Eglises d'Asie

MISSIO INTER GENTES : VERS UN NOUVEAU PARADIGME DE LA THEOLOGIE MISSIONNAIRE

Publié le 18/03/2010




Introduction

Romancée depuis des milliers d’années par des légendes exotiques et des récits de voyageurs, l’Asie, lieu de naissance de la plupart des civilisations anciennes et des religions du monde, est un continent béni par des communautés exubérantes, riche de leur kaléidoscope bariolé de cultures, religions et philosophies, dont beaucoup sont plus anciennes que le christianisme. Alors que les deux tiers environ de la population mondiale vivent en Asie, elle demeure néanmoins le continent ayant la plus petite population chrétienne malgré presque deux millénaires d’activité missionnaire, débutant avec les premiers pas effectués par les missionnaires chrétiens d’Assyrie qui se sont aventurés en Chine et en Inde au cours du premier millénaire chrétien. Au commencement du troisième millénaire chrétien, les chrétiens ne représentent qu’environ 4 % de la population totale de l’Asie, et les seuls pays asiatiques ayant une population chrétienne significative sont les Philippines, la Corée du Sud et le Timor-Oriental.

Ce document se propose d’examiner la théologie missionnaire de la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie (FABC) (1), telle que présentée dans ses documents officiels pendant les trois dernières décennies de son existence, et d’évaluer ses implications. Dans ses documents officiels, la FABC est partie du principe que l’environnement asiatique, avec son abondante diversité et sa pluralité de religions, de cultures et de visions philosophiques du monde, nécessite une approche spécifiquement asiatique de la proclamation de l’Evangile, qui soit sensible à cette diversité et ce pluralisme. Dans cet objectif, ce document étudiera et examinera sous un angle critique les principaux aspects et principes fondateurs de la théologie missionnaire de la FABC. Il explorera aussi les implications (2) de l’approche missionnaire de la FABC en vue de relever les défis de la tâche d’accomplissement de la mission chrétienne dans le cadre du Sitzen-im-Leben asiatique divers et pluraliste, tout particulièrement avec la persévérance constante de la FABC qui fait que la mission chrétienne en Asie est accomplie au mieux par le biais d’un triple dialogue avec la myriade de traditions religieuses et cultures asiatiques, et les masses innombrables de pauvres et de marginaux asiatiques. Il se poursuivra ensuite en suggérant que l’approche missionnaire de la FABC est représentée parfaitement par la missio inter gentes (mission au sein des nations) plutôt que par la missio ad gentes traditionnelle (mission vers les nations), compte tenu de la perception par la FABC de la question du pluralisme religieux en Asie et de sa préférence pour une approche fondée sur un dialogue sans confrontation, pour aborder ce sujet.

En vue de la réalisation de ce document, les “Déclarations finales” (‘Final ) de l’ensemble des sept Assemblées plénières de la FABC de 1974 à 2000, les déclarations des divers Bishops’ Institutes (3), le FABC Office of Theological Concerns (anciennement FABC Theological Advisory Commission), tout comme les entretiens, colloques, conférences et symposiums organisés sous l’égide de la FABC seront étudiés et analysés. Comme D. Colombo l’explique, alors qu’il est vrai que les déclarations des divers Bishops’ Institutes de la FABC ne disposent pas “de la même autorité que les Assemblées et représentent une expression indirecte de la FABC néanmoins ils “constituent le mécanisme permettant aux lignes de réflexion et d’action offertes à la Fédération et aux Assemblées d’être en fait esquissées et analysées” (4). De façon similaire, Miguel Marcelo Quatra souligne que les documents des différents Bureaux de la FABC, parmi lesquels le “FABC Office of Theological Concerns jouissent d’une autorité que l’on pourrait dire éclairée, du fait qu’ils constituent une instance accréditée de la FABC et des Conférences épiscopales qui en choisissent les membres (5). Par conséquent, tous ces documents ont différents niveaux d’autorité théologique (parmi lesquels ceux disposant de la plus haute autorité seraient les Déclarations finales des Assemblées plénières de la FABC, suivis par les documents des Bishops’ Institutes, et d’autres réunions régionales ou nationales). Pris ensemble comme un tout organique et examinés en même temps, ils peuvent donner une vision plus claire de la théologie de la mission de la FABC (6).

Enraciner l’Evangile dans la diversité religieuse et la pluralité de l’Asie

Peut-être que le plus grand défi auquel les évêques de la FABC sont confrontés concernant l’accomplissement de la mission chrétienne est la question de la diversité et de la pluralité de l’environnement asiatique, avec ses myriades de religions, cultures et peuples. Au cours de ses deux mille ans d’histoire, l’Eglise a rencontré une diversité de peuples, cultures et religions, commençant avec les cultures juives et gréco-romaines, avant d’évoluer dans les cultures romaine, germanique, celtique, gauloise et d’autres cultures européennes à partir du IVe siècle. En Europe et dans les Amériques, le problème a été résolu, le christianisme étant devenu la religion et la culture dominantes. Appuyée sur la toute puissance du pouvoir impérial au sein d’une alliance entre l’Eglise et l’Etat, l’Eglise en Europe a triomphé des religions et institutions païennes pour christianiser l’Europe de l’antiquité tardive, conduisant à l’émergence du royaume chrétien en Europe. David Bosch a décrit succinctement ce développement et ses implications pour le déploiement missionnaire de l’Eglise, comme suit :

Les décrets de 380 de l’empereur Théodose Ier (qui exigeait que tous les citoyens de l’empire romain soient chrétiens) et de 391 (qui interdisait tous les cultes non chrétiens) ont inexorablement conduit à la bulle du pape Boniface, Unam Sanctam (1302), qui proclamait que l’Eglise catholique était la seule institution garantissant le salut ; et au concile de Florence (1442) qui condamnait aux flammes éternelles de l’enfer toute personne qui n’était pas fidèle à l’Eglise catholique. (7)

David Bosch a de plus soutenu que la “certitude inébranlable, extraordinaire et collective du Moyen Age, qui a existé jusqu’au XVIIIe siècle concevait la tâche de la mission chrétienne en tant que tâche de “conquête et de déplacement en d’autres termes : “Le christianisme était unique, exclusif, supérieur, définitif, normatif et absolu ; l’unique religion qui avait le droit divin d’exister et de se développer” (8). Pour lui, avec la chute du colonialisme occidental, le christianisme “a perdu son hégémonie” partout et “doit aujourd’hui se battre pour que son autorité soit reconnue sur le marché libre des religions et des idéologies de telle façon “qu’il n’existe plus d’océans séparant les chrétiens des adeptes des autres religions” (9). Sur cette base, il a conclu que “nous avons atteint le point ou il ne peut y avoir que peu de doutes sur le fait que les deux plus grands problèmes non résolus pour l’Eglise chrétienne sont sa relation : 1.) avec les visions du monde qui offrent le salut en ce monde, et 2.) avec les autres croyances” (10).

Clairement, les observations et commentaires rigoureux de David Bosch sont particulièrement pertinents concernant la difficile tâche d’accomplissement de la mission chrétienne au sein du monde asiatique divers et pluraliste. Le théologien américano-vietnamien Peter C. Phan enfonce carrément le clou quand il déclare que “c’est en Asie que la question du pluralisme religieux est littéralement un sujet de vie ou de mort et de façon plus importante, “l’avenir du christianisme asiatique est en équilibre, dépendant de la façon dont le pluralisme religieux est compris et vécu” (11). La question est faussement simple ; mais une solution est excessivement équivoque : comment l’Eglise en général et les missionnaires en particulier devraient-ils réagir face à la diversité et à la pluralité de religions et cultures en Asie ?

