Eglises d'Asie

LES RELATIONS ENTRE LES DEUX COREE : METTRE EN AVANT UN ESPRIT DE COOPERATION

Publié le 18/03/2010




Le 14 juin, j’ai effectué un voyage en Corée du Nord pour célébrer le cinquième anniversaire du sommet historique intercoréen. Bien qu’il s’agissait de mon sixième voyage en Corée du Nord, ce vol d’une heure de Séoul à Pyongyang m’a profondément affecté. Les Coréens du Sud et du Nord, bien qu’ils soient d’une seule et même nation ethnique, n’ont pas rencontré leurs parents, familles et voisins de l’autre côté de la frontière depuis plus de cinquante ans, en dépit de la proximité géographique. Bien qu’ils ont vécu ensemble pendant plus de 5 000 ans, la guerre de Corée (1950-1953) a entraîné leur séparation et ils vivent depuis coupés en deux, derrière un haut mur. Le sentiment que j’éprouve est une grande tristesse. Depuis la libération de la nation du Japon et la division de la péninsule en 1945, les tensions de “la guerre froide” sont restées vives entre les deux Corée.

Lorsque je me suis rendu en Corée du Nord pour la première fois il y a six ans, les relations entre les deux Corée étaient tendues, et les personnes que j’y ai rencontrées avaient un air sévère et froid. Les guides officiels nord-coréens agissaient et parlaient de manière arrogante. Mon sentiment à leur égard était plutôt du ressentiment et nous ne pouvions visiter que les endroits qu’ils nous montraient. Mais, cette fois-ci, mon sentiment est différent.

Auparavant, lorsqu’ils recevaient une aide matérielle de nous, du riz et des biens de première nécessité notamment, les Nord-Coréens, particulièrement les officiels du gouvernement, semblaient ne pas les apprécier. Ils insistaient au contraire sur la supériorité de leur système communiste, du juche (leur idéologie faite de développement autocentré et d’athéisme militant) et de feu leur grand leader, Kim Il-sung. Ils proclamaient aussi le “devoir de libérer la Corée du Sud Aujourd’hui, le ton a changé et ils semblent admettre les difficultés économiques auxquelles ils doivent faire face. Ils insistent désormais sur la coopération entre les deux Corée plutôt que de mettre sans cesse en avant une supposée supériorité de leur système.

J’ai ressenti ce changement lorsque j’ai rencontré un représentant du gouvernement qui s’est joint à un dîner offert aux quelque 350 représentants de la société civile sud-coréenne venus à Pyongyang du 14 au 17 juin dernier. Ce représentant avait le teint hâlé et il expliquait qu’il avait été mobilisé afin de venir en aide aux paysans pour la durée de la haute saison, soit un mois durant. Il disait avoir conscience que le Sud est plus riche que le Nord, révélant ainsi que la richesse du Sud ne le laissait pas indifférent. Entendant cela, je me suis senti désolé que tant de Sud-Coréens gaspillent ce qu’ils ont, la nourriture, les biens matériels et autres produits manufacturés.

J’ai aussi ressenti un autre changement d’attitude de la part des représentants nord-coréens qui ont participé à l’évènement. Lors de précédents évènements de ce genre, ils avaient pour habitude de préparer un “siège vide” pour feu leur dirigeant Kim Il-sung. C’était quasi systématique et le ton que les Nord-Coréens employaient à notre égard était ouvertement arrogant. Cette fois-ci, il n’y a pas eu d’attitude semblable, impolie et oppressante. Et les multiples mentions des noms de Kim Il-sung et de Kim Jong-il, son fils et actuel dirigeant de la Corée du Nord, avaient quasiment disparu. Lors de ce voyage, j’ai à peine entendu prononcer leurs noms.

Les visages des Nord-Coréens semblaient plus lumineux et plus heureux qu’avant et ils agitaient les mains pour saluer les visiteurs sud-coréens. Dès qu’il était possible de le faire, les Nord-Coréens ont insisté pour dire que, la Corée étant divisée, l’ensemble du peuple coréen devait accomplir la réunification par “eux-mêmes seulement sans compter sur des forces extérieures.

