Eglises d'Asie

TSUNAMI : LE TEMOIGNAGE DE L’UNIQUE PRETRE CATHOLIQUE D’ACEH

Publié le 18/03/2010




Ucanews : Où étiez-vous le 26 décembre lorsque le tremblement de terre et le tsunami ont eu lieu ?

P. Ferdinando Severi : J’étais en chemin pour rendre visite à un paroissien malade de Meulaboh, où se trouve une chapelle dépendant de la paroisse de Banda Aceh, lorsque le tremblement de terre s’est produit. J’achetais des gâteaux pour cette personne malade. Quelques minutes plus tard, j’ai vu les gens courir et hurler : « L’eau arrive, l’eau arrive. » Comme d’autres, j’ai fui vers une hauteur.

Comment avez-vous survécu là où tant ont péri ?

Je pense que le Seigneur souhaite que je poursuive mon travail à Aceh. Lorsque nous avons fui, nous apercevions l’eau qui venait de toutes parts, nous encerclant. Nous nous sommes échappés en grimpant au second étage d’une mosquée. L’eau est montée de quatre mètres, nous encerclant durant des heures. Quand l’eau a reflué, nous avons marché jusqu’aux villages. Craignant de nouveaux tsunamis, la police et les soldats nous ont toutefois transporté vers une partie en hauteur, sur des collines. Nous avons passé la nuit dans un baraquement pour soldats. Nous ne pouvions pas quitté Meulaboh. Les moyens de communication et de transport étaient détruits. Je ne pouvais pas appeler mon archevêque, à Medan et je n’ai pas pu le faire durant les quatre jours que j’ai passé à arpenter Meulaboh.

Heureusement, les musulmans nous ont donné à manger. Nous étions complètement isolés et nous avons passé une autre nuit dans une coopérative de poulets. Il y a un aéroport à Blang Pidie, à une centaine de kilomètres au sud de Meulaboh. Nous avons marché deux kilomètres puis nous avons pris un bus pour nous rendre là-bas. Grâce à l’aide de Sino-Indonésiens bouddhistes, j’ai pu acheter un billet d’avion et des habits. Le billet a coûté 600 000 roupies (50 euros). Je n’avais plus rien, la mer ayant emporté mes affaires. J’ai pris un petit avion pour Medan, le chef-lieu de la province de Sumatra-Nord. J’ai enfin pu appeler mon archevêque et lui dire que j’étais sain et sauf. Le même jour, je suis retourné à Banda Aceh par un autre vol.

Dans quel état d’esprit êtes-vous un mois après le tremblement de terre et le tsunami ?

Je suis attristé de voir devant mes yeux tant de souffrances. L’aide humanitaire ne peut pas apaiser la souffrance des gens et les traumatismes causés par le tsunami qui a tué leurs enfants, leurs frères et leurs sours, leurs parents et leurs proches. A Banda Aceh, l’aide d’urgence est présente en quantité suffisante, la nourriture, les habits, les médicaments. Mais ce n’est pas le cas à Meulaboh, à Sigli et dans d’autres localités difficiles d’accès. Les transports par voie de terre pour distribuer l’aide restent difficiles car les routes et les ponts ont été endommagés. L’activité économique est à l’arrêt car les Sino-Indonésiens qui contrôlaient les entreprises ont fui à Medan.

Banda Aceh est encore encombré de débris. On trouve des corps chaque jour. Les gens ont peur, dans les camps de réfugiés, et on n’en finit pas de voir les camions et les bulldozers dégageant ces amoncellements de débris. La menace de manque d’eau potable et d’eau relativement propre pour se laver est permanente. Les gens n’en peuvent plus de respirer un air vicié par les corps en décomposition, par l’odeur de la mort.

Je suis triste lorsque je pense à la situation de mes paroissiens. Avant, Banda Aceh comptait quatre cents fidèles. Trente-trois ont été emportés par les eaux et six sont toujours portés disparus. Meulaboh avait cinquante catholiques et le tsunami en a tué neuf.

Je resterai ici pour aider les personnes handicapées. J’ai reçu la visite de Mgr Malcolm Ranjith, nonce apostolique en Indonésie, du cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne, et de Mgr Pius Datubara, archevêque de Medan. Leurs visites m’ont réellement aidé et réconforté.

Quel est votre travail pastoral désormais ?

Il n’y a plus de travail pastoral auprès des catholiques aujourd’hui. Tous les catholiques sont partis se réfugier à Medan et ailleurs. Je suis ici pour aider les organisations étrangères qui sont intervenues pour aider les gens qui souffrent dans les camps de réfugiés et les hôpitaux. Deux religieuses, des Sours de la Charité, sont ici aussi, pour aider. Chaque jour, les sours, un médecin américain et l’équipe du Catholic Relief Services (branche caritative de la Conférence des évêques des Etats-Unis) visitent les réfugiés et distribuent nourriture et médicaments. Nous faisons un travail pastoral concret.