Pour tout observateur extérieur, la FABC est très à l’aise avec la diversité et la pluralité du Sitzen-im-Leben asiatique. Depuis le tout début, la FABC est restée à l’écart de toute forme religieux, appréhendant le pluralisme religieux comme un aspect inné et unique de l’environnement socio-religieux asiatique (12), et cherchant constamment à travailler au sein du pluralisme divers de l’environnement asiatique avec ses multiples populations, cultures et religions. Tandis que d’autres peuvent considérer la diversité et la pluralité de l’Europe et de l’Amérique du Nord post-modernes comme des défis que l’Eglise doit affronter et surpasser, pour les évêques asiatiques, la question consiste plutôt à se demander comment les Eglises asiatiques locales peuvent être à l’aise avec une telle diversité et pluralité.

Donc, lors de sa création à la “Réunion des évêques asiatiques” (Asian Meeting) avec le pape Paul VI à Manille (1970), les évêques asiatiques ont reconnu que l’Asie est “un continent de cultures, religions, histoires et traditions anciennes et diverses, une région multicolore comme le manteau de Joseph” (ABM, art. 7) (13).

La Première Assemblée plénière de la FABC a reconnu que les grandes traditions religieuses de l’Asie sont

des éléments positifs et significatifs dans le système du dessein et du salut de Dieu. En elles, nous reconnaissons et respectons de profondes significations et valeurs spirituelles et éthiques. Au cours de nombreux siècles, elles ont été le trésor de l’expérience religieuse de nos ancêtres, à partir duquel nos contemporains ne cessent de puiser force et lumière. Elles ont été (et continuent d’être) l’expression authentique des aspirations les plus nobles de leurs cours, et le foyer de leurs contemplations et prières. Elles ont aidé à modeler les histoires et cultures de nos nations (FABC I, art. 14) (14).

Un an après la conclusion de FABC I, s’est tenue la réunion de BISA II avec, entre autres, la déclaration suivante sur le pluralisme qui allait avaliser toutes les discussions ultérieures des diverses Assemblées plénières de la FABC et des Bishops’ Institutes sur le pluralisme :

Le pluralisme est une nécessité dès que nous travaillons avec la médiation de l’analyse et des conceptions humaines. Ce pluralisme ne devrait pas constituer une menace pour notre unité chrétienne, mais, au contraire, une indication positive et créative que notre unité est plus profonde que tout ce qui pourrait être démontré par l’analyse technique concrète ou les prises de position : une valeur authentique qui souligne l’unité dans la diversité (BISA II, art. 10) (15

Pour la FABC, le pluralisme n’est pas quelque chose de négatif, mais une source de richesse et de force.

La paix et l’harmonie dans les sociétés asiatiques, composées comme elles le sont de nombreux groupes culturels, ethniques et linguistiques, exigeraient une reconnaissance du pluralisme légitime et le respect envers tous les groupes. Unité, paix et harmonie doivent être réalisée dans la diversité. La diversité n’est pas quelque chose qui doit être regrettée ou abolie mais dont on doit se réjouir et qui doit être encouragée, puisqu’elle représente richesse et force. L’harmonie n’est pas simplement l’absence de conflit, décrite comme “vivre et laisser vivre Le test de la véritable harmonie repose dans l’acceptation de la diversité en tant que richesse (BIRA IV/11, art. 15) (16).

Ailleurs, la FABC a affirmé que “c’est une vérité inéluctable que l’Esprit de Dieu se manifeste dans toutes les traditions religieuses” (BIRA IV/12, art. 15) (17) parce que :

Il a été reconnu depuis l’époque de l’Eglise apostolique, et clairement réaffirmé par le Concile de Vatican II, que l’Esprit du Christ est actif hors des limites de l’Eglise visible. La grâce salvatrice de Dieu n’est pas limitée aux membres de l’Eglise, mais est offerte à tous. Sa grâce peut conduire certains à accepter le baptême et à entrer dans l’Eglise, mais il ne peut pas être supposé que ceci doive être toujours le cas. Ses voies sont mystérieuses et impénétrables, et personne ne peut décider de l’orientation de Sa grâce (BIRA II, art. 12) (18).

En d’autres termes, la FABC appréhende les traditions religieuses de l’Asie comme des “expressions de la Parole de Dieu et de l’action universelle de son Esprit en elles” (Theological Consultation, art. 43) (19). En particulier, les “grandes religions de l’Asie, avec leurs croyances, cultes et codes respectifs, nous révèlent les diverses voies pour répondre à Dieu dont l’Esprit est vivant au sein de tous les peuples et cultures” (BIRA IV/7, art. 12) (20). Pour la FABC, c’est “le même esprit, qui a été vivant dans l’incarnation, la vie, la mort et la résurrection de Jésus et dans l’Eglise, qui est vivant parmi les peuples avant l’Incarnation et est vivant parmi les nations, religions et peuples d’Asie aujourd’hui” (BIRA IV/3, art. 6) (21).

De manière plus significative, la Déclaration finale du Dialogue hindou-chrétien de 1995 de la FABC a exprimé clairement que la FABC appréhendait le pluralisme religieux en tant que réalité constitutive de la réalité asiatique :

Au-delà des extrêmes de l’inclusivisme et de l’exclusivisme, le pluralisme est accepté en résonance avec la pluralité constitutive de la réalité. Les religions, telles qu’elles se sont manifestées dans l’histoire, sont des perceptions complémentaires de l’ineffable mystère divin, le Dieu-au-delà-de-Dieu. Toutes les religions sont des visions du mystère divin. Aucune religion particulière ne peut proclamer qu’elle constitue la norme pour toutes les autres. Nous, croyants religieux et “co-pèlerins partageons les expériences et réflexions spirituelles intimes les uns avec les autres avec intérêt et compassion, avec une ouverture authentique à la vérité et à la liberté des hommes en quête spirituelle (sadhakas). Dans ce processus, nous devenons plus fortement sensibles à la souffrance humaine et collaborons en vue de promouvoir la justice, la paix et l’équilibre écologique (BIRA V/3, art. 6) (22).

Ce rejet de toute exclusion religieuse fait écho à une déclaration antérieure : “Quand divers groupes religieux se proclament de façon absolue détenteurs de la vérité, un militantisme agressif et un prosélytisme subversif suivent et, dans leur sillage, des divisions religieuses acharnées” (BIRA IV/4, art. 4) (23). Ainsi, un commentateur indien peut en conclure que les évêques asiatiques “considèrent le pluralisme religieux comme une grâce et un appel à être des co-pèlerins au même titre que les croyants d’autres religions en quête de Vérité dans l’amour” (24).

Au même moment, la FABC a reconnu que des critiques du pluralisme religieux soulèvent le spectre d’un relativisme ou d’un subjectivisme débridés. En réponse à ces critiques, le FABC Office of Theological Concerns explique, entre autres, dans un document récent intitulé “Methodology : Asian Christian Theology, Doing Theology in Asia Today que la reconnaissance du pluralisme religieux ne doit pas nécessairement conduire à une acceptation du subjectivisme ou du relativisme :

Le pluralisme ne conduit pas nécessairement à un subjectivisme ou à un relativisme radical, prétendant que tous les points de vue sont également valides. Cependant, il est tout aussi vrai que l’éclosion des sociétés modernes, pluralistes et démocratiques a ouvert la voie à un individualisme et une subjectivité excessive, et a ainsi conduit à relativiser toute réalité. Ainsi, il y a aujourd’hui des personnes et des groupes qui considèrent que toute réalité est relative. Pour de tels groupes ou personnes, le pluralisme signifie relativisme, prétendant que tous les points de vue sont également valides. “De telles positions philosophiques ou théologiques doivent être rejetées ; et, en fait, toutes les religions asiatiques majeures condamnent cette relativisation de la réalité, particulièrement la relativisation des valeurs humaines fondamentales.” Cependant, simplement parce que certaines personnes et groupes sont abusées dans leur recherche de la vérité, et simplement parce qu’ils tendent à appréhender le pluralisme comme le relativisme, ou simplement parce qu’ils tendent à relativiser toute réalité, nous ne pouvons pas conclure que tout pluralisme conduit au relativisme (25).

