Eglises d'Asie

A l’unisson du reste du monde, l’Asie a salué la mémoire de Jean-Paul II et les catholiques d’Asie se souviennent de la marque laissée par le pape

Publié le 18/03/2010




A l’exception des dirigeants de la Chine populaire (1), l’Asie, où les chrétiens représentent à peine 3 % de la population, a participé à l’unisson de la planète à l’émotion soulevée par la mort du pape Jean-Paul II, le 2 avril dernier. Dans les deux pays majoritairement catholiques d’Asie, les Philippines et le Timor-Oriental, la mobilisation a bien entendu été très forte, mais l’événement n’a pas concerné que ces deux nations mais aussi les pays où les chrétiens forment des minorités conséquentes, tels la Corée du Sud, le Vietnam, le Sri Lanka ou encore l’Indonésie. Dans la Thaïlande bouddhiste, l’ensemble des grands journaux ont consacré leur première page aux obsèques de Jean-Paul II, le 8 avril. “Des millions de personnes disent adieu au pape titrait le Thai Rath. A Singapour, société multiethnique, le Straits Times barrait sa Une d’un “Le dernier adieu avec d’immenses photos du cercueil de Jean-Paul II. En Inde, où un deuil national de trois jours avait été décrété, The Tribune titrait : “Les pauvres et les puissants disent adieu au pape”.

En vingt-six ans de pontificat, Jean-Paul II s’est rendu à sept reprises en Asie, visitant onze pays et mobilisant des foules importantes. Son premier voyage dans la région faillit d’ailleurs être le dernier. Au Pakistan, en février 1981, un homme est mort lorsque la grenade qu’il projetait de lancer contre le pape a explosé dans sa poche, quelques minutes avant que Jean-Paul II n’entre pour célébrer la messe au Stade national de Karachi. C’était trois mois avant l’attentat du 13 mai 1981, place Saint Pierre. Plus significativement, les voyages du pape auprès des Eglises locales ont souvent été signes de contradiction. Si les gouvernants et les responsables religieux non chrétiens lui ont toujours réservé un accueil chaleureux, tous n’ont pas été enthousiasmés par ses visites et son message.

Sur un plan politique, les appels du pape au respect de la dignité fondamentale de l’homme, de la liberté, de la justice et de la paix ont résonné comme autant de condamnations pour des régimes dictatoriaux ou autoritaires. Ce fut le cas aux Philippines, en février 1981, lorsqu’il déclara devant Ferdinand Marcos que les violations des droits de l’homme ne pouvaient jamais être justifiées ou lorsqu’il appela à l’introduction de réformes. Pour les acteurs de la People Power Revolution de 1986, ce fut le début de la fin du règne de Marcos. Lors de son voyage en Indonésie, en 1989, Jean-Paul II se rendit pour une visite de quelques heures à Dili, au Timor-Oriental, permettant au monde de situer sur une carte cette nation et de prendre conscience des atrocités qui y étaient perpétrées par l’armée indonésienne. Ailleurs, en Inde, au Bangladesh, dans différents pays, le pape a mis en valeur la défense des droits des minorités et des exclus.

Sur un plan religieux, les appels au dialogue interreligieux, dans une région où l’hindouisme, le bouddhisme, le confucianisme, l’islam sont profondément ancrés dans la vie sociale et culturelle, ont été écoutés, mais pas toujours compris. Pour ceux qui, comme les nationalistes hindous en Inde ou les nationalistes bouddhistes au Sri Lanka, font de la défense de leur religion le moyen de protéger leur identité, la seule présence du pape sur leurs terres a parfois été perçue comme un encouragement aux communautés chrétiennes locales à convertir les non-chrétiens. Symptomatique à cet égard a été l’accueil réservé par les extrémistes hindous à l’exhortation apostolique Ecclesia in Asia (2). Fin 1999, lorsque Jean-Paul II est venu à New Delhi donner la conclusion du Synode des évêques pour l’Asie, tenu à Rome au printemps 1998, il a prononcé ses paroles : “Avec l’Eglise répandue dans le monde entier, l’Eglise en Asie franchira le seuil du troisième millénaire chrétien en s’émerveillant devant tout ce que Dieu a fait depuis ces commencements jusqu’à maintenant et, forte de savoir que, tout comme au premier millénaire la Croix fut plantée sur le sol européen, au second millénaire sur le sol américain et africain, on puisse, au troisième millénaire, recueillir une grande moisson de foi sur ce continent si vaste et si vivant.” Pour certains, cet appel prophétique à “une grande moisson de foi” s’apparentait à une intolérable invitation au prosélytisme.

En novembre 2004, à Rome, Jean-Paul II a reçu les membres du Conseil post-synodal de l’Assemblée spéciale des évêques pour l’Asie, organe chargé d’assurer le suivi in Asia (3). A cette occasion, le pape a souligné – sans désigner aucun pays nommément – qu’en Asie, de nombreux chrétiens ne vivaient pas dans un contexte de liberté religieuse. “Là où ils (les disciples du Christ) souffrent et où ils ne sont pas libres de professer leur religion, il faut annoncer le Royaume de Dieu par un témoignage de vie silencieux, en portant la Croix sur les pas du Christ souffrant, dans l’attente de la pleine liberté religieuse a déclaré le pape.

Jean-Paul II ajoutait que les évêques d’Asie ont raison d’insister sur l’importance du dialogue dans leurs pays, une priorité dans une région du monde dont “la situation est multiethnique, plurireligieuse et multiculturelle, où le christianisme est trop souvent perçu comme un apport étranger”. Pour annoncer “en profondeur” l’Evangile en Asie, le pape a appelé “tous les disciples du Christ” à “mettre en harmonie leur vie et leur foi”. Pour Jean-Paul II, ce préalable est indispensable pour que le dialogue porte ses fruits. Rappelant que le Synode des évêques pour l’Asie avait mis l’accent sur le fait que le dialogue constituait “une forme caractéristique de la vie de l’Eglise sur ce continent le pape a précisé que le dialogue englobait les relations internes à la communauté catholique, celles avec les autres confessions chrétiennes, ainsi que le maintien des “valeurs culturelles et religieuses des différents peuples”.

Evoquant ensuite le grand nombre de jeunes que compte l’Asie, le pape a dit que c’était là “un motif d’optimisme car les nouvelles générations, pleines de promesses, sont disposées à s’engager à fond dans une cause, d’autant que les rêves non réalisés ne peuvent qu’entraîner des désillusions”. Pour Jean-Paul II, les catholiques ne doivent pas se décourager parce que l’Eglise en Asie “n’est qu’un petit troupeau”. Il expliquait encore : “L’efficacité de l’évangélisation ne dépend pas du nombre (.). Le Christ en personne enseigne que ce qui est petit et caché aux yeux des hommes grâce à la puissance divine peut donner des résultats surprenants.”