Eglises d'Asie

Récemment libéré, après vingt-six ans de détention, un religieux bouddhiste associe, dans une lettre ouverte, des souvenirs personnels à des revendications plus générales pour son pays

Publié le 18/03/2010




Parmi les prisonniers de conscience libérés en même temps que le P. Nguyên Van Ly, à l’occasion du nouvel an lunaire, au début de février 2005, se trouvait un religieux bouddhiste, le vénérable Thich Thiên Minh, sortant du camp Z 20A de Xuân Lôc dans la province du Dông Nai, après vingt-six ans de détention. Il avait été arrêté en 1979 pour avoir refusé d’entériner la confiscation de sa pagode Vinh Binh, à Bac Liêu, par les autorités locales qui en firent un grenier communal. Pour avoir participé, en 1995 et 1996, à des manifestations de deux cents prisonniers politiques réclamant la réforme des camps pénitentiaires, il avait été isolé dans un camp de forêt, où il fut gardé trois ans, pieds et poings liés. Dès le lendemain de sa libération, une interview réalisée par Y Lan pour la section vietnamienne de Radio Free Asia était diffusée (1). On y entendait une voix d’une franchise peu commune, jugeant sans concession la politique dont il venait d’être victime. Prié de donner ses premières impressions après un quart de siècle d’internement, il affirmait qu’il n’avait fait que quitter une petite prison pour entrer dans une plus grande, celle de la société vietnamienne. “Tant que la liberté, la démocratie, les droits de l’homme seront absents du Vietnam, a-t-il expliqué, moi-même et mes 80 millions de compatriotes continuerons de vivre dans le silence, l’angoisse, le soupçon et des milliers d’autres difficultés.”

Le 21 février dernier, le religieux s’est exprimé à nouveau dans une lettre envoyée par lui au “Comité américain de protection de la liberté religieuse dans le monde” (2). Le vénérable Thich Thiên Minh prie le destinataire de sa lettre de ne pas se presser de retirer le Vietnam de la liste des pays où la situation de la liberté religieuse est la plus préoccupante. Il énumère les conditions que le Vietnam devrait remplir avant d’être retiré de la liste en question. Elle sont au nombre de dix : libérer de prison tous les membres de diverses religions et des prisonniers politiques, restaurer des activités religieuses normales pour le bouddhisme unifié, dont il énuméré plus haut la liste des hauts responsables internées ou en résidence surveillée, accorder aux fidèles du bouddhisme unifié le droit de visiter les hauts responsables, abandonner le décret 31 CP sur la détention administrative, amender entièrement l’ordonnance sur la croyance et la religion, introduire livres et journaux dans les prisons, établir pour les prisonniers de conscience un régime et une politique spéciale conforme au droit international, réformer le régime pénitentiaire des prisons, abolir l’article 4 de la Constitution afin d’établir le pluripartisme et, enfin, organiser sous un patronage international des élections générales à l’issue desquelles seraient mise en oeuvre une politique de réconciliation et de dialogue qui remplacerait les haines, les divisions, l’inégalité régnant aujourd’hui.

La lettre du religieux s’achève sur le rappel des tragédies dont il a été témoin au cours de ce quart de siècle de détention. Il évoque le camp de Xuân Phuoc, dans le Phu Yên, appelé aussi la “vallée des prisonniers où les mauvais traitements ont conduit à la mort trois prêtres catholiques : le religieux rédemptoriste, le P. Nguyên Van Vang, accusé de comploter contre le pouvoir, mort de soif dans le camp ; le P. Njuyên Quang Minh, curé de la paroisse de Vinh Son, à Saigon, accusé en 1976 de s’être joint à des officiers de l’ancienne armée et qui fut battu à mort pour avoir introduit des hosties dans le camp ; le P. Nguyên Luân, prêtre du diocèse de Nha Trang, arrêté peu après le changement de régime, mort de pneumonie après avoir passé de nombreuses nuits sans couverture ni natte. La liste se termine par deux fidèles du caodaïsme, Dinh Van Kiêp et Truong Phuoc Duc, eux aussi morts des suites de mauvais traitements qui leur ont été infligés

Le religieux ajoute à cette liste les noms de neuf prisonniers persécutés à cause de leur foi, encore internés au camp Z 304 de Xuân Lôc et aujourd’hui très épuisés et malades. Il s’agit du P. Pham Minh Tri, de la congrégation de la Co-Rédemption, interné depuis dix-huit ans et ayant perdu la raison depuis quinze ans ; du P. Nguyên Viêt Huân, 56 ans, de la même congrégation, également interné depuis dix-huit ans ; de Le Van Chuong, religieux bouddhiste ; de Nguyên Van Si, religieux bouddhiste du petit véhicule ayant participé aux activités d’un parti d’opposition ; de Lê Van Tinh, cadre du bouddhisme Hoa Hao, militant dans le même parti que le précédent. Le religieux cite encore trois autres noms, un chrétien de 64 ans, Mai Xuân Khanh, un bouddhiste Hoa Hao âgé de 71 ans, Phuong Van Kiên, et un adepte du bouddhisme unifié âgé de 67 ans, Trân Van Thiêng.