La mission comme dialogue avec la triple réalité des religions, des cultures et de la pauvreté

Depuis le tout début, la FABC a toujours maintenu qu’au cour de la tâche de la mission des Eglises locales asiatiques, repose la rencontre du dialogue entre les Eglises locales et l’environnement asiatique avec sa triple réalité des religions, des cultures et de la pauvreté :

[Une] Eglise en dialogue permanent, humble et expression d’amour avec les traditions vivantes, les cultures, les grandes religions – en bref, avec toutes les réalités de la vie des peuples, au sein desquels elle a profondément enfoui ses racines et dont elle s’approprie joyeusement l’histoire et la vie, cherche à partager tout ce qui appartient vraiment à ce peuple : ses conceptions et ses valeurs, ses aspirations, ses pensées et son langage, ses chansons et son art – même ses fragilités et ses lacunes qu’elle assume, pour qu’elles aussi puissent être guéries. Car le Fils de Dieu assume la totalité de notre condition humaine déchue (à l’exception du péché), afin qu’Il puisse la faire vraiment Sienne, et la sauve dans Son mystère pascal (FABC I, 12) (26).

En remontant à la Première Assemblée plénière de la FABC, Michael Amaladoss explique que les évêques asiatiques ont perçu la mission comme un dialogue avec “la triple réalité de l’Asie (.) “ses riches cultures, ses anciennes et grandes religions, et les pauvres et ont accepté les religions asiatiques comme des “éléments significatifs et positifs dans le dessein du salut conçu par Dieu” parce qu’ils ont “une expérience vivante des autres religions” (27).

Pour la FABC, le dialogue est “une partie intégrante de l’évangélisation” (BIMA II, art. 14) (28), “intrinsèque à la vie même de l’Eglise” (BIMA II, art. 9) (29), une “condition essentielle à toute évangélisation” (Message of the 1979 International Congress on Mission, art. 19) (30), et “une véritable expression de l’action d’évangélisation de l’Eglise” (BIMA II, art. 14) (31). En même temps, la FABC a aussi expliqué que le dialogue ne s’oppose pas à la nécessité de proclamer l’Evangile chrétien : en fait, il pourrait y avoir un temps où “nous ne serons pas timides quand Dieu ouvre la porte pour que nous proclamions explicitement que le Seigneur Jésus Christ est le Sauveur et la réponse aux questions fondamentales de l’existence humaine” (FABC V, article 4.3, ‘est en italique dans le texte original) (32). Cependant, une approche spécifiquement asiatique de la proclamation, qui est sensible au Sitz-im-Leben asiatique, est nécessaire :

Il se peut que la mission ait sa plus grande importance en Asie ; elle trouve aussi sur notre continent une condition particulière. Nous affirmons, tous ensemble, que “la proclamation de Jésus Christ est l’élément central et fondamental de l’évangélisation” (Statement of the FABC All – Asia Conference on Evangelisation, Suwon, Corée du Sud, 24-31 août 1988) (33). Mais, la proclamation de Jésus Christ en Asie signifie, avant tout, le témoignage des chrétiens et des communautés chrétiennes à l’égard des valeurs du Royaume de Dieu, une proclamation des actions christiques. Pour les chrétiens en Asie, proclamer le Christ signifie avant tout de vivre comme lui, parmi nos prochains ayant d’autres croyances et convictions, et agir par la puissance de Sa grâce. La proclamation par le dialogue et l’action – ceci constitue la première requête faite aux Eglises d’Asie (FABC V, art 4.1, les italiques sont du texte original) (34).

Sur la base de ce qui précède, la Cinquième Assemblée plénière de la FABC a reconnu le triple dialogue en tant qu’impératif de la mission chrétienne et en a conclu :

La mission incarne : la présence auprès des peuples, en répondant à leurs besoins, avec une sensibilité à la présence de Dieu dans les cultures et les autres traditions religieuses, et en témoignant des valeurs du Royaume de Dieu par la présence, la solidarité, le partage et la parole. La mission doit prendre son sens par le dialogue avec les pauvres d’Asie, avec les cultures locales, et avec les autres traditions religieuses (FABC V, art. 3.1.2, les italiques sont de l’auteur) (35

Cette identification de la proclamation avec le “témoignage de vie” est élaborée à partir de la déclaration précédente faite lors de la Troisième Conférence du Bishops’ Institute for Missionnary Apostolate à Changhua en 1982 :

Il est vrai que dans beaucoup de régions (en Asie), le Christ ne peut pas encore être proclamé ouvertement par le Verbe. Mais, Il peut, et devrait être, proclamé par d’autres voies, c’est-à-dire : par le témoignage vivant de la communauté chrétienne et de la famille, et leur effort pour connaître et vivre plus pleinement la foi qu’ils possèdent ; par leur désir de vivre en paix et en harmonie avec ceux qui ne partagent pas notre foi ; par l’appréciation des chrétiens pour les valeurs humaines et religieuses possédées par les voisins non chrétiens, et par la volonté de ces mêmes chrétiens de collaborer à ces activités qui développent la communauté humaine (BIMA III, art. 10) (36).

De façon significative, la Septième Assemblée plénière (Samphran, 2000), au terme de deux mois de réflexion sur l’exhortation apostolique de Jean-Paul II Ecclesia in Asia, a choisi de réaffirmer sa préférence pour le “témoignage de vie” comme voie asiatique de la proclamation de l’Evangile chrétien en Asie :

Le moyen le plus efficace d’évangéliser et de servir au nom du Christ a toujours été et continue d’être le témoignage de vie. L’incarnation de notre foi dans le partage et la compassion (sacrement) soutient la crédibilité de notre obéissance au Verbe (proclamation). Ce témoignage doit devenir la voie de l’Evangile pour les personnes, les institutions et la communauté de l’Eglise toute entière. Les peuples asiatiques reconnaîtront l’Evangile que nous annonçons quand ils verront dans notre vie la transparence du message de Jésus et la figure exaltante et bienfaisante d’hommes et de femmes immergés en Dieu (FABC VII, les italiques sont de l’auteur) (37).

Proclamer par le dialogue

Le point de départ pour comprendre comment la FABC identifie proclamation et dialogue est le document de 1987, Theses on Interreligious Dialogue de la FABC Theological Advisory Commission (connue aujourd’hui sous le nom de FABC Office of Theological ConcernsParmi les sept thèses présentées dans le document, la sixième affirme que la proclamation procède du dialogue :

Le dialogue et la proclamation sont des dimensions intégrales mais dialectiques et complémentaires de la mission d’évangélisation de l’Eglise. Le dialogue authentique comprend un témoignage de la foi chrétienne toute entière de chacun, qui est ouvert à un témoignage similaire des autres croyants. Au service du mystère de l’Esprit qui appelle librement à la conversion, et de la personne qui répond librement à l’appel, la proclamation procède du dialogue (Theses on Interreligious Dialogue, thesis 6

En dévoilant cette déclaration, elle s’élève contre toute assimilation de l’une avec l’autre :

La relation entre le dialogue et la proclamation est complexe. En faisant un effort pour comprendre cette relation, nous devons éviter dès le départ toute tentative de réduction de l’une avec l’autre. Certains auraient tendance à dire que le dialogue lui-même est la seule forme authentique de proclamation dès lors que l’Eglise est unique parmi les nombreuses voies de salut ; d’autres auraient tendance à dire que le dialogue n’est qu’une étape, bien qu’avec une identité qui lui est propre, dans le processus complet qui culmine avec la proclamation. Tandis que l’approche initiale enlève à la proclamation toute signification spécifique, la dernière instrumentalise le dialogue (Theses on Interreligious Dialogue, art. 6.2).

