’assemblée plénière de la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP), qui a eu lieu du 21 au 24 janvier dernier, deux responsables de l’Eglise ont, par interviews interposées, rendu publics leurs différends sur divers sujets, notamment les relations entre l’Eglise et le pouvoir ainsi que le rôle de la Conférence épiscopale. Le débat a pris place entre Mgr Oscar Cruz, archevêque de Lingayen-Dagupan et président de la Conférence épiscopale de 1995 à 1999, et l’actuel président de la Conférence, Mgr Fernando Capalla, archevêque de Davao.

“L’objectif des évêques devrait être de regagner une stature morale et de faire en sorte que les évêques soient les prophètes qu’ils doivent être. Sinon, qui continuera à écouter nos messages ? a déclaré Mgr Cruz dans une interview à l’agence Ucanews. Plus spécifiquement, l’ancien président de la Conférence a déploré que, depuis un an, “la direction de la CBCP est trop attachée” à la présidente Gloria Macapagal-Arroyo.

Mgr Cruz a estimé qu’il était “désormais difficile de mobiliser les évêques pour défendre telle ou telle cause” et il a cité en exemple la lutte contre les jeux d’argent (1). Selon lui, “les évêques ne cherchent pas à voir au-delà de la gestion au jour le jour de leurs diocèses respectifs et se montrent moins collégiaux que nous pouvions l’être auparavant”. Citant l’exemple de son “combat” contre les paris clandestins, Mgr Cruz a ajouté que certains évêques “se sentaient très isolés”. Sur le fonctionnement concret de la Conférence épiscopale, il a dénoncé ce qu’il analyse comme étant un excès de centralisation, préjudiciable à l’initiative. “Aucun responsable d’aucune commission ne publiera une déclaration sur l’un ou l’autre sujet sans avoir au préalable obtenu l’accord du président de la CBCP, a-t-il affirmé, car le Conseil permanent a interdit toute prise de parole indépendante”. Pour que les évêques se mobilisent sur les problèmes de société, tels les ravages causés par l’exploitation minière ou la déforestation, a insisté Mgr Cruz, la Conférence épiscopale doit retrouver un sens du “leadership”.

En réponse, Mgr Capalla a déclaré que la Conférence épiscopale était impliquée de longue date dans les sujets de société. Il a pris pour exemple la déclaration de 1996 de la CBCP au sujet du “Développement, fruit de la justice et de la paix où étaient notamment dénoncés “les paris clandestins organisés”. Il a rappelé les déclarations de l’an dernier de Mgr Gaudencio Rosales, archevêque de Manille, sur la corruption et les jeux d’argent.

Sur le fonctionnement lui-même de la Conférence épiscopale, Mgr Capalla a estimé qu’il était “très sain” que les évêques ne soient pas tous d’accord sur des sujets tels que les jeux de hasard et les questions de société. “Certains évêques et des prêtres pensent qu’une hiérarchie divisée est une mauvaise chose, mais c’est normal dans l’Eglise a-t-il précisé, rappelant que les Conférences épiscopales n’ont pas vocation à se substituer aux évêques, seuls responsables de leurs diocèses respectifs.

Mgr Capalla a rappelé la situation qui était celle des années 1970 et du début des années 1980, sous le régime Marcos, lorsqu’“il y avait des factions [au sein de la CBCP] entre progressistes, conservateurs et la majorité silencieuse.” Aujourd’hui, de telles factions n’existent plus, a-t-il affirmé. “Nous, les Philippins, nous avons chassé le dictateur, responsable de tant de maux sociaux et socio-économiques a-t-il observé, mais, en dépit des événements de 1986 et de 2001, peu de transformation sociale a eu lieu. Mgr Capalla a conclu en disant qu’à ses yeux, l’Eglise n’avait pas fait assez pour la réconciliation de la nation et la guérison de ses blessures.

La Conférence des évêques catholiques des Philippines compte 118 membres. Fondée 1968, elle a pour objet, selon ses statuts, de définir des programmes et des politiques communes dans le domaine pastoral, l’évangélisation des Philippines et de ses autorités civiles, ainsi que le développement des relations avec les autres conférences épiscopales.