Eglises d'Asie

Gujarat : les protestations qui ont suivi le refus de visa opposé par les Etats-Unis au ministre-président de l’Etat font renaître la peur dans la communauté musulmane

Publié le 18/03/2010




Le souvenir des troubles de 2002 s’est réveillé. L’anxiété et la peur ont de nouveau gagné les populations musulmanes du Gujarat, face aux manifestations des hindouistes provoquées par la récente sanction prise par les Etats-Unis contre le ministre-président de l’Etat de Gujarat, Narendra Modi. Le 18 mars dernier, l’ambassade des Etats-Unis à New Delhi annonçait que le visa de séjour aux Etats-Unis demandé par le dirigeant du Gujarat lui était refusé. Le communiqué justifiait cette décision par les violations de la liberté religieuse commises dans l’Etat sous son gouvernement, une accusation formulée depuis longtemps en Inde dans la presse et dans les milieux opposés aux nationalistes hindous qui lui reprochent, sinon favorisé, du moins ignoré les violences qui ont éclaté dans cet Etat à la fin de février 2002 et ont fait plusieurs milliers de morts, en majorité chez les musulmans (1).

Ceux-ci se sont à nouveau sentis menacés par les groupes hindouistes qui, le 30 mars dernier, se sont mis en mouvement dans les rues de la capitale commerciale du Gujarat. Ils ont fait entendre leurs protestations, brûlé le drapeau des Etats-Unis et le portrait du président George W. Bush et s’en sont pris au consulat américain de la ville. Les calicots brandis par les manifestants affirmaient que la mesure prise par les Etats-Unis était une insulte à l’honneur et au nationalisme indiens. Un petit commerçant musulman qui tient une échoppe dans une ruelle étroite des faubourgs d’Ahmedabad, alors qu’il était le témoin caché d’une de ces manifestations, a confié que ses paquets étaient bouclés et qu’il était prêt à fuir si quelque chose se passait. En la circonstance, il a préféré baisser le rideau de son commerce et se tenir à l’intérieur de sa boutique, alors que, à l’extérieur, les dirigeants hindouistes critiquaient l’attitude des Etats-Unis et expliquaient aux manifestants que les autorités de ce pays, en refusant le visa à un dirigeant indien démocratiquement élu, s’étaient rendus coupables d’une insulte délibérée envers l’Inde et sa démocratie. Ce même argument avait été mis en avant par l’intéressé lui-même, lors d’une conférence de presse, le 18 mars précédent, juste après l’annonce de l’ambassade américaine.

Cependant, ces sentiments n’étaient pas partagés par tous les hindous de la ville. L’un d’entre eux, en retrait de la manifestation, exprimait son étonnement de voir Narendra Modi et ses partisans, après avoir fait l’éloge du président des Etats-Unis, de ses guerres en Afghanistan et en Irak, accomplir aujourd’hui un tel revirement : “Ces gens, s’exclamait-il, n’ont ni attitude ferme, ni colonne vertébrale !” D’autres, des musulmans militants, se réjouissaient en public de l’affront subi par le représentant du BJP dans le Gujarat : “Une visite aux Etats-Unis aurait légitimé ses abominables crimes ! faisait remarquer l’un d’entre eux.

Le ministre-président du Gujarat, membre du parti nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), avait depuis longtemps programmé son voyage aux Etatsunis, déplacement au cours duquel il devait prendre la parole devant l’Association des propriétaires d’hôtels américano-asiatiques, à Fort Lauderdale, en Floride, puis à nouveau, dans une réunion publique, à New York. Le communiqué du 18 mars précisait que le refus de visa s’appuyait sur la loi “privant de visa les dirigeants étrangers qui se sont rendus coupables de violations de la liberté religieuse”. La mesure avait, semble-t-il, été inspirée aux autorités américaines par une campagne des organisations de défense des droits de l’homme, parmi lesquelles Human Rights Watch, accusant le gouvernement de Narendra Modi de complicité lors des événements de 2002. Malgré les manifestations, les protestations officielles du Premier ministre fédéral de l’Inde, qualifiant la mesure de discourtoise, les autorités américaines ont maintenu leur refus. Le gouvernement américain a expliqué qu’il s’appuyait sur les conclusions d’une instance indienne officielle, à savoir la Commission nationale des droits de l’homme, dont un rapport souligne la responsabilité du gouvernement BJP du Gujarat.