Le document souligne ensuite que la proclamation ne devrait pas être comprise dans l’abstrait, mais dans le contexte, et intégrée au triple dialogue :

Les évêques asiatiques ont conçu l’évangélisation comme l’édification de l’Eglise locale à travers un triple dialogue avec les cultures, les religions et les pauvres en Asie. L’inculturation, le dialogue interreligieux et la libération sont les trois dimensions de l’évangélisation. La proclamation n’est pas une quatrième dimension ajoutée à ces trois autres, mais constitue l’aspect du témoignage qui est un élément intégral de chacune des trois dimensions de l’évangélisation (Theses on Interreligious Dialogue, art. 6.4).

Ailleurs, la FABC a réitéré que “le dialogue ayant pour but de l’autre à sa propre croyance religieuse et tradition n’est ni honnête ni éthique ; ce n’est pas la voie de l’harmonie” (BIRA V/3, art. 7) (38). Comme pour la relation entre le dialogue, la proclamation et la conversion, la FABC a précisé, à juste titre, que le dialogue et la proclamation sont complémentaires. Le dialogue sincère et authentique ne prend pas pour objectif la conversion de l’autre. Car la conversion dépend uniquement de l’appel intérieur de Dieu et de la libre décision de la personne (BIRA III, art. 4) (39).

D’une part, la FABC n’exclue pas la proclamation verbale explicite de l’Evangile chrétien comme mission, mais elle reconnaît que le contexte joue un rôle très important dans la détermination de la meilleure approche de la mission. L’un des dangers possibles, inhérent à la proclamation, est qu’elle pourrait conduire à un monologue condescendant, triomphaliste et irrespectueux, à sens unique, qui bafoue les sensibilités des non-chrétiens. De plus, la proclamation se présente comme excessivement discursive, plus précisément, il y a une abondance de paroles dans le prêche et la proclamation qui tendent à prouver ou souligner des affirmations de vérités définitives. Il a été souligné que, dans la façon de penser asiatique, “la vérité ne s’impose pas, mais attire plutôt toute personne et toute chose à elle par sa beauté, sa splendeur et sa fascination” (40) – ce qui est la définition même du dialogue. En bref, la proclamation sans dialogue court le risque du prosélytisme débridé avec ses connotations hautement agressives. Sur cette base, Michael Amaladoss peut dire que l’évangélisation en Asie en tant que triple dialogue avec les réalités de l’Asie “signifie que nous n’importons pas de quelque part des schémas tout faits du salut, mais que nous laissons les peuples d’Asie dialoguer avec la Bonne Nouvelle d’une façon créative et pertinente” (41).

D’autre part, par le dialogue, non seulement les réalités socio-religieuses asiatiques peuvent être enrichies par le christianisme, mais, à son tour, le christianisme peut aussi être enrichi par les réalités asiatiques. Autrement, un monologue en sens unique rend le christianisme responsable d’instrumentalisation, c’est-à-dire qu’il s’approprie les éléments sotériologiques dans les réalités socio-religieuses asiatiques aux fins d’un usage chrétien, sans respecter leur intégrité au sein de la matrice socio-religieuse asiatique. Corollairement à cette approche, vient l’observation du théologien indien, Felix Wilfred :

Toute ouvre de mission qui ne reconnaît pas ce que Dieu a réalisé avec un peuple, avec un pays et un continent et avec leur histoire, est purement et simplement de l’arrogance vis-à-vis des propres dons de la bonté de Dieu. Le triomphalisme et de toute sorte sont diamétralement opposés à la spiritualité. Ils refusent de reconnaître et d’apprécier les milliers de fleurs que Dieu a fait pousser, croître et s’épanouir dans le jardin du monde ; ils refusent d’accepter en pratique la présence et l’activité de l’Esprit dans la vie et l’histoire des peuples (42).

De façon plus importante dans cette conception théologique de la mission, sont implicites la reconnaissance et l’acceptation d’une relation ontologique, sotériologique et existentielle entre l’Evangile chrétien et les peuples asiatiques, avec leurs riches traditions religieuses et culturelles, tout comme leurs défis socio-économiques quotidiens. Une telle conception théologique de la mission, profonde et enracinée, permet à l’Eglise locale de s’écarter de la mentalité plantatio ecclesiae, c’est-à-dire à l’écart “d’une institution implantée en Asie” en direction “d’une communauté évangélisatrice de l’Asie” (Theological Consultation, art. 15) (43). Clairement, la FABC fonde de grands espoirs dans le fait que l’Eglise locale soit capable d’être profondément inculturée dans le sol asiatique au point qu’elle ne devienne pas simplement une Eglise en Asie, mais vraiment une Eglise asiatique (BIRA IV/12, art. 50) (44).

Le but principal de la mission : l’édification du Royaume de Dieu

La FABC a adopté une approche positive à l’égard de cette diversité et ce pluralisme d’une façon qui s’efforce d’éviter un exclusivisme réducteur, parce que la grâce et la présence de Dieu rendent perméables l’ensemble de la création d’une manière mystérieuse. Par exemple, elle a accordé une place d’estime et d’honneur aux différentes traditions religieuses asiatiques et accepté que Dieu ait attiré les peuples asiatiques vers Dieu même par ces traditions religieuses (FABC I, art. 15) (45). La FABC a aussi souligné que :

Les chrétiens croient que la volonté divine du salut est active, de beaucoup de manières différentes, dans toutes les religions. Il a été reconnu depuis les temps de l’Eglise apostolique, et clairement réaffirmé par le Concile de Vatican II, que l’Esprit du Christ est actif hors des limites de l’Eglise visible. La grâce divine du salut n’est pas limitée aux membres de l’Eglise, mais est offerte à tous. Sa grâce peut conduire certains à accepter le baptême et à entrer dans l’Eglise, mais il ne peut être supposé que ceci doive toujours être le cas. Ses voies sont mystérieuses et impénétrables, et personne ne peut décider de l’orientation de Sa grâce. (BIRA II, art. 12, les italiques sont de l’auteur) (46).

Une telle conception et appréciation de la diversité et de la pluralité est aussi “enracinée dans la conviction de la croyance que le dessein de Dieu du salut de l’humanité est unique et destiné à tous les peuples : c’est le Royaume de Dieu par lequel Il cherche à réconcilier toutes choses avec Lui-même en Jésus Christ” (Theses on Interreligious Dialogue, art. 2.3). Le document Theses on Interreligious Dialogue explique plus loin que :

Le but de la mission de l’Eglise d’évangélisation est d’édifier le Royaume de Dieu et d’édifier l’Eglise qui doit être au service du Royaume. Le Royaume de Dieu est par conséquent plus vaste que l’Eglise. L’Eglise est le sacrement du Royaume, le rendant visible, ordonnée à lui, participant à son développement, mais ne pouvant pas être assimilée à lui (Theses on Interreligious Dialogue, art. 6.3).

Ce point a été en conséquence affirmé à la FABC All-Asia Conference on Evangelisation de 1988, qui expliquait que “le but ultime de toute évangélisation est l’introduction et l’édification du Royaume de Dieu, en d’autres termes le règne de Dieu dans les cours et les esprits de nos peuples” (BIMA IV, art. 5) (47). En même temps, “l’âme de la proclamation du Christ est le Royaume de Dieu” (BIMA IV/10, art. 6) (48) et l’Eglise locale “est un instrument pour l’accomplissement du Royaume” (BIRA IV/2, art. 8.2) (49). La FABC a expliqué la relation entre l’Eglise et le Royaume de Dieu comme suit :

Le Règne de Dieu est la raison même de l’existence de l’Eglise. L’Eglise existe dans et pour le Royaume. Le Royaume, don et initiative de Dieu, a déjà commencé et est continuellement en train d’être accompli, et rendu présent à travers l’Esprit. Là où Dieu est accepté, quand les valeurs de l’Evangile sont vécues, là ou l’homme est respecté. là est le Royaume. C’est beaucoup plus vaste que les limites de l’Eglise. Cette réalité déjà présente est orientée vers la manifestation finale et la parfaite perfection du Règne de Dieu. (BIRA IV/2, art. 8.1, les italiques sont de l’auteur) (50).

