Eglises d'Asie – Indonésie
Java-Est : le responsable d’une école coranique suscite une controverse pour avoir traduit en indonésien une prière rituelle, dite en arabe
Publié le 18/03/2010
Chrétien converti à l’islam en 1975, ancien boxeur, âgé de 50 ans, Muhammad Yusman Roy dirige l’internat islamique I’tikaf Jama’ah Ngaji Lelaku, à Malang. Partant du constat que rares sont les Indonésiens capables de comprendre l’arabe, dans un pays où la langue nationale, le Bahasa Indonesia, est écrite à l’aide de l’alphabet latin, il a décidé que les jeunes qui lui étaient confiés devaient certes apprendre la calligraphie arabe, pour lire le Coran et le réciter par cour, mais qu’ils devaient aussi en comprendre la signification. C’est pourquoi, pour le rituel de la prière shalat, au cours de laquelle des versets du Coran sont récités, Muhammad Yusman Roy a choisi de conduire la prière en arabe, et de la faire suivre d’une traduction en indonésien.
Muhammad Yusman Roy s’est défendu de toute intention blasphématoire en agissant de la sorte. “Montrez-moi un seul verset du Coran qui interdirait de dire la prière autrement qu’en arabe a-t-il déclaré dans une interview à l’hebdomadaire Tempo.
La branche de Java-Est du Conseil indonésien des oulémas (MUI) a publié un édit interdisant la récitation des prières rituelles de l’islam dans une autre langue que l’arabe. Selon l’édit, la prière bilingue dévie de l’enseignement islamique et pervertit la pureté de l’islam. Les oulémas ont en outre rappelé un hadith (parole sacrée) de Mahomet qui avait demandé à ses disciples : “Priez comme vous m’avez vu prier.”
L’édit des oulémas du MUI n’a pas fait l’unanimité. Sans absoudre Muhammad Yusman Roy, l’ancien président Abdurrahman Wahid, dont l’influence reste forte au sein de la Nahdlatul Ulama, la principale organisation musulmane de masse du pays, et dont la compétence en tant qu’expert de la jurisprudence islamique (fiqh) est reconnue, a déclaré au Jakarta Post que l’usage des langues locales dans la prière, le deuxième des cinq piliers de l’islam, était une question ouverte au débat, certains responsables religieux l’autorisant et d’autres l’interdisant. Avant toute chose, a ajouté Abdurrahman Wahid, les oulémas du MUI “auraient dû discuter à fond de cette question, avant de décréter une interdiction” (1
Par ailleurs, l’arrestation par la police de Muhammad Yusman Roy a aussi suscité une vive polémique. Abdurrahman Wahid, à nouveau, a pris position, dénonçant l’intervention de la police dans une affaire cultuelle. “De quel droit est-ce qu’ils interprètent la jurisprudence religieuse ? Ont-ils au moins étudié la loi islamique ? a-t-il déclaré de Semarang, à Java-Centre, le 9 mai. A Malang, Ali Maschan Moesa, responsable de la branche de Java-Est de la Nahdlatul Ulama, est allé dans le même sens, déclarant que le recours au Code pénal pour une telle affaire était “inacceptable” et qu’une meilleure approche aurait consisté “à s’asseoir autour d’une table et à discuter les mauvaises façons de faire [de Muhammad Yusman Roy] ».
Ahmad Syafii Maarif, responsable de la Muhammadiyah, la deuxième plus grande organisation musulmane de masse du pays, a également regretté la tournure juridique prise par la controverse. “Il aurait dû être réprimandé sur l’erreur qu’il commettait, mais non pas être arrêté a-t-il déclaré au Jakarta Post le 8 mai.
A Malang, le chef des forces de l’ordre, le lieutenant-colonel Besar Harta Karyawan, a justifié l’arrestation de l’imam, en déclarant que Muhammad Yusman Roy avait été mis en garde au sujet de son recours au bilinguisme il y a un an déjà, et que la branche locale du MUI avait fait de même. “Tandis que nous continuons l’enquête sur cette affaire, Yusman restera en détention. Par ailleurs, nous avons déployé des policiers autour du pensionnat islamique pour prévenir toute manifestation violente des résidents a précisé le responsable local de la police.
De sa cellule, Muhammad Yusman Roy a présenté des excuses pour cette affaire. Il a ajouté qu’il continuera à dire les prières dans les deux langues, précisant qu’il se limitera à agir ainsi au sein du seul cercle familial.