Eglises d'Asie

UNE INTERVIEW DU VENERABLE THICH NHAT HANH

Publié le 18/03/2010




Nguoi Viet Nam : Nous avons rencontré le vénérable Thich Nhât Hanh à Hanoi. Malgré la fatigue due à vingt heures de voyage, c’est avec bonne humeur et cordialement que le religieux s’est entretenu avec nous de sa conception de la doctrine bouddhiste et des acticités bouddhistes au Vietnam.

En dehors du fait que votre présence au Vietnam est une source de joie, quel est le message dont vous êtes porteur pour le transmettre au pays ?

Il ne s’agit sans doute pas d’un message oral, mais d’un sentiment humain : seulement s’asseoir ensemble en toute fraternité et s’aider mutuellement à dissiper les erreurs pour être plus lucide, plus heureux et servir davantage notre religion, notre peuple, notre pays. La fraternité est ce qui est le plus précieux. Celui qui pour une quelconque raison détruit la fraternité va à l’encontre de ce qu’il désire.

Voulez-vous nous parler de vos activités religieuses à l’étranger ?

Là-bas, je mène ces activités très facilement. Nous allons prêcher dans n’importe quel pays, y compris en Italie, sans qu’il soit besoin de l’intermédiaire ou de l’autorisation d’une Eglise ou d’une quelconque organisation. Que la prédication ait lieu dans un stade, dans une université ou encore dans un cinéma, il suffit de louer les lieux. Cependant, je comprends aussi que notre pays qui se trouve dans une période d’édification est en train de s’ouvrir : aussi bien je n’exige rien de semblable. Je pense que l’autorisation que j’ai reçue de l’Etat pour revenir ici partager la vérité et enseigner, l’autorisation donnée à l’impression de mes livres sont des choses positives qui montrent que l’Etat veut véritablement l’ouverture. De ceci, le monde se réjouit. Quand je suis arrivé à l’aéroport de Paris, de nombreux journalistes sont venus m’interviewer. Il se sont montrés très préoccupés. Je leur ai dit que mon retour au pays montrait que le Vietnam voulait s’ouvrir et présenter au monde une belle image de lui. Nous contribuons à ce que cette ouverture se fasse plus rapidement et plus largement. Pour cela, nous devons être très modestes, adopter une attitude sans préjugé ni a priori. J’en ai bien conscience.

Quelle est votre opinion sur la vie bouddhiste au Vietnam actuellement ? A travers les lettres reçues, les informations obtenues, quel est votre jugement sur le bouddhisme au pays ?

Ce que je sais du bouddhisme au Vietnam ; c’est ce que m’ont dit mes amis. Je sais que de retour dans mon pays, j’écouterai avec attention mes amis d’ici, sans a priori ni préjugé. C’est ainsi que je pourrai obtenir une vue exacte, proche de la réalité. A parler avant d’avoir vu et entendu clairement, on risque fort de se tromper (.). A vrai dire, nous avons fait de nombreux efforts sans pourtant répondre aux besoins spirituels de la jeune génération, la nouvelle génération d’intellectuels. Les adeptes de la religion de Bouddha doivent s’efforcer encore davantage.

Un certain nombre de journaux affirment que, au Vietnam, il existe une persécution religieuse. Avez vous entendu dire cela et qu’en pensez-vous ?

Je l’ai entendu dire, mais je ne fais pas partie des hommes politiques et je ne veux pas utiliser de telles informations pour créer davantage de divisions et de difficultés. Ce que je pense, c’est que je suis un compatriote ; les bouddhistes de ce pays, surtout le monde des jeunes, veulent me lire. Ils désirent ardemment partager avec nous une expérience de quarante ans de pratique du bouddhisme en Occident. C’est cela l’important. Nous aimons notre pays, son peuple, nos compatriotes. Voilà l’important. Quant à ce qui se dit à droite et à gauche, quel que soit le mal que l’on raconte, tout cela n’a guère d’influence sur nous. Ce n’est pas cela qui nous détermine à agir. C’est notre cour qui nous pousse. Nous savons que nos compatriotes ont besoin de nous et que nous avons besoin d’eux. C’est ainsi que nous agissons ; c’est aussi simple que cela.

Dans un esprit bouddhiste, selon vous, quel est le comportement correct que doit adopter l’humanité dans les deux domaines du politique et du religieux, deux domaines, semble-t-il, passablement éloignés, l’un de l’autre ?

J’estime que le politique est un domaine d’activités du pays, la religion en est un autre. Les deux devraient pouvoir collaborer ensemble. Mais que les hommes de religion ne jouent pas aux politiciens et que les politiciens ne se mêlent pas de religion ! Ces deux mondes ne devraient pas se mêler. Si je suis religieux, je me contente de l’être. Si je suis un homme politique, je resterai dans mon domaine. Dans les deux cas, il faut se conformer à la morale.. Celle-ci en effet est différente de la religion. Quand la religion tourne au fanatisme, se considère comme propriétaire de la vérité, cela peut être une attitude religieuse, mais cela n’est pas une attitude morale : elle manque d’ouverture, de tolérance. Je pense que la contribution prioritaire de la religion à son pays se situe dans son apport de valeurs morales. Car, les hommes politiques ont aussi besoin de dimensions spirituelles pour vivre. Eux aussi, ont leurs propres épreuves et si les hommes de religion peuvent les aider à les surmonter, cela est fort bien.

Que direz vous aux religieux bouddhistes du pays ?

Je leur ferai part de mon expérience de vie religieuse en Occident. Le bouddhisme a des caractéristiques propres en chaque pays (.). Mais pour la plupart, les gens suivent une même voie de croyance. Ils croient en une force, un être spirituel qui les dépasse. Quant aux bouddhistes, ils s’exercent à croire à leurs possibilités intellectuelles pour déchirer le voile de l’invisible.

Ferez-vous mention du changement dans la façon de pratiquer le bouddhisme et l’exposer en fonction des besoins de la jeunesse d’aujourd’hui ?

Dans le pays comme à l’étranger, partout, je dis ceci : “Vous devez faire en sorte que votre doctrine et votre pratique répondent aux inquiétudes de la jeunesse et y apportent une solution, sinon les gens délaisseront votre religion et s’en iront.” Il en est de même du bouddhisme ; s’il n’y a pas de renouveau, si votre prédication n’utilise pas un vocabulaire et des pratiques qui aident les hommes à trouver une solution à leurs souffrances, alors les gens abandonneront le bouddhisme et s’en iront.

Nous avons fondé un centre qui suit la tradition bouddhiste vietnamienne, mais qui se veut adapté à l’Occident. Nous avons donc occidentalisé le bouddhisme vietnamien pour répondre aux besoins spirituels des occidentaux. J’accomplis ma visite au Vietnam en tant que représentant du bouddhisme européen et américain, mais ma source est au Vietnam. Avec moi, se trouvent cent religieux ayant pris l’habit, et 90 oblats, représentant une trentaine de nations. Notre pratique est celle du “Thiên chan niêm” (NdT : bouddhisme zen, venu de Chine). Nous nous exerçons à vivre en profondeur la minute présente, sans nous laisser entraîner par le passé ou même par l’avenir pour mieux rencontrer les mystères présents dans le moment présent. Notre présence, même si elle ne vaut pas la parole, exprime l’esprit de Bouddha.