De manière similaire, l’article 30 de la Theological Consultation de 1991 précise :

Le Règne de Dieu est une réalité universelle, s’étendant bien au-delà des limites de l’Eglise. C’est la réalité du salut en Jésus Christ, par laquelle les chrétiens et les autres participent ensemble au partage. C’est le mystère de “l’unicité fondamentale” qui nous unit plus profondément que toutes les différences d’allégeance religieuse ne sont capables de nous diviser. Vue de cette manière, une approche “reigno-centrique” de la théologie de la mission ne menace en aucune façon la perspective “christo-centrique” de notre foi. Au contraire, le “reigno-centrisme” appelle au “christo-centrisme et vice-versa, car c’est Jésus Christ et par l’avènement du Christ que Dieu a établi son Royaume sur terre et dans l’histoire humaine (51).

L’Eglise locale est perçue comme “allant constamment de l’avant dans la mission, comme elle accompagne toute l’humanité dans son pèlerinage vers le Royaume du Père” (FABC III, art. 15) (52). A cet égard, la FABC a aussi souligné que :

Les communautés chrétiennes en Asie doivent écouter l’Esprit à l’ouvre dans les nombreuses communautés de croyants qui vivent et font l’expérience de leur propre croyance, qui la partagent et la célèbrent dans le cadre de leur propre histoire religieuse, culturelle et sociale, et qu’elles doivent accompagner (en tant que communauté évangélique) “dans un pèlerinage commun vers le but ultime, dans une quête sans répit de l’Absolu et qu’elles doivent donc être “profondément en accord avec l’ouvre de l’Esprit dans la symphonie de la communion asiatique” (FABC III, art. 8.2) (53).

De plus, la Theological Consultation de 1991 de la FABC a conclu que “si l’Eglise est le sacrement du Royaume, la raison en est qu’elle est le sacrement de Jésus Christ lui-même qui est le mystère du salut, auprès duquel elle est appelée pour porter témoignage et qu’elle est appelée à annoncer. Etre au service du Royaume signifie pour l’Eglise proclamer Jésus Christ” (Theological Consultation, art. 33) (54

En arrivant à la conclusion précédente, la FABC est convaincue qu’il existe un dessein divin du salut qui est plus vaste que l’Eglise, et de manière plus significative, l’Eglise n’a pas le monopole du salut. Comme la Theses on Interreligious Dialogue le précise clairement :

L’unique dessein divin du salut pour tous les peuples englobe l’univers tout entier. La mission de l’Eglise doit être comprise dans le contexte de ce dessein. L’Eglise ne monopolise pas l’action de Dieu dans l’univers. Tandis qu’elle est consciente d’une mission spéciale de Dieu dans le monde, elle doit être attentive à l’action de Dieu dans le monde, manifestée aussi dans les autres religions. Cette double conscience constitue les deux pôles de l’action évangélique de l’Eglise en relation avec les autres religions. Alors que la proclamation est l’expression de sa conscience d’être en mission, le dialogue est l’expression de sa conscience de la présence de Dieu et de son action en dehors de ses limites. (.) La proclamation est l’affirmation et le témoignage de Dieu en soi. Le dialogue est l’ouverture et l’attention au mystère de l’action de Dieu dans l’autre croyant. C’est une vision de la foi dont on ne peut pas parler en dissociant l’une de l’autre (Theses on Interreligious Dialogue, art. 6.5, les italiques sont de l’auteur).

Cette position est fondée sur le fait que l’appel à la conversion et à l’apostolat s’oriente en premier lieu vers Dieu, et seulement en deuxième lieu vers l’Eglise :

L’Eglise en pèlerinage témoigne non pas envers elle-même mais envers le mystère ; et les appels à la conversion et à l’apostolat se réfèrent en premier lieu à la relation entre Dieu qui appelle et la personne qui répond. Ce n’est qu’en second lieu qu’ils se réfèrent à la communauté de l’Eglise. L’identité de l’Eglise ne repose pas dans le fait d’être “l’arche du salut” exclusive, mais dans sa mission de transformation du monde de l’intérieur comme le levain, sans être pleinement consciente des formes auxquelles peut conduire cette transformation (Theses on Interreligious Dialogue, art. 6.12).

De plus, loin d’être une excuse pour mettre de côté la tâche d’évangélisation, le paradigme du Royaume de Dieu en Asie incite les Eglises locales d’Asie à travailler “avec les chrétiens et les autres Eglises, ensemble avec nos sours et nos frères d’autres croyances et avec tout peuple de bonne volonté, pour rendre le Royaume de Dieu plus visiblement présent en Asie” (FABC V, art. 2.3.9) (55). Ailleurs, dans le même document, la FABC souligne que le but ultime de la mission en Asie est de proclamer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, de développer les valeurs du Royaume comme “la justice, la paix, l’amour, la compassion, l’égalité et la fraternité dans ces réalités asiatiques. En bref, il s’agit de faire du Royaume de Dieu une réalité (FABC V, art. 1.7) (56). La nature inclusive du Royaume de Dieu suscite un profond intérêt au sein de la FABC, qui “reconnaît que le Royaume est à l’ouvre dans les situations socio-politiques et dans les traditions culturelles et religieuses de l’Asie” (Theological Consultation, art. 39) (57Pour les évêques catholiques d’Asie, la nature inclusive du Royaume de Dieu est capable d’englober tous ces peuples qui sont des fidèles de Jésus Christ, sa vie et ses enseignements, et ceux qui continuent de rester hindous, bouddhistes, taoïstes ou musulmans, et qui autrement sont exclus de l’édification dialectique des structures actuelles de l’Eglise (58).

Vers une “évangélisation intégrale active”

La relation entre l’harmonie interreligieuse, la mission et le dialogue a été élaborée par la Cinquième Assemblée plénière de la FABC : “La mission en Asie cherchera aussi à travers le dialogue à servir la cause de l’unité des peuples d’Asie marqués par une telle diversité de croyances, cultures et structures socio-politiques. Dans une Asie marquée par la diversité et déchirée par les conflits, l’Eglise doit d’une manière spéciale être un sacrement – un signe visible et un instrument de l’unité et de l’harmonie” (FABC V, art. 4.2, les italiques sont dans le texte original) (59). Cet appel est particulièrement prophétique et poignant aujourd’hui, dans la perspective de la fréquence des troubles religieux dans nombre de régions de l’Asie, par exemple, le conflit hindou-chrétien en Inde et le conflit islamo-chrétien en Indonésie. La Cinquième Assemblée plénière de la FABC a aussi tenu à ce que les Eglises locales aient “à discerner, dans le dialogue avec les peuples asiatiques et les réalités asiatiques, quels actes doivent être accomplis, selon la volonté du Seigneur, pour que l’humanité puisse être rassemblée en harmonie comme sa famille” (FABC V, art. 6.3) (60). C’est parce que ce sont “les Eglises et les communautés locales qui peuvent discerner et ouvrer (en dialogue les unes avec les autres et avec les autres personnes de bonne volonté) à la manière de proclamer au mieux l’Evangile, l’édification de l’Eglise, l’accomplissement des valeurs du Royaume de Dieu en leur propre lieu et temps. En fait, c’est en répondant aux besoins des peuples de l’Asie et en les servant que les différentes communautés chrétiennes deviennent vraiment des Eglises asiatiques” (FABC V, art. 3.3.1) (61).

