Eglises d'Asie

Un conflit social au sein d’une grande propriété de canne à sucre, pour lequel l’Eglise catholique a proposé sa médiation, s’envenime

Publié le 18/03/2010




Dans la province de Tarlac, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Manille, l’assassinat, le 3 mars dernier, d’un conseiller municipal, Abelardo Ladera, puis celui, dix jours plus tard, du P. William Tadena, prêtre de l’Eglise Aglipayan (1), ont provoqué un choc et suspendu les négociations qui visent à régler un conflit social grave opposant les employés et l’encadrement d’une grande propriété de canne à sucre de la région. Depuis plusieurs mois, l’Eglise catholique, par l’entremise de plusieurs de ses évêques, est impliquée dans ce conflit, en tant que médiatrice.

Le conflit a débuté en novembre dernier. Depuis cette date, une grève paralyse la plantation de canne à sucre Luisita et la raffinerie de sucre qui y est attachée, sur une propriété de 6 000 hectares appartenant à la famille Cojuangco, dont est issue l’ex-présidente des Philippines Cory Aquino. Après différentes péripéties, des négociations ont été ouvertes. Elles portent principalement sur les salaires et la réintégration de plus de trois cents employés licenciés, dont trente-cinq délégués syndicaux. Les autorités de la province de Tarlac ainsi que des responsables de l’Eglise catholique, tels Mgr Fernando Capalla, président de la Conférence épiscopale, et Mgr Florentino Cinense, du diocèse de Tarlac, ont réussi, le 8 février dernier, à convaincre les parties en présence d’entamer les négociations. Depuis l’assassinat d’Abelardo Ladera, tous les contacts ont été rompus. Selon Mgr Cinense, “l’Eglise travaille, avec le gouverneur de la province, à trouver le moyen de ramener les deux parties à la table des négociations”.

Pour Mgr Cinense, les deux assassinats sont un nouvel épisode déplorable de ce conflit. “Cela vient prolonger le problème de l’hacienda Luisita a-t-il déclaré le 13 mars. Outre les 7 000 employés de l’hacienda et leurs familles, “de nombreuses autres personnes sont affectées”. L’évêque met en avant les conséquences pour toute la province, dont l’économie dépend en grande partie des plantations de canne à sucre, si ce conflit n’est pas réglé rapidement. “Si la canne n’est pas récoltée, on ne pourra pas préparer les champs pour la prochaine récolte explique-t-il.

Depuis novembre 2004, les incidents graves ont émaillé ce conflit. Le 16 novembre, dix jours après le début de la grève, une échauffourée entre, d’une part, 600 grévistes et 500 de leurs partisans proches de différents groupes de gauche et d’ONG qui interdisaient l’accès à la plantation et, d’autre part, les forces de l’ordre s’était soldée par sept morts et plus d’une centaine de blessés parmi les grévistes (2). Une enquête est en cours pour déterminer les circonstances de l’incident, les deux parties se rejetant mutuellement la responsabilité. Le 8 décembre, un leader paysan qui devait témoigner devant le Sénat dans le cadre de l’enquête sur les violences du 16 novembre a été tué à Luisita. Le 5 janvier, des hommes non identifiés ont ouvert le feu sur deux ouvriers grévistes.

Depuis l’assassinat du conseiller municipal et du prêtre de l’Eglise Aglipayan, la tension est montée d’un cran autour de l’hacienda. Selon le témoignage d’employés de la raffinerie de sucre, la peur est dans les esprits. “S’ils peuvent tuer un prêtre et un élu, ils peuvent tuer les gens ordinaires comme nous a déclaré Rene Tua. Selon la police, l’assassinat d’Abelardo Ladera a été revendiqué par un groupe du nom de Kasama-Kayabe-Kadwa (KKK, ‘camarade’). Sur les tracts laissés sur le lieu du meurtre, des mises en garde contre les “membres du Parti communiste des Philippines” étaient inscrites, faisant craindre à certains une résurgence des exactions commises par les milices du type escadrons de la mort des années Marcos. L’assassinat du prêtre n’a pas été revendiqué.

En janvier dernier, lors de leur assemblée plénière, les évêques catholiques s’étaient penchés sur le dossier de l’hacienda Luisita. Ils avaient produit un document, intitulé “Vaincre le Mal par le Bien” (Vince In Bono Malum), faisant le point sur le conflit à l’attention des journalistes. Signé par Mgr Fernando Capalla et faisant écho au message du pape du 1er janvier 2005 dans lequel le Souverain Pontife dénonçait “la présence du malin au sein de la vie quotidienne des hommes et des femmes et de leurs communautés le document appelait à une reprise des négociations “dans un contexte de respect mutuel étant entendu que la paix que la Conférence entendait voir revenir sur l’hacienda Luisita ne se ferait que “si la justice prévalait aussi Le 24 janvier, les évêques avaient également adressé un appel à la présidente Gloria Arroyo, lui demandant de garantir que les troupes gouvernementales exerceraient le “maximum de retenue” contre les ouvriers en grève dans la plantation Luisita. “La présidente, avait alors rapporté Mgr Cinense, présent lors de l’entrevue, s’est engagée à ce que les troupes ne soient pas les premières à faire usage de leurs armes à feu aussi longtemps qu’elles ne seront pas en danger et qu’elles ne seront pas prises pour cibles.” Les évêques également avaient demandé que les auteurs des incidents du 16 novembre soient identifiés et punis, et que les familles des victimes reçoivent des compensations.