Eglises d'Asie

DIX ANS APRES L’ATTENTAT AU GAZ SARIN PERPETRE PAR LA SECTE AUM DANS LE METRO DE TOKYO, LE TRAUMATISME PERDURE

Publié le 18/03/2010




Alors que l’économie japonaise et la société en général ont perdu quelques unes de leurs certitudes passées, les Japonais, habitués de tradition à d’innombrables mouvements religieux, ont de plus en plus faim de guides spirituels, malgré les stigmates imprimés dans leur esprit par la secte Aum. Ces temps-ci, constatent les spécialistes, en dehors des sectes, ils se tournent surtout vers les nouveaux gourous que sont devenues les vedettes télévisées de la culture pop, les diseurs de bonne aventure ou autres conseillers en tout genre. “Le Japon est encore en phase de désintoxication, après le traumatisme infligé par les macabres exploits de la secte Aum explique Manabu Watanabe, professeur au département d’études des religions de l’université catholique de Nanzan : “Avant le scandale Aum, les gens se préoccupaient surtout de la liberté dont, selon la loi, les religions devaient bénéficier. Après Aum, pour les Japonais, les groupes religieux sont devenus au contraire des instances à surveiller.”

Depuis l’attentat, les autorités japonaises ont commencé à sévir contre un certain nombre de sectes dont le comportement dépassait l’excentricité admissible. En mai 2003, la police investissait les “Laboratoires Pana Wawe” d’une secte apocalyptique, dont les croyants, vêtus d’uniformes blancs de chirurgiens, circulaient en caravane dans des véhicules blancs pour échapper “aux attaques des ondes électromagnétiques” soi-disant envoyées par les communistes. En février 2002, le responsable de la secte “Life Space” était condamné pour le meurtre d’un homme victime d’une attaque cardiaque qu’il avait laissé mourir et dont il avait momifié le corps, retrouvé plus tard par la police dans un hôtel. En mai 2000, le fondateur d’une secte, adepte d’une certaine “réflexologie plantaire était accusé de fraude pour avoir réussi à persuader ses adeptes qu’ils développeraient un cancer s’ils ne lui versaient pas des sommes importantes. “Beaucoup de Japonais – jeunes et vieux – ont perdu leurs croyances. Ils détestent les religions à cause de l’image qu’ils ont d’Aum, mais restent curieux des mystères de l’homme et de l’univers. Ce qui conduit à une résurgence de nouvelles religions explique Manabu Watanabe. La prolifération des sectes est un phénomène qui se retrouve dans tout le monde industrialisé, mais la nature de la société japonaise fait que le Japon est particulièrement concerné par ce phénomène, estiment des spécialistes. Historiquement, le Japon a toujours admis le pluralisme en matière religieuse parce que l’essentiel de sa culture n’est pas centré sur la prééminence d’une foi unique (2). Nombre de Japonais s’identifient en même temps au bouddhisme et au shintoïsme et participent simultanément aux deux rites. La seule parenthèse a été la période de la seconde guerre mondiale, lorsque le shintoïsme a été promu religion nationale et le bouddhisme réprimé.

Une sensibilité particulière, née d’une réaction à cet épisode militariste, fait que les autorités hésitent grandement avant d’interdire un mouvement spécifique. A tel point que la secte Aum, tout en perdant les privilèges fiscaux reconnus aux groupes religieux, n’a pas été interdite en tant que telle même après l’attaque au gaz sarin dans le métro de Tôkyô (3).

Le moment-clé de l’évolution spirituelle du Japon a été, à l’heure de la défaite lors de la deuxième guerre mondiale, la déclaration de l’empereur Hirohito, selon laquelle il a dit n’être qu’un simple mortel et non un chef déifié. « Depuis, les Japonais cherchent un sens à donner à leur vie affirme Manabu Watanabe. “De nouvelles religions émergent pour combler ce vide poursuit-il. Après la guerre, le Japon s’est reconstruit lui-même et est redevenu rapidement une puissance économique. Dans la ligne de ce même processus psychologique du dépassement de soi, pour apaiser la tension du travail quotidien, les gens stressés cherchent du réconfort dans des croyances où les exercices physiques jouent un rôle important, comme le yoga et la méditation zen ; ils délaissent les religions où l’étude sérieuse du dogme est nécessaire.

Traditionnellement, les Japonais éprouvent une dévotion désintéressée envers leurs maîtres, leur métier ou la société qui les emploie. D’une façon paroxystique, certains vouent un attachement aveugle aux responsables de leur secte, explique encore Manabu Watanabe. La secte Aum combinait croyances hindoues et bouddhistes. Elle est devenue populaire en proposant aux nouveaux venus une formation systématique donnée par les spécialistes de la secte, commente un responsable de l’Agence de renseignement pour la sécurité publique. Il explique : “Le groupe était très bien organisé. Ils avaient un appareil, une sorte de casque surmonté d’électrodes qu’ils disaient capable de montrer le chemin du salut. Les croyants ne devaient plus ‘penser’, mais faire ce qu’on leur disait de faire. Le fondateur d’Aum, Shoko Asahara, un ancien acupuncteur, était connu pour ses longs cheveux, sa barbe et son embonpoint. Au sommet de la secte, il incarnait celui qui connaît le chemin du salut. Ses disciples recherchaient son enseignement pour enfin quitter le cycle de la réincarnation et entrer dans un monde meilleur.”

Après l’attaque au gaz de 1995 qui a brouillé l’image des sectes, une alternative a fait son apparition au Japon sous la forme des vedettes populaires et des diseurs de bonne aventure, apparus sur les écrans de télévision et dans les magazines, prétendument capables de révéler aux gens leur avenir. “Les médias sont parvenus à créer des ‘gourous virtuels’ explique Junkou Inoue, spécialiste des religions à l’université shintô de Kokugakuin. “Ce qui reflète bien le désir qu’ont les Japonais de trouver un guide spirituel et de tous ceux que la vie moderne rend inquiets écrit-il. Avec l’éclatement de la bulle financière de 1990 et la perspective jusqu’alors impensable du chômage, le Japon connaît une période douloureuse. Ces changements rapides ont apporté avec eux la mondialisation, visible surtout dans les médias ou par le truchement d’Internet. Ce qui a provoqué un stress énorme chez un peuple qui ne reconnaît plus ni sa culture ni ses propres valeurs. “Certains se ferment au reste du monde en réaction à la mondialisation où tout se standardise constate Junkou Inoue (4). La résistance peut déboucher sur des comportements tels l’isolement, le suicide, l’ultranationalisme, ou servir de terreau aux sectes. “Actuellement, l’anomie menace les gens qui manquent de valeurs morales suffisamment étayées pour affronter l’évolution du monde. Au milieu de ce chaos, de nouvelles sectes peuvent surgir, prêtes à prendre les gens en main. La seule chose qui puisse les prémunir serait les cicatrices qu’ont laissé dans les esprits les crimes d’Aum conclut Junkou Inoue.

(1)Sur le phénomène des sectes au Japon, voir EDA 231 (Cahier de documents : “Ces sectes qui inquiètent le Japon EDA 337 (Cahier de documents : “Le problème des sectes qui nous oblige à nous interroger sur nous-mêmes EDA 393

(2)Voir EDA 407 (Cahier de documents : “Mentalité japonaise traditionnelle et christianisme : rencontre de deux cultures 

(3)Il s’agissait de lui laisser une existence légale pour mieux la contrôler tout en respectant la liberté religieuse inscrite dans la Constitution. Sur le sujet, voir EDA 237, 279, 290 et 303

(4)Voir EDA 382