Se référant aux articles précédents, la Septième Assemblée plénière de la FABC a forgé un nouveau terme : “l’évangélisation active intégrale” (62), pour décrire une approche de la mission qui intègre l’engagement et le service envers la vie, le témoignage vivant, le dialogue, et l’édification du Royaume de Dieu. La Déclaration (The Statement) explique la rationalité de ce terme comme suit :

Depuis trente ans, lorsque nous avons essayé de reformuler notre identité chrétienne en Asie, nous avons abordé différentes questions, l’une après l’autre : l’évangélisation, l’inculturation, le dialogue, le caractère asiatique Asianness de l’Eglise, la justice, l’option en faveur des pauvres, etc. Aujourd’hui, après trois décennies, nous ne parlons plus de thèmes semblables aussi spécifiques. Nous abordons les besoins actuels qui sont considérables et d’une complexité croissante. Ces questions ne sont pas des sujets qui puissent être discutés séparément, mais des aspects d’une approche intégrée de notre Mission d’Amour et de Service. Nous devons ressentir et agir “intégralement”. Comme nous sommes confrontés aux besoins du XXIe siècle, nous le faisons avec les cours asiatiques, en solidarité avec les pauvres et les marginaux, en union avec tous nos frères et sours chrétiens, et en joignant les mains avec tous les hommes et femmes d’Asie de nombreuses croyances différentes. L’inculturation, le dialogue, la justice et l’option en faveur des pauvres sont des aspects de tout ce que nous faisons (FABC VII, les italiques sont de l’auteur) (63).

Missio Inter Gentes : un nouveau paradigme dans la théologie de la mission de la FABC

Depuis sa création, la FABC a systématiquement cherché à faire que l’Evangile chrétien et les Eglises locales fassent vraiment partie du Sitzen-im-Leben asiatique. Les évêques de la FABC sont tout à fait à l’aise dans l’environnement pluraliste asiatique, y étant nés, et ayant vécu au sein de cette riche diversité et pluralité. Ils reconnaissent que beaucoup de chrétiens (les laïcs, le clergé et même les évêques) sont issus d’origines religieuses “mélangées”. Ils ont de la famille non chrétienne, des amis non chrétiens et des voisins non chrétiens. Ayant grandi immergés et baignés dans cette diversité et cette pluralité, ils ont aussi fait l’expérience directe des membres des communautés, des nationalistes, des fanatiques et des fondamentalistes qui non seulement rejettent le pluralisme et la diversité mais cherchent aussi à éradiquer le pluralisme et imposent leur vision comme étant la norme par la coercition et la violence. Les conversions forcées des chrétiens dans nombre de régions d’Asie, le conflit islamo-chrétien qui couve dans des régions de l’Indonésie et les fortes restrictions pesant sur les chrétiens et leur liberté d’association sont gravées dans la conscience de ces évêques asiatiques. Ironiquement, sans le pluralisme et la diversité, il n’y a pas de place pour l’Evangile chrétien en Asie, un continent dominé par les principales religions du monde. En même temps, les évêques de la FABC reconnaissent que la diversité culturelle et le pluralisme religieux reposent au cour de l’identité asiatique. Pour être vraiment asiatique et confortable dans l’environnement asiatique, les Eglises locales asiatiques sont appelées à embrasser cette diversité culturelle et ce pluralisme religieux. En effet, en ce qui concerne la FABC, il n’est pas question de se débarrasser de la diversité et de la pluralité, mais de “s’en réjouir et de les développer” (64).

Cela étant le cas, si les chrétiens asiatiques veulent “prendre au sérieux leur identité asiatique comme le cadre qui conditionne le fait qu’ils sont chrétiens” (65), ils ne doivent pas considérer cette diversité et ce pluralisme comme les termes d’un problème à supprimer. Clairement, les chrétiens asiatiques vivent et travaillent avec des croyants d’autres religions qui sont leurs familles, voisins, amis et collègues, partageant avec eux joies et souffrances, bénédictions et malheurs de la vie quotidienne. Alors que Jean-Paul II fait part de l’importance des accomplissements de la prière ocuménique et du dialogue à Assise, les chrétiens asiatiques vivent dans une situation permanente du type d’Assise. Tandis que le pape peut inviter des représentants d’autres religions à Assise pour la prière et le dialogue, les chrétiens asiatiques vivent au milieu de croyants d’autres religions, s’engageant dans un dialogue vivant permanent du style d’Assise avec leurs voisins asiatiques.

Peut-être que l’expression “missio inter gentes” est un terme approprié pour décrire la stratégie du concept de mission de la FABC, comme elle s’efforce de rompre avec les approches passées discréditées du concept de mission. Le terme “missio inter gentes” a été initialement proposé par William R. Burrows dans sa réponse à la présentation de Michael Amaladoss intitulée : “Le pluralisme des religions et la proclamation de Jésus Christ dans le contexte de l’Asie” (66), qu’il a prononcé à la “56th Annual Convention of the Catholic Theological Society of America” (Milwaukee, 2001) (67). On pourrait dire que le concept préféré de mission de la FABC est celui d’une “mission au sein des nations” (missio inter gentes), mettant l’accent sur la solidarité et l’harmonie avec les peuples asiatiques dans leur Sitzen-im-Leben divers et pluraliste. Il se peut que l’image traditionnelle de la mission “en détachement à l’extérieur” ne soit plus utile, non seulement parce que, selon les paroles de Donald Dorr, elle est “si étroitement associée à un modèle d’Eglise purement institutionnel et hiérarchique mais aussi parce qu’elle “suggère que la mission est une activité à sens unique, tenant peu ou pas compte de la présence antérieure de l’activité de Dieu dans le monde – dans les grandes religions mondiales, dans les religions primitives, et dans le monde séculier” (68). La FABC a reconnu cette difficulté depuis le tout début quand elle a opté pour, et régulièrement mis l’accent, sur le triple dialogue avec les cultures, les religions asiatiques et les pauvres, comme approche préférée pour la mission.

Bien que la FABC n’ait pas utilisé l’expression “missio inter gentes” pour décrire sa stratégie missionnaire, il est proposé que la “missio inter gentes” illustre au mieux ce que la FABC espère accomplir en Asie. En effet, une étude de ses publications révèle que la FABC a régulièrement cherché à entreprendre une missio inter gentes, même si elle n’a pas utilisé ce terme. Réalisant que, 1.) les Eglises ne s’imposeraient jamais en Asie de la façon dont le christianisme s’est imposé dans l’Europe médiévale, et 2.) que, pour leur survie, elles doivent devenir vraiment enracinées dans l’environnement asiatique, alors une approche de missio inter gentes serait parfaitement en accord avec le Sitzen-im-Leben divers et pluraliste des cultures et religions asiatiques. Plutôt que de proclamer “vers” (ad) les nations dans l’espoir de leur faire abandonner leurs religions en faveur de l’Evangile chrétien, les évêques de la FABC ont choisi un paradigme de la mission qui cherche à “immerger” les Eglises locales dans le Sitzen-im-Leben divers et pluraliste, en partageant la vie de façon solidaire avec les peuples d’Asie et en se mettant au service de la vie, comme Jésus l’a fait. Comme la Sixième Assemblée plénière l’explique :

Comme Jésus, nous ‘devons planter nos tentes’ au milieu de l’humanité entière en construisant un monde meilleur, mais particulièrement parmi les hommes qui souffrent et les pauvres, les marginaux et les opprimés de l’Asie. En ‘profonde solidarité avec l’humanité souffrante’ et conduits par l’Esprit de la vie, nous devons nous immerger dans les cultures de la pauvreté et du dénuement de l’Asie, des profondeurs desquelles se manifestent les aspirations vers l’amour et la vie les plus poignantes et les plus exaltantes. Le fait d’être au service de la vie appelle à la communion avec l’ensemble des femmes et des hommes en recherche et combattant pour la vie, sur le chemin de la solidarité de Jésus avec l’humanité (FABC VI, art. 14.2) (69).