Dans la délégation sud-coréenne, des responsables religieux étaient présents. Environ vingt-cinq représentants de sept religions étaient représentés (bouddhisme, catholicisme, confucianisme, chondogyo, orthodoxie, protestantisme et bouddhisme won). Les catholiques étaient au nombre de six, cinq prêtres et une religieuse. Le 15 juin, les prêtres ont concélébré une messe à l’église de Changchung, à Pyongyang, à laquelle deux cents catholiques nord-coréens ont participé. Chaque fois que je célèbre une messe dans cette église, je sens que la foi des catholiques n’a pas changé et, chaque fois, je rencontre de nouveaux visages.

Il n’y a pas de prêtre catholique à Pyongyang, mais on trouve quelques pasteurs protestants et des moines bouddhistes qui suivent les ordres du gouvernement. J’ai entendu dire que la Corée du Nord avait demandé une fois à l’Eglise catholique de Chine de former des étudiants nord-coréens à devenir prêtres, mais l’Eglise de Chine a décliné la proposition. Les responsables catholiques chinois ont suggéré à la Corée du Nord de demander l’aide de l’Eglise catholique de Corée du Sud, dont la hiérarchie couvre la Corée du Nord.

Une semaine avant le voyage de la délégation sud-coréenne du 14 au 17 juin, une dizaine de prêtres de huit diocèses sud-coréens étaient venus à Pyongyang. Ils s’attendaient à visiter les lieux où l’Eglise catholique de Corée du Sud avait envoyé en avril dernier des bâches en plastique pour les serres, mais ils n’ont pas été autorisés à sortir de Pyongyang. Nous avons fourni un tiers des bâches en plastique nécessaires pour les fermes nord-coréennes cette année.

Le point culminant du voyage a été la rencontre entre le dirigeant nord-coréen Kim Jong-il et le ministre sud-coréen de l’Unification, Chung Dong-young. Kim Jong-il a exprimé la volonté de reprendre les pourparlers à six (les deux Corée, le Japon, les Etats-Unis, la Chine et la Russie) sur le programme nucléaire militaire nord-coréen dès le mois de juillet, à la condition que les Etats-Unis reconnaissent et respectent le Nord comme un partenaire. Il a également déclaré que le principe d’une péninsule coréenne dénucléarisée était valide et que c’était l’un des enseignements laissés par Kim Il-sung. Nous ne sommes pas sûrs de la sincérité de cette déclaration, mais la rencontre et ces remarques contribuent à faire baisser la tension causée par l’impasse dans laquelle se trouve le dossier nucléaire. (A la fin de l’année 2004, la Corée du Nord a déclaré avoir développé des armes nucléaires afin de se défendre contre la politique américaine, jugée hostile à son égard.)

Ayant été témoin de ces changements en Corée du Nord, je pense que la Corée du Sud a également besoin de changer, notamment en aidant activement les Nord-Coréens qui souffrent de la faim et de la pauvreté. L’Eglise catholique de Corée du Sud est venue en aide à la Corée du Nord parce que des millions de Nord-Coréens souffrent de la pauvreté – et non parce qu’il existe une Eglise et des fidèles catholiques en Corée du Nord. Voilà l’esprit de la Caritas.

J’ai entendu dire que trois millions de Nord-Coréens étaient morts de faim, mais je ne peux pas confirmer ce chiffre. Cette année encore, ils ont encore besoin d’un million de tonnes de nourriture, malgré que les dernières récoltes ont été bonnes. Dans cette situation, il ne serait pas dans l’esprit chrétien de ne pas les aider.

Aujourd’hui, il est temps que les deux Corée se rencontrent et dialoguent, afin de briser le mur de méfiance et de haine qui les sépare. En même temps, nous ne devons pas exercer de pressions trop fortes sur les Nord-Coréens pour qu’ils s’ouvrent au dialogue et nous devons aussi reconnaître que tous les Sud-Coréens ne sont pas enthousiasmes à propos de la réunification.

Il est indéniable que le système dictatorial de la Corée du Nord, la doctrine communiste et l’idéologie du juche vont contre la Parole de Dieu. Mais, se reposant sur l’enseignement de Jésus sur le pardon – “pas sept fois mais soixante-dix sept fois” (Mt 18,22) – et l’amour de ses ennemis, nous devons agir par amour pour ce peuple qui souffre et faire en sorte que ses dirigeants se repentent. Le chemin vers la réunification n’est pas loin, mais il ne peut être atteint qu’avec l’amour de Dieu qui demeure en nous.