Eglises d'Asie

Avec la mort du cardinal Jaime Sin, l’Eglise catholique des Philippines a perdu son plus grand “prélat politique”

Publié le 18/03/2010




Le cardinal Jaime L. Sin, ancien archevêque de Manille, est mort le 21 juin dernier, à l’âge de 76 ans, à Manille. Malade, souffrant du diabète et d’insuffisance rénale, il était affaibli depuis quelques années et avait renoncé à la charge d’archevêque de Manille le 15 septembre 2003. Auparavant et durant plusieurs décennies, le cardinal Sin a eu une influence politique et religieuse considérable. Parfois surnommé le “prélat politique il était très populaire dans son pays, catholique à 85 %, et bien connu à l’étranger, où il personnifiait l’Eglise des Philippines. Selon la présidente Gloria Arroyo, “l’histoire se souviendra de ce jour de tristesse qui a marqué la disparition de ce grand libérateur du peuple philippin et champion de Dieu”.

Né le 31 août 1928 dans la province d’Aklan, au centre des Philippines, Jaime Sin était le quatorzième des seize enfants d’un commerçant chinois, Juan Sin, né à Xiamen (Amoy), dans la province du Fujian, en Chine, et d’une Philippine, Maxima Lachica. Ordonné prêtre en 1954, il devient évêque de Jaro en 1972, avant d’être nommé archevêque de Manille en 1974. Deux ans plus tard, Paul VI le crée cardinal. Ferdinand Marcos est au pouvoir depuis 1965 et, depuis septembre 1972, la loi martiale a été imposée à tout le pays. Dès son arrivée à Manille, le nouvel archevêque se pose en chef de file de la ligne alors majoritaire au sein de l’Eglise catholique des Philippines, celle d’une “collaboration critique” vis-à-vis du gouvernement Marcos. Il dénonce les excès de la dictature de Ferdinand et Imelda Marcos, sans aller à appeler à un changement de régime. En 1981, le pape Jean-Paul II visite les Philippines et dénonce en termes clairs les atteintes aux droits de l’homme commises dans le pays. Dans les années 1982-1983, l’écart se creuse entre l’Eglise et le gouvernement. La Conférence épiscopale publie deux lettres très critiques. En 1983, quand le principal opposant, Benigno ‘Ninoy’ Aquino, est assassiné à son retour d’exil, le cardinal Sin persuade la veuve du leader assassiné, Cory Aquino, “la dame en jaune de prendre la relève. Après l’élection présidentielle de 1986, les choses se précipitent. Le cardinal Sin est l’un des principaux acteurs des manifestations connues sous le nom de “People Power au cours desquels il dépose “moralement” le président Marcos. Lâché par les militaires, celui-ci doit quitter le pouvoir.

Le poids politique du cardinal Sin est alors à son zénith. Certains, y compris au sein de l’Eglise, lui reprochent son engagement en politique. Le cardinal répliquait : “L’Eglise doit être impliquée en politique. La politique n’est pas sale. Ce sont les politiciens qui la rendent sale.” Fort de ce principe, il continue à soutenir et à conseiller les deux présidentes catholiques, Corazon Aquino (1986-1992) puis l’actuel chef de l’Etat, Gloria Arroyo. En octobre 1987, au Synode des évêques à Rome, il précisa sa pensée sur le sujet. Selon lui, le concept occidental de séparation des Eglises et de l’Etat est “impensable” en Asie, où “les traditions religieuses forment le fondement de la naissance, de la croissance et du développement des cultures et des nations”. Ignorer les demandes de transformation politique en Asie est, en un sens, un déni de l’identité chrétienne, ajoutait-il, tout en précisant qu’il fallait se garder de placer l’accent sur telle ou telle idéologie.

La stature du cardinal au sein de son pays et de son Eglise ne font pas pour autant de lui une personnalité systématiquement écoutée. Les relations sont ainsi difficiles avec le président Fidel Ramos (1996-2000), un protestant. Les prises de position de l’Eglise contre la peine de mort ou la politique de contrôle des naissances ne sont pas toujours suivies d’effet. De même, l’hostilité déclarée du cardinal Sin au candidat Joseph Estrada n’empêche pas l’élection de celui-ci en 1998. En janvier 2001, lors des manifestations qui aboutissent au “People Power II” et à la destitution du président Estrada, l’Eglise, le cardinal Sin en tête, paraît regagner l’ascendant qu’elle avait eu sur la société lors de la chute de Marcos, mais, cette fois-ci, c’est un dirigeant, certes corrompu et peu compétent, mais élu avec les voix des plus pauvres, qui est chassé du pouvoir. Tant dans la population qu’au sein du clergé, ce nouvel engagement de l’Eglise sur la scène politique n’est pas toujours compris.

En mai 2001, conscient du fossé toujours plus large, au sein même de l’Eglise des Philippines comme au sein de la société, entre des élites installées et une population ne s’extirpant pas de la pauvreté, le cardinal Sin prend l’initiative de demander pardon, au nom de l’Eglise, envers les pauvres, pour “les avoir négligés pendant trop longtemps”. “Nous voudrions demander aux pauvres le pardon. Nous devons écouter les demandes des pauvres. Nous ne devons pas attendre qu’une nouvelle crise éclate pour ouvrir nos yeux déclare-t-il, lors d’une messe organisée au sanctuaire marial de Marie Reine de la Paix, à EDSA, haut lieu des manifestations de “People Power” I et II.

Enfin, outre son action aux Philippines, le cardinal Sin s’est toujours montré soucieux de l’ancrage de l’Eglise des Philippines au sein de l’Eglise universelle, et tout particulièrement auprès des Eglises d’Asie. Ainsi, outre son action en faveur de la formation du clergé chinois (1), il a toujours veillé à ce que l’archidiocèse de Manille et ses structures de formation accueillent des prêtres du Bangladesh, de l’Inde, du Vietnam, de Birmanie, mais aussi du Japon ou du Pakistan. De même, le soutien apporté par le cardinal Sin à Radio Veritas et à la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie (FABC) allait dans le même sens. “C’est durant toutes ces années où le cardinal Sin a été actif que les évêques d’Asie ont développé leur identité en tant qu’Asiatiques. Avant, ils n’étaient que des évêques représentant différents pays a souligné Mgr Henry D’Souza, aujourd’hui archevêque de Calcutta, en Inde, et secrétaire général de la FABC durant neuf années, jusqu’en 1991. Pour les cinquante ans de sacerdoce du cardinal Sin, le 3 avril 2004, le pape Jean-Paul II avait envoyé un message, saluant le “bon pasteur” qui avait mené son peuple “avec un zèle évangélique, une activité énergique et une volonté sans faille”.

Pour les obsèques du cardinal Sin, célébrées le 28 juin à la cathédrale de Manille, quelque 6 000 personnes avaient pris place dans la cathédrale de Manille. De nombreux évêques d’Asie avaient fait le déplacement. La présidente Arroyo, l’ex-présidente Corazon Aquino ainsi que les représentants de corps constitués étaient présents, mais l’opposition a boycotté la cérémonie, pour signifier son désaccord au soutien moral apporté par le cardinal Sin au renversement de Joseph Estrada en 2001. Le cardinal a été inhumé dans la crypte de la cathédrale.