L’accent régulièrement mis par la FABC sur la solidarité, la fraternité et le partenariat avec les peuples asiatiques est vraiment une missio inter gentes dans tous les sens du terme. Une étude des allocutions clefs dans ses nombreuses Déclarations plénières (Plenary Statements) révèle très clairement et succinctement cet aspect de la missio inter gentes (70). Lors de sa Première Assemblée plénière, en 1974, les évêques asiatiques ont parlé de l’Eglise locale comme d’une Eglise incarnée dans un peuple. Concrètement, ont-ils dit, une telle incarnation mettrait une Eglise locale “en dialogue permanent, humble et débordant d’amour avec les traditions vivantes, les cultures, les grandes religions” d’une région particulière (FABC I, art. 12) (71). En parlant de “dialogue avec la vie les évêques asiatiques ont insisté sur le fait qu’il n’est pas simplement question de travailler pour les peuples, mais d’être avec eux et d’apprendre d’eux “quels sont leurs besoins et aspirations réels., et de lutter pour leur accomplissement” (FABC I, art. 20) (72).

Ainsi, depuis le tout début, les évêques asiatiques ont été intéressés non pas simplement par une présence “venant d’en haut et en conflit” avec les peuples asiatiques, mais par une présence caractérisée par le rapprochement et le dialogue. De plus, la FABC souligne que les communautés chrétiennes en Asie ne doivent pas seulement “écouter l’Esprit à l’ouvre dans les nombreuses communautés de croyants qui vivent et font l’expérience de leur propre foi, qui partagent et pratiquent dans leur propre tradition religieuse, sociale et culturelle mais aussi qu’elles doivent “accompagner (en tant que communautés évangéliques) ces autres communautés ‘dans un pèlerinage commun vers le but ultime, dans une quête sans répit de l’Absolu’ et ainsi, devenir “profondément en accord avec l’ouvre de l’Esprit dans la symphonie de la communion asiatique” (FABC III, art. 8.2) (73). Clairement, l’appel de la FABC aux Eglises asiatiques en vue de marcher dans un “pèlerinage commun et en vue de discerner l’Esprit à l’ouvre dans les peuples asiatiques avec leurs cultures et religions diverses et anciennes, illustre sa vision de la missio inter gentes orientée vers l’avenir.

En s’appuyant sur la Déclaration finale de la Cinquième Assemblée plénière de la FABC (Bandoung, 1990), la FABC explique que la tâche de la mission chrétienne en Asie consiste avant tout “à être avec les populations, à répondre à leurs besoins, avec une sensibilité à la présence de Dieu dans les cultures et autres traditions religieuses, et à témoigner des valeurs du Royaume de Dieu par la présence, la solidarité, le partage et la parole et donc, “la mission prendra le sens d’un dialogue avec les pauvres de l’Asie, avec ses cultures locales, et avec ses autres traditions religieuses” (FABC V, art. 3.1.2) (74). Alors que la FABC affirme que “la proclamation de Jésus Christ est le centre et l’élément essentiel de l’évangélisation néanmoins, elle explique ce que cette proclamation signifie :

Tout d’abord, le témoignage des chrétiens et des communautés chrétiennes sur les valeurs du Royaume de Dieu, une proclamation par les actions christiques. Pour les chrétiens en Asie, proclamer le Christ signifie avant tout vivre comme lui, parmi nos prochains ayant d’autres croyances et convictions, et accomplir ses actions par la puissance de sa grâce. La proclamation par le dialogue et l’action – ceci est le premier appel lancé aux Eglises d’Asie (FABC V, art. 4.1, les italiques sont dans le texte original) (75).

Pour la FABC, cette approche non triomphaliste et non conflictuelle de la missio inter gentes est nécessaire parce que l’Asie est un continent “marqué par la diversité et déchiré par les conflits et, en conséquence, “l’Eglise doit d’une certaine manière être un sacrement – un signe visible et un instrument de l’unité et de l’harmonie” (FABC V, art. 4.2) (76). Comme la FABC l’explique dans le même document, les communautés chrétiennes “doivent vivre en toute fraternité, comme de vrais partenaires avec tous les Asiatiques lorsqu’ils prient, travaillent, luttent et souffrent pour une meilleure vie humaine, et lorsqu’ils sont en quête du sens de la vie humaine et de progrès parce que, “la personne humaine créée dans le Christ, rachetée par le Christ et réunifiée par le Christ avec elle-même, est la voie qui conduit à l’Eglise, l’Eglise doit marcher à ses côtés avec lui ou elle dans la solidarité humaine” (FABC V, art. 6.2) (77).

Cinq ans plus tard, à la Sixième Assemblée plénière de la FABC (Manille, 1995), la FABC développe la “Déclaration de Bandoung” de 1990, en l’enracinant dans l’idéal profondément asiatique de l’harmonie au sein de la diversité pluraliste. Ainsi, la FABC parle “d’une vision de l’unité dans la diversité, une communion de la vie parmi des peuples divers” qui caractérise la riche diversité des anciennes cultures asiatiques et des croyances pour étayer sa propre “vision de la vie sacrée, vie qui est accomplie et confiée à tous et à toute communauté humaine, sans considération de genre, de croyance ou culture, de classe ou de couleur Dans cet esprit, la FABC parle “d’une vie intègre et digne, d’une vie de compassion envers les multitudes, particulièrement envers les pauvres et ceux qui sont dans le besoin tout comme “d’une vie solidaire à l’égard de toute forme de vie, et d’une vie de bienveillance attentionnée à l’égard de la terre Comme elle l’explique, cette vision de la vie est enracinée dans “le sens asiatique respectueux du mystère et du sacré, une spiritualité qui considère que la vie est sacrée, et découvre la Transcendance et ses bienfaits qui alimente “l’intériorité profonde conduisant les peuples à faire l’expérience de l’harmonie et de la paix intérieure, et imprègne d’éthique toute la création” (FABC VI, art. 10, les italiques sont dans le texte original) (78). C’est alors que l’on trouve une autre caractéristique de la missio inter gentes – une approche sacrée dans l’action de la mission chrétienne qui reconnaît, vénère et enracine le message de l’Evangile dans le “sens asiatique respectueux du mystère et du sacré 

Peut-être que l’articulation la plus claire de la vision d’une missio inter gentes peut être appréhendée dans la Déclara-tion finale de la Septième Assemblée plénière de la FABC (Samphran, 2000). Dans ce document important, la FABC réitère ce qui a été affirmé cinq ans plus tôt lors de sa Déclaration plénière de Manille en 1995 – elle est vouée à “l’émergence du caractère asiatique (Asianness) de l’Eglise en Asie” et affirme que “l’Eglise doit être une incarnation de la vision asiatique et des valeurs de la vie, particulièrement l’intériorité et l’harmonie, une approche sacrée et globale envers toute forme de vie” (79). De façon plus significative, la FABC est convaincue que ce caractère asiatique (Asianness) de l’Eglise est “un présent particulier que le monde attend et explique que “le monde entier a besoin d’un paradigme sacré pour relever les défis de la vie et “avec tous les Asiatiques réunis, l’Eglise, une minorité minuscule dans cet immense continent, doit apporter une contribution particulière, et cette contribution est la tâche de l’Eglise toute entière en Asie” (80). En plus, la FABC réitère que “les moyens les plus efficaces d’évangélisation et de service au nom du Christ ont toujours été et continuent d’être le témoignage de vie” (81), et c’est seulement par un tel témoignage que “les peuples asiatiques reconnaîtront l’Evangile que nous annonçons lorsqu’ils voient dans notre vie la transparence du message de Jésus et la figure exaltante et bienfaisante d’hommes et de femmes immergés en Dieu” (82).

