Eglises d'Asie

La reprise des affrontements à Jolo et des attentats à la bombe dans le pays font redouter aux chrétiens et aux musulmans une spirale de la violence

Publié le 18/03/2010




Trois attentats terroristes, revendiqués par le groupe islamiste Abu Sayyaf (1), ont frappé le 14 février dernier trois villes des Philippines. Au total, dix personnes ont été tuées et au moins 154 blessées. Un porte-parole Sayyaf, Abu Solaiman, a déclaré sur une radio de Manille que les attentats, destinés à tuer le plus de monde possible, étaient un “cadeau de saint Valentin” pour la présidente des Philippines Gloria Arroyo, et que d’autres actions allaient suivre. Dans la capitale, Manille, six personnes ont été fauchées et 94 blessées dans un attentat à l’explosif contre un bus dans le quartier d’affaires de Makati, sur la grande artère Epifanio de los Santos Avenue (EDSA). L’explosion est survenue à une heure de grande affluence. Deux heures plus tôt, une personne avait été tuée par un engin visant un dépôt de bus à Davao, sur l’île méridionale de Mindanao. Dans la ville de General Santos, toujours dans le sud de l’archipel, trois autres personnes ont été tuées et trente-trois blessées : la bombe avait été dissimulée dans un triporteur devant un centre commercial très fréquenté.

Ces attentats surviennent alors que, depuis une dizaine de jours, quelque 4 000 soldats philippins traquent plusieurs centaines de rebelles du groupe Abu Sayyaf et du Front moro de libération nationale (MNLF) sur l’île de Jolo. Au moins soixante rebelles et une trentaine de soldats ont péri en une semaine de combats. Par ailleurs, 15 000 habitants ont fui la région, soumise au pilonnage des canons de l’armée. Le gouverneur de la province, Ben Loong, a estimé que l’armée avait besoin “d’une ou deux semaines supplémentaires” pour venir à bout des rebelles. Le porte-parole Sayyaf, Abu Solaiman, a accusé l’armée “d’avoir massacré des familles entières” à Jolo. “Nous ne nous arrêterons pas avant d’avoir obtenu justice pour les innombrables vies et propriétés de musulmans que vous avez détruites, a-t-il averti. Nos dernières opérations à Manille, Davao et General Santos, préparées et exécutées avec précision par les valeureux combattants de l’islam, sont notre réponse aux atrocités commises par le gouvernement des Philippines partout contre les musulmans.” Le gouvernement a, de son côté, dénoncé ces “actes terroristes ignobles 

Face à cette soudaine dégradation de la situation, des responsables religieux se sont exprimés pour condamner les attentats ainsi que pour dire leur crainte de voir une nouvelle spirale de la violence s’enclencher. Le 15 février, Mgr Fernando Capalla, archevêque de Davao, a déclaré que “des actes aussi ignobles sont injustifiables car ils contreviennent de façon évidente aux enseignements de Dieu aussi bien qu’à ceux d’Allah. Ces actions doivent être dénoncées comme étant contraires au christianisme et contraires à l’islam”. Le président de la Conférence des évêques catholiques a poursuivi en appelant le gouvernement à se montrer plus efficace dans la chasse aux terroristes car il existe des indices, a-t-il ajouté, montrant que “le plan des terroristes” gagne en sophistication et devient extrêmement dangereux.

Le même jour, à la télévision nationale, Ustadz Mahmod Adilao, un dignitaire musulman, a demandé que les autorités civiles “engagent un dialogue avec les groupes musulmans, et tout particulièrement avec les responsables musulmans, afin d’assurer tout musulman qu’il ne sera pas, à nouveau, l’objet de mesures de rétorsion”. Il a précisé que les musulmans avaient peur et craignaient d’être pris de façon indiscriminée pour cibles par la police et les militaires.

A Mindanao, un missionnaire présent dans l’île depuis des années, a déclaré à l’agence Fides : “La paix est en danger dans le sud des Philippines Interrogé avant les attentats du 14 février, il redoutait que les violents combats autour de Jolo, sur l’île de Sulu, ne compromettent durablement les efforts en faveur de la paix entrepris ces derniers temps. Lui et d’autres missionnaires ont souligné que cette reprise de la violence intervenait à un moment où Manille et le Front moro de libération islamique (MILF) étaient allés assez loin dans leurs pourparlers et semblaient proches d’un accord en vue de l’ouverture de négociations officielles (2).

Les combats de ces derniers jours dans la région de Jolo ont mis aux prises les forces armées gouvernementales et des membres du groupe Abu Sayyaf, appuyés par des rebelles du MNLF. La situation s’est dégradée après que, le 7 février, l’armée philippine ait attaqué les positions des rebelles Sayyaf à Jolo ; mais, d’après des sources militaires, les affrontements les plus durs n’auraient commencé qu’après l’entrée en scène des rebelles du MNLF, mouvement de guérilla qui a signé en 1996 un accord avec Manille et qui s’est intégré dans l’administration civile. Le groupe voudrait faire pression sur Manille pour faire transférer dans une prison de Jolo l’ancien dirigeant Nur Misuari, personnage controversé qui a mené à bien des accords de paix avec Manille en 1996 et était devenu gouverneur civil. Le retour aux armes signifierait le début d’un bras de fer entre les fidèles de Misuari, arrêté pour rébellion en 2001, et la présidente Arroyo. Sur place, les observateurs craignent une fusion entre les anciens rebelles du MNLF, du MILF et les hommes Sayyaf, ce qui créerait une situation propice à une spirale de l’affrontement, l’armée philippine, encadrée par des instructeurs américains, étant résolue à combattre “les terroristes”.