Eglises d'Asie

L’Eglise catholique et le gouvernement s’opposent sur la question de la place de l’enseignement religieux dans les écoles publiques

Publié le 18/03/2010




Dans la querelle qui oppose depuis plusieurs semaines l’Eglise catholique et le gouvernement au sujet de la place de l’enseignement religieux dans les écoles publiques, le ton est monté d’un cran, le 25 avril dernier, lorsque les évêques des deux diocèses de Dili et de Baucau ont réclamé la démission du Premier ministre Mari Alkatiri, un musulman. Dans une lettre envoyée à Francesco Guterres, président du parlement, Mgr Alberto Ricardo da Silva et Mgr Basilio do Nascimento ont demandé la nomination d’un nouveau chef de gouvernement en raison de « la situation sociale, économique et politique ».

Le 19 avril, environ 2 000 personnes, des catholiques en majorité, ainsi que des musulmans et des protestants, avaient manifesté à Dili, la capitale de ce petit Etat de 800 000 habitants, pour protester contre la décision du gouvernement de rendre l’enseignement religieux facultatif dans les écoles publiques du Timor-Oriental, où 96 % des habitants sont catholiques. Le P. Domingos Soares, porte-parole du diocèse de Dili, avait alors dirigé la prière et averti que les manifestations continueraient tant qu’une solution ne serait pas trouvée. Le lendemain, les manifestants étaient 5 000, des renforts étant arrivés des campagnes avoisinantes et des autres villes du pays. La foule demandait la démission du Premier ministre lui reprochant de mener une politique « dictatoriale ».

La tension s’est encore accrue lorsque le Premier ministre a déclaré publiquement que le gouvernement ne reviendrait pas sur sa décision et que l’Eglise n’avait qu’à se transformer en parti politique si elle souhaitait discuter des affaires politiques du pays. Le président Xanana Gusmao est alors intervenu pour tenter de ramener le calme, appelant le gouvernement et l’Eglise au dialogue. « Afin de trouver des solutions aux préoccupations des évêques et de la population qui proteste à l’appel de l’Eglise a-t-il déclaré le 25 avril, lors d’une conférence de presse à Dili. Le lendemain, dans une interview à la radio catholique portugaise Renascenca, le Premier ministre a finalement déclaré que son gouvernement pourrait revenir sur sa décision de mettre un terme à l’obligation de suivre des cours de religion dans les écoles publiques. Mari Alkatiri est le Premier ministre du Timor-Oriental depuis mai 2002, date à laquelle le pays a acquis sa pleine indépendance.

La querelle de ces derniers jours remonte au mois de novembre 2004. Le 23 de ce mois, le ministre de l’Education, Armindo Maia, a déclaré sur les ondes de Suara Timor Lorosae (‘la voix du Timor-Oriental’), que la religion allait passer du statut de matière obligatoire à celui de matière à option dans les écoles publiques. En février 2005, le gouvernement a commencé à appliquer cette nouvelle orientation. Le ministre citait à l’appui de son propos l’article 45 de la Constitution, relatif à la séparation des Eglises et de l’Etat, ainsi que l’insuffisance des fonds publics pour rémunérer les professeurs de religion, des catholiques dans leur très grande majorité.

Selon le P. Agostinho de Jesus Soares, vicaire général du diocèse de Dili, l’Eglise, dans un premier temps, a choisi d’approcher le gouvernement afin de « trouver une solution à ce problème par le dialogue ». L’Eglise catholique a proposé que l’enseignement de la religion demeure obligatoire, en envisageant qu’il pourrait aussi comprendre les fondements du protestantisme et de l’islam, pour aller au devant des minorités religieuses présentes à Timor-Oriental. Mais, poursuit le P. Agostinho de Jesus Soares, « le gouvernement ne s’est jamais montré désireux d’ouvrir les négociations ». Le 20 avril, Mari Alkatiri déclarait : « Le gouvernement est toujours prêt à ouvrir le dialogue avec l’Eglise catholique, mais les manifestations d’aujourd’hui n’aident pas à créer les conditions de ce dialogue. »

Pour un certain nombre de catholiques est-timorais, l’attitude du Premier ministre à l’égard de l’Eglise catholique est difficile à comprendre. Sous l’occupation indonésienne, l’Eglise était perçue comme favorable à la cause de l’indépendance et le travail de Mgr Carlos Filipe Ximenes Belo, ancien administrateur apostolique de Dili, pour une solution juste et pacifique à la question est-timoraise a été saluée par l’attribution du prix Nobel de la paix en 1996, prix partagé avec José Ramos-Horta, qui représentait alors la résistance à l’étranger. Selon Ildefonso da Silva, enseignant à Dili, le personnel politique actuellement au pouvoir n’a jamais reproché à l’époque à l’Eglise d’être « politisée notamment lorsque Mgr Belo risquait sa vie en dénonçant les exactions de l’armée indonésienne. « Ces personnes oublient qu’en s’opposant à l’occupation indonésienne, l’Eglise leur a permis d’arriver au pouvoir souligne ce professeur, qui dénonce l’attitude consistant à qualifier l’Eglise d’« opposant politique » dès lors qu’elle exprime une position qui déplaît au gouvernement. Le 21 avril, sur les ondes de la radio catholique locale Radio Timor Kmanek, le jésuite Venancio de Araujo a dénoncé en des termes virulents les membres du gouvernement, les qualifiant de « marxistes déguisés en démocrates allusion à leur appartenance au Fretilin, l’ancien front révolutionnaire qui est devenu, après l’indépendance, le principal parti politique du pays, majoritaire au parlement.

Pour le pasteur Luis de Andrade, de l’Eglise Hosanna, l’actuelle querelle scolaire a quelque chose d’ironique, puisque, sous la férule indonésienne, premier pays musulman du monde par l’importance de sa population musulmane, l’Eglise était autorisée à enseigner la religion chrétienne dans les écoles et ses professeurs étaient payés par l’Etat. « Aujourd’hui, nous sommes un pays chrétien et nous ne sommes pas libres d’enseigner notre religion à nos enfants. C’est absurde a commenté le pasteur.

Pour les observateurs, cette querelle autour de la place de la religion dans les écoles s’inscrit dans un contexte plus large de tensions récurrentes entre l’Eglise catholique et le gouvernement. En décembre dernier, des responsables catholiques ont protesté contre la promotion du préservatif, organisée par le gouvernement et des ONG afin de lutter contre la propagation du sida (1). Plus récemment, en février dernier, Mgr Alberto Ricardo da Silva s’est opposé à un accord entre les dirigeants est-timorais et indonésiens sur l’abandon des poursuites à l’encontre des responsables d’atrocités commises dans les jours qui ont suivi le référendum d’août 1999, qui allait mener le pays à l’indépendance (2).