Eglises d'Asie

Karnataka : une ordination célébrée en langue kannada suscite les protestations des catholiques tamouls de l’archidiocèse de Bangalore

Publié le 18/03/2010




Un conflit linguistique ancien a resurgi, une fois de plus, dans l’archidiocèse de Bangalore, à l’occasion d’une ordination, le 3 mai dernier, à la cathédrale St François Xavier. Ce jour-là, l’archevêque Mgr Bernard Moras a utilisé le kannada (kannara) comme langue principale au cours des cérémonies d’ordination de quatre prêtres. Trois d’entre eux étaient tamouls ainsi que la majorité de l’assistance, formée de parents et d’amis des ordinands. Les prêtres de langue tamoule du diocèse ne sont pas venus participer à cet événement. A la fin de l’ordination, un groupe de 299 laïcs de langue tamoule sont venus entourer l’archevêque à la sacristie et lui ont reproché d’avoir ignoré le modus vivendi linguistique en usage dans le diocèse.

Voilà près de trois décennies que la question de la langue empoisonne la vie du diocèse de Bangalore, capitale du Karnataka, Etat dont le kannada est la langue officielle. Selon les statistiques officielles du diocèse, les catholiques “kannadiga”, dont la langue maternelle est le kannada, sont au nombre de 330 000, soit 20 % du nombre total des fidèles. Ils insistent pour que leur langue soit prioritaire dans la liturgie. 70 % des autres catholiques sont des descendants d’immigrants originaires du Tamil Nadu voisin où le tamoul est la langue officielle. Les autres catholiques viennent de divers autres Etats. Ce conflit linguistique a engendré des violences à plusieurs reprises, à tel point que Mgr Alphonsus Mathias, l’ancien archevêque, avait été obligé de créer une commission d’experts pour essayer de pacifier les esprits et instaurer un modus vivendi linguistique acceptable par tous. La commission avait recommandé l’usage de trois langues au cours des cérémonies liturgiques importantes. L’anglais devait être la langue principale, tandis que le kannada et le tamoul devaient être utilisés pour les lectures et pour les chants.

Les dirigeants catholiques tamouls du diocèse reprochent précisément à leur pasteur de ne pas respecter le modus vivendi de trois langues, depuis son arrivée dans le diocèse, le 22 juillet 2004, alors que son prédécesseur, Mgr Ignatius Pinto, s’était soumis aux recommandations de la commission. L’irritation de la communauté tamoule s’était déjà donné libre cours pendant la dernière semaine sainte. L’archevêque avait utilisé le kannada comme première langue lors des cérémonies de la messe chrismale, se contentant de faire proclamer les lectures en tamoul. Quelque quarante prêtres de langue tamoule avaient rencontré leur archevêque, après la messe, pour protester et lui annoncer qu’ils ne coopéreraient plus avec lui dans le cas où il continuerait de favoriser le kannada.

Dans un entretien avec l’agence Ucanews (1), Mgr Moras a souligné qu’il ne croyait pas au “compromis” faisant de l’anglais la langue commune des cérémonies d’importance. Selon lui, l’anglais est une langue étrangère pour les gens ordinaires qui, selon lui, trouvent le kannada plus “sympathique”. L’archevêque a justifié l’usage du kannada pour la récente ordination. La plupart des participants venaient de la campagne et ne comprenaient pas l’anglais. Si le prélat a choisi le kannada, c’est parce que, pour tous, c’était la langue la plus compréhensible. Les Tamouls, établis à Bangalore il y a des siècles, comprennent également cette langue. Par ailleurs, l’archevêque a nié que le boycott de la cérémonie par les prêtres tamouls ait eu pour cause l’usage de la langue kannada. Quant aux laïcs, il a souligné qu’il avait pour coutume de les recevoir et de les écouter après les cérémonies, quel que soit le ton de leur voix, courroucée ou calme.

Après les événements, un militant laïc tamoul a confié que les Tamouls du diocèse avaient accepté le modus vivendi linguistique de trois langues, mais redoutaient que l’archevêque ne succombe à la pression du groupe kannadiga. Il a précisé que son groupe avait attendu la fin de la cérémonie pour faire entendre son insatisfaction, mais qu’il était prêt à continuer la lutte si des changements étaient introduits en faveur du kannada. Des prêtres tamouls ayant boycotté l’ordination se sont ensuite justifiés en disant qu’ils n’avaient pas accepté que l’archevêque utilise une langue, le kannada, inconnue de 90 % de l’assistance composée en majorité de paysans tamouls.

Mgr Moras, originaire de Mangalore, est de langue maternelle konkani. Apparemment, cette première protestation publique ne l’a pas ému. Il s’y attendait depuis sa nomination à la tête du diocèse. Il veut affronter ce problème de langue pragmatiquement et sans idée préconçue. Il estime avoir encore beaucoup de temps pour régler une “très vieille querelle” (2).