Eglises d'Asie

Sans illusion sur ses chances de succès, Mgr Oscar Cruz continue de lutter contre les jueteng, jeux de hasard illégaux mais très populaires

Publié le 18/03/2010




Le 26 mai dernier, Mgr Oscar Cruz, archevêque de Lingayen-Dagupan, a présenté à la télévision, sur les ondes d’une émission d’information grand public, une cassette vidéo. Sans montrer aux téléspectateurs philippins le contenu de cette cassette, l’ancien président de la Conférence des évêques catholiques des Philippines a déclaré qu’elle contenait l’enregistrement d’une personne témoignant de l’extension des jueteng à travers le pays et de la corruption induite par ces jeux d’argent illégaux et néanmoins très populaires. “Au cas où (la personne de la cassette) meurt, ceci constituera une preuve a déclaré l’évêque, engagé de longue date dans un combat contre ces loteries clandestines. Il a ajouté que son témoin était prêt à déposer devant les commissions du Sénat dont la réunion était prévue le 30 mai pour enquêter sur la prolifération continue des jueteng. Il a aussi précisé que, depuis que la presse locale a indiqué que des proches de la présidente Gloria Arroyo faisaient partie des personnalités bénéficiant des largesses financières des barons de ces loteries clandestines, il y avait peu d’espoir de voir son combat contre les jueteng couronné de succès.

L’actualité sur le sujet s’est emballée depuis que, le 3 mai dernier, Mgr Oscar Cruz a présenté, lors d’une audition devant la Commission pour l’ordre public et la sécurité de la Chambre des représentants, une liste des “barons des jueteng » (1Rapidement surnommée par la presse “la liste de l’archevêque le document est censé renfermer les noms de personnalités qui seraient payées par les gérants de jueteng en échange de leur silence. Parmi eux, figureraient le mari de Gloria Arroyo, leur fils, député à la Chambre, et un autre proche parent. Face à l’ampleur médiatique prise par le sujet, le présidente s’est déclarée résolue à mener une “guerre totale” contre les jueteng et a demandé à ceux qui accusent sa famille de porter l’affaire devant la justice.

Pour Mgr Oscar Cruz, ces déclarations ne préjugent rien de bon pour le combat mené contre les jueteng, au nom de l’association qu’il préside : la Krusadang Bayan Laban sa Jueteng (‘Croisade nationale contre les ). Le 23 mai, l’évêque a déclaré à la presse qu’il estimait que le système judiciaire, le Congrès, le médiateur de la République et différents secteurs de l’administration étaient “du domaine de la présidente”. Entre temps, un important sénateur, Manuel Lapid, a fait savoir que la commission d’enquête sénatoriale viserait d’abord à légaliser les jueteng, plutôt qu’à rendre publics les noms des barons des jueteng et ceux des bénéficiaires de leurs largesses.

“Je commence à penser que tout ceci est manigancé car les pouvoirs sont très impliqués dans cette affaire a déclaré Mgr Oscar Cruz, malgré tout résolu à poursuivre son combat car “que nous gagnions ou non, il est important de faire quelque chose”. Selon l’évêque, tous ceux dont les mains ont trempé d’une façon ou d’une autre dans l’argent des jueteng vont vouloir la légalisation des ces jeux interdits. Cela afin “d’amoindrir l’impact” des auditions devant le Congrès. A la fin, a-t-il pronostiqué, même si Gloria Arroyo se déclare opposée à la légalisation des jueteng, elle aura beau jeu de dire : “Nous n’aimons pas cela mais que pouvons-nous y faire, étant donné que les deux Chambres votent en faveur de la légalisation.”

Depuis ses déclarations du 3 mai, Mgr Oscar Cruz témoigne par ailleurs que les pressions exercées sur sa personne vont croissant. Des coups de téléphone anonymes lui sont adressés. “Retire-toi ou tu mourras a-t-il entendu. Sur les plateaux de télévision, l’évêque a aussi montré un chèque reçu par la poste. Rédigé à son ordre pour un montant de dix millions de pesos (140 000 euros), le chèque est accompagné d’une note lui demandant de cesser sa campagne contre les jueteng.

Les jueteng, surnommés aussi “la loterie des pauvres” car les sommes misées sont le plus souvent des faibles montants, accessibles aux couches les plus modestes de la population, sont extrêmement populaires aux Philippines. En mars 2003, la Conférence des évêques avait produit une Lettre pastorale contre les paris d’argent, “spécialement les jueteng qualifiant ces activités de “cancer social”. Les évêques mettaient en garde contre “le vice moral devenu “une sous-culture insidieuse, se traduisant par une immense corruption” et causant d’“immenses souffrances” chez les plus pauvres, encouragés à parier le peu qu’ils ont à des paris d’argent.