La Missio Ad Gentes comparée avec la Missio Inter Gentes

Comment l’approche de la missio inter gentes de la FABC se compare-t-elle avec l’approche de la mission ad gentes (83) traditionnelle qui fut la marque caractéristique de deux millénaires de mission chrétienne en Asie ? Pour commencer, s’il y a une chose à l’égard de laquelle tous deux, les partisans de la mission ad gentes et la FABC, avec sa vision de la missio inter gentes, seraient explicitement d’accord, c’est la nécessité de la mission dans l’environnement asiatique. En principe, la FABC ne serait pas opposée au dessein de porter la Bonne Nouvelle du Christ – amour, espérance et libération – à tous les peuples d’Asie. La FABC n’argumente pas non plus à propos de la conception traditionnelle selon laquelle l’Eglise est missionnaire par nature. D’une part, il apparaît que le paradigme traditionnel de la mission ad gentes se focalise sur le pourquoi, le quoi et le qui de la mission, essayant de justifier la nécessité de la mission et ce que son contenu devrait être. On a l’impression manifeste que le paradigme de la mission ad gentes est structuré à partir de la perspective des missionnaires qui vont à la rencontre des non-baptisés. D’autre part, la FABC considère comme allant de soi la question du pourquoi, du quoi et du qui, s’intéressant plutôt au comment de la mission ou aux questions et approches méthodologiques.

De façon plus fondamentale, les divergences entre l’approche de la missio inter gentes de la FABC et l’approche traditionnelle de la mission ad gentes reposent sur leurs approches différentes à l’égard de la question du pluralisme religieux. Généralement, l’approche de la mission ad gentes n’est pas à l’aise avec le pluralisme religieux, le considérant comme un défi considérable envers la spécificité de l’Evangile chrétien. Cela s’explique parce que la missio ad gentes est enracinée dans une perspective du christianisme qui est (ou a pendant longtemps été) dominant dans l’environnement socio-culturel et politique européen (84), bien qu’il soit maintenant confronté à une rude concurrence de la part de la laïcité et du post-modernisme.

En particulier, la missio ad gentes présuppose une perspective classique avec l’Europe (ou Rome) comme centre de la Vérité, et envisage la tâche de la mission en termes de missionnaires européens appartenant à des sociétés missionnaires et des ordres missionnaires religieux rayonnant vers l’extérieur à partir de ce centre vers des régions ou règne l’ignorance de la Vérité. Donc, la mission ad gentes donne priorité à la proclamation verbale comme véhicule principal de la mission chrétienne, particulièrement la proclamation explicite et verbale de l’unicité et de la singularité du Christ pour le salut humain en direction ad des non-chrétiens comme tâche prioritaire de la mission. Le but de la missio ad gentes est que, finalement, le pluralisme religieux devrait en fin de compte ouvrir la voie à l’acceptation explicite de l’Evangile chrétien par les non-chrétiens, parce que seul le christianisme peut remplir pleinement les plus profonds espoirs et les aspirations des non-chrétiens auxquels les autres religions ne pourraient qu’aspirer.

Pour les partisans de la missio ad gentes, quoique le témoignage de vie et le dialogue soient d’importantes dimensions de la tâche de la mission, elles ne peuvent pas avoir priorité sur la proclamation explicite et verbale comme tâche essentielle de la mission. Une telle approche est essentiellement déductive, tirée de principes universels et abstraits, et n’ayant pas d’engagement direct avec les réalités diverses et pluralistes de l’Asie. Bien que les partisans de cette approche soient au fait de la riche diversité et pluralité des religions, cultures et peuples en Asie, ils ne considèrent pas cette diversité comme partie intégrante du génie créatif de Dieu, du fait de leur approche déductive de la théologie, qui appréhende l’histoire du salut de façon linéaire, en termes d’accomplissement, en tant qu’évolution de la foi pré-biblique vers la foi biblique, et culminant dans le Christ comme le seul et unique sauveur du monde.

En opposition, la FABC considère le pluralisme religieux non pas comme quelque chose qui doit être affronté et dominé, mais comme quelque chose qui définit le paysage asiatique. Cela étant le cas, les évêques asiatiques ont, encore et encore, manifesté leur préférence pour une approche de la mission qui cherche moins à être de l’ordre de la confrontation. Tandis que la vision “asiatique” de la FABC qui procède de la connaissance ne néglige pas l’importance de la proclamation, elle estime aussi l’amitié et la confiance, les aspects relationnels et l’établissement de relations, le dialogue et le consensus, aussi bien que la solidarité et l’harmonie en tant qu’éléments constitutifs de la tâche de la mission chrétienne en Asie. Parce que l’approche de la FABC de la mission se focalise sur “l’immersion” de l’Evangile chrétien et des Eglises locales dans les réalités asiatiques, avec son engagement au service de la vie en solidarité avec les peuples asiatiques, on pourrait parler d’une “missio inter gentes c’est-à-dire, de mission parmi les peuples asiatiques.

En particulier, la FABC considère l’histoire du salut du continent asiatique comme incarnée dans l’histoire, les cultures, les religions, les défis, les aspirations et les espoirs de ses nombreux peuples. Pour la FABC, l’histoire du salut n’a pas commencé avec la venue du christianisme en Asie. De préférence, elle reconnaît la présence et l’activité salvifique du Père et de l’Esprit au sein et à travers les traditions religieuses asiatiques qui précédèrent la venue du christianisme en Asie, et qui se perpétuent aussi en tant que partie intégrante de l’histoire religieuse asiatique contemporaine. Donc, la FABC rejette la supposition que l’Asie était une tabula rasa concernant l’histoire du salut, et aussi toute tentative de reléguer les traditions religieuses asiatiques dans la “poubelle» de la théologie du fait de certaines suppositions relatives à leur incapacité à jouer le rôle de véhicules de la révélation personnelle de Dieu. Sur cette base, la FABC est capable de dire qu’elle entre dans le mouvement à travers toute l’Asie “parmi les peuples de croyances diverses pour briser les barrières traditionnelles de division et d’hostilité, et par leur initiative d’aller à la rencontre de leurs prochains ayant d’autres croyances dans un esprit d’amour, amitié, harmonie et collaboration et avant tout, “en discernant le main de Dieu” dans “tous ces mouvements, aspirations et initiatives” (BIRA IV/11, art. 5) (85).

Clairement, le type de mission préféré de la FABC, en tant que triple dialogue avec les peuples asiatiques dans la plénitude de leur myriade de cultures, de religions et de pauvreté extrême, aussi bien que dans le développement du Royaume de Dieu en tant que principal objectif de la mission, reconnaît une stratégie de la mission qui est orientée, non pas vers ad les peuples asiatiques, mais plutôt, parmi inter les peuples asiatiques – par essence, une missio inter gentes. En particulier, la FABC a réitéré de façon répétée que la tâche de la mission chrétienne, bien que clairement nécessaire, doit être accomplie non pas pour elle-même, ou même pour le développement de l’Eglise, mais pour le Royaume de Dieu. En ce qui concerne la FABC, parce que l’Eglise est au service du Royaume de Dieu, les chrétiens de l’Asie sont appelés à apporter leur contribution aux cultures asiatiques, aux religions et aux défis socio-économiques, même si ces cultures, religions et sociétés ne deviennent pas chrétiennes sur le plan institutionnel. Pour la FABC, les missionnaires ne sont pas appelés à conquérir le monde asiatique au nom d’un Christ vainqueur, ou à construire un Royaume chrétien vainqueur sur le sol asiatique, mais à servir en donnant d’eux-mêmes et en apportant la vie et l’espoir du Royaume de Dieu dans un monde assailli par les défis et les problèmes. En conséquence, tandis que les partisans de la missio ad gentes accordent une grande importance au développement qui peut être mesuré en termes d’expansion numérique et