Eglises d'Asie

Face à la crise économique persistante, trois évêques catholiques appellent à un changement de politique économique

Publié le 18/03/2010




Le 30 avril dernier, trois évêques de l’Eglise catholique, Mgr Julio Labayen, évêque émérite de la prélature territoriale d’Infanta, Mgr Deogracias Iniguez, du diocèse de Kalookan, et Mgr Antonio Tobias, du diocèse de Novaliches, ont tenu une conférence de presse à Quezon City pour dire leur soutien à un groupe d’économistes proposant un changement de politique économique. Face à la “réalité” du pays qui se caractérise par “un appauvrissement et une mauvaise humeur” allant croissant chez les Philippins, les trois évêques se sont prononcés en faveur d'”alternatives concrètes conscients que leur initiative allait être critiquée aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Eglise.

Les trois évêques se sont présentés comme étant “les conseillers spirituels” de Kilusang Makabansang Ekonomiya (KME, Mouvement pour une économie nationaliste), une ONG réunissant des économistes, des universitaires, des hommes d’affaires et des membres de l’Association des supérieurs religieux majeurs des Philippines. Mgr Labayen a lu un communiqué, où l’on pouvait, entre autres choses, lire : “Nous demandons le retrait de la loi sur la déréglementation du marché des produits pétroliers, une annulation immédiate des augmentations de prix sur les produits pétroliers, sur les péages, l’eau et l’électricité. Nous demandons l’arrêt des réformes incessantes visant à imposer, par voie de décret ou de loi, de nouvelles taxes.” Les évêques dénoncent la politique menée par l’administration Arroyo, faite d’austérité budgétaire, de libéralisation et de privatisations, alors que le prix des services publics augmente et que la pression fiscale est à la hausse.

Mgr Iniguez a précisé que le communiqué, intitulé : “Le temps d’agir est venu a été rédigé par les économistes du KME. “Le message que nous voulons faire passer, a-t-il ajouté, est que la situation économique est mauvaise et va en se dégradant.” Selon Mgr Tobias, dans le diocèse de Novaliches, voisin de Manille et donc situé dans une région relativement développée économiquement, des prêtres font état d’une augmentation de la pauvreté. De plus en plus de gens ne peuvent plus se nourrir que de nouilles lyophilisées, achetées cinq pesos le paquet (0,7 euro), et certains n’ont plus de quoi faire trois repas par jour. Mgr Labayen a ajouté que ces gens-là en sont réduits à voler “un morceau de pain” pour vivre. Dans de telles situations, “on ne peut les considérer comme des voleurs ; c’est tout simplement qu’ils n’ont pas le choix” (1

Ce constat posé, les trois évêques sont optimistes quant à la possibilité de voir émerger une autre politique économique que celle menée actuellement. Ils appellent de leurs voux “une économie qui serve l’intérêt national”. “Nous envoyons un plan d’action, une alternative à la situation présente où 60 % du budget de l’Etat est consacré au service de la dette a dit Mgr Tobias. Pour cela, les évêques proposent la formation d’“un conseil des anciens pour épauler la présidente et ses ministres” qui aidera à sortir le pays de la crise économique actuelle, qui, précisent-ils, fait le lit de la crise morale. [Ce conseil] serait formé de laïcs. Le KME connaît des personnes responsables et des économistes nationalistes qui ouvrent sincèrement en faveur des pauvres a précisé Mgr Tobias, pour qui la balle est désormais dans le camp de la présidente Gloria Arroyo.

Intervenue la veille du 1er mai, la conférence de presse des trois évêques n’est pas passée inaperçue. Selon les médias, écrits et audio-visuels, les trois prélats menaçaient en filigrane la présidente d’un soulèvement populaire. Les rumeurs de coup d’Etat contre la présidence allant bon train à Manille ces temps-ci, des parlementaires auraient reproché aux évêques d’être manipulés à des fins de “déstabilisation”. Face à l’agitation médiatique soulevée, Msgr Labayen, Iniguez et Tobias ont déclaré le 5 mai. “Nombreux sont ceux qui ont mal compris notre déclaration. [Le 30 avrilau nom des travailleurs philippins, nous avons juste voulu faire écho à l’impatience populaire et aux appels pour le changement. Ce n’est pas une démarche qui émane de nous seuls, évêques. Nombreux sont ceux qui appellent la présidente à porter son attention à cela. La réalité, c’est que les gens s’appauvrissent et s’aigrissent. Nous sommes assis sur un volcan social et le gouvernement doit agir maintenant a déclaré Mgr Labayen. Les évêques ont ajouté qu’ils n’avaient pas appelé à la démission de la président Arroyo. “La déclaration du KME que nous avons présentée reflète des opinions diverses, mais, pour nous, le message est clairement et simplement exprimé dans son titre a dit Mgr Labayen.

Au palais présidentiel, un porte-parole a déclaré que la présidente Arroyo était prête à engager le dialogue avec ceux qui critiquent sa politique, y compris les trois évêques. Ce à quoi Mgr Tobias a répondu que des responsables du KME avaient déjà discuté “deux ou trois fois” avec la présidente d’un plan d’action pour une autre politique économique, mais que rien n’était sorti de ces discussions. “Comment peut-on écouter et ne rien faire s’est interrogé l’évêque. Nous exprimons ce que nous croyons bon pour ce pays, y compris dans le domaine économique, même si nous sommes évêques. Nous nous devons de prendre la parole au nom des pauvres.”

Au sein de l’épiscopat, les réactions n’ont pas tardé. Dès le 3 mai, la Conférence épiscopale a publié un communiqué, intitulé : “Une clarification où l’on pouvait lire que les propos des trois évêques “ne reflétaient pas la pensée de la totalité de la Conférence des évêques”. Les évêques catholiques des Philippines s’expriment en tant que conférence uniquement à l’occasion de leurs deux assemblées annuelles, en janvier et en juillet de chaque année, ainsi que par le biais du Conseil permanent de la Conférence, était-il encore précisé. Mgr Fernando Capalla, président de la Conférence, a expliqué que, selon le Droit canon, les évêques sont autonomes et indépendants les uns des autres, chaque évêque étant placé directement sous l’autorité du pape. “Il n’y a personne entre eux et le pape, a-t-il précisé. Par conséquent, lorsque les évêques s’expriment à titre individuel, ce qu’ils disent doit être respecté.” Selon Mgr Iniguez, le communiqué de la Conférence épiscopale est “un rappel bienvenu” du souci que les évêques doivent avoir de veiller à ce que leurs propos publics ne donnent pas le sentiment que “nous ne sommes pas d’accord entre nous”.