Chaque jour, j’assiste les Caritas des différents pays présentes ici, les fonctionnaires du gouvernement et d’autres qui coopèrent dans la distribution des aides humanitaires aux Acehnais, particulièrement aux rescapés et aux pauvres. A court terme, l’ordre du jour est de fournir de la nourriture et des matériaux de construction ; à long terme, il faut remettre les gens debout mentalement et physiquement – pour ceux que la catastrophe a laissé handicapés. Je visite les gens dans les hôpitaux et les camps de réfugiés, je distribue du lait et des fruits aux enfants et je les distraie avec des chants et en leur racontant des histoires.

Qu’attendez-vous du gouvernement en ce qui concerne l’aide pour les gens qui souffrent ?

L’Eglise à Banda Aceh a reçu des aides en provenance d’Indonésie et d’autres pays. Nous utiliserons les fonds que nous recevons selon l’ordre du jour à long terme fixé par l’archidiocèse de Medan : restauration, reconstruction et relogement. Nous espérons que les autorités nous aideront à réaliser ces objectifs et aideront les Caritas à mener à bien leurs projets en faveur des pauvres. La Caritas Belgique et la Caritas Allemagne ont mis sur pied des projets pour les pauvres. Le mois prochain, elles commenceront la construction d’un millier de maisons, à environ vingt-cinq kilomètres au sud-est de Banda Aceh.

Et à propos de l’aide humanitaire envoyée par l’Eglise catholique ?

Chaque jour, à Banda Aceh, le Service jésuite pour les réfugiés, l’archidiocèse de Medan, Caritas Internationalis, la Conférence épiscopale d’Indonésie et d’autres institutions catholiques apportent une aide humanitaire pour les gens qui souffrent, une aide en nourriture, en habits et en médicaments. Ensemble avec Caritas Internationalis, nous prévoyons de construire des maisons pour des musulmans pauvres.

Comment voyez-vous l’avenir de l’Eglise catholique à Banda Aceh ?

L’avenir de l’Eglise catholique à Banda Aceh est encore incertain. Seulement six de mes quatre cents anciens paroissiens ont pris part à la première messe célébrée après le tsunami, le 9 janvier. Mais nous ne sommes pas sans espoir. Avec seulement une poignée de catholiques, l’Eglise et ses services continueront. Je suis sûr et optimiste quant à l’avenir de l’Eglise à Aceh, que l’Eglise continuera à exister car les Sino-Indonésiens reviendront ici pour gérer leurs affaires. Notre église est toujours debout, elle n’a pas subi de graves dommages. Située sur une petite hauteur, les eaux ne sont montées que d’une vingtaine de centimètres à l’intérieur.

Quel est l’avenir des écoles que l’Eglise géraient dans la province ?

Avant le tremblement de terre et le tsunami, nous avions un jardin d’enfants, une école primaire, un collège et un lycée, gérés par la Fondation catholique Budi Dharma. Les écoles, propriétés de l’archidiocèse de Medan et dirigées par les Sours de la Charité de Notre Dame Mère de Miséricorde, scolarisaient quatre cents enfants catholiques, bouddhistes, protestants et musulmans – 70 % d’entre eux étaient des Sino-Indonésiens, 25 % des Bataks (le principal groupe ethnique de Sumatra-Nord) et 5 % d’autres origines.

La plupart des élèves et la totalité des 43 enseignants, y compris les sours, ont fui à Medan ou ailleurs. Mgr Datubara nous a demandé de recommander à nos anciens élèves de se présenter dans les écoles gérées par l’archidiocèse à Medan. Nous demandons que tous soient reçus, quelle que soit leur appartenance religieuse.

Il est impossible de mener normalement les activités scolaires dans nos écoles catholiques ici ce semestre. Les élèves sont partis se réfugier dans d’autres provinces avec leurs parents et nos établissements sont encore encombrés de débris. Le ministre des Affaires sociales Alwi Shihab a demandé à des bénévoles et aux soldats de les nettoyer. Ils ont trouvé 25 corps. Nous devons réhabiliter ces bâtiments. Les murs ont des fissures. Je suis sûr que les catholiques de Sumatra-Nord ne reviendront pas, mais j’espère que les Sino-Indonésiens reviendront chez eux. Je suis certain qu’ils enverront à nouveau leurs enfants à l’école.

Disposez-vous d’information au sujet des accusations de « christianisation » et d’adoption d’enfants d’Aceh qui se seraient produites à l’occasion des opérations de secours ? (1)

Un groupe de musulmans fanatiques a intentionnellement créé cette rumeur dans le but d’empêcher que les Acehnais deviennent trop proches des Occidentaux présents ici. Aujourd’hui, ils se rendent compte que les Acehnais sont malgré tout proches et attirés vers les volontaires étrangers, particulièrement ceux venus d’Europe et des Etats-Unis – et cela parce que ces volontaires sont venus ici avec une seule et sincère intention, celle d’apporter une aide humanitaire. Le problème de l’adoption d’enfants orphelins est une histoire fausse.

Quelle est votre priorité pour Aceh ?

En premier lieu, nettoyer les débris laissés par le tsunami et enlever les corps. Ensuite, assurer le redémarrage de l’économie, afin que les Acehnais repartent dans la vie et, j’espère, que les Sino-Indonésiens reviennent pour gérer à nouveau leurs affaires.

(1)Voir EDA 412