Eglises d'Asie

Par “peur du chaos les évêques ont décidé de ne pas approuver la demande de démission de la présidente Gloria Arroyo mais ne cachent pas leurs critiques à son encontre

Publié le 18/03/2010




Face à la crise politique que vivent les Philippines depuis plusieurs semaines et à l’accélération des événements ces derniers jours (1), les soutiens à la présidente Gloria Arroyo se faisant de plus en plus rares, la prise de position des évêques catholiques était très attendue. Elle est intervenue le 10 juillet dernier, les évêques publiant, à l’issue de leur assemblée plénière biannuelle, un document de trois pages intitulé : “Restaurer la confiance : un appel pour les valeurs morales dans la vie politique des Philippines”. Avec ce document, aux termes soigneusement choisis, les évêques “ne demandent pas la démission” de la présidente, gravement affaiblie par des soupçons de fraude électorale et de corruption liés à son entourage, pas plus qu’ils “ne l’encouragent à simplement dédaigner les appels” à la démission lancés par d’autres qu’eux.

Les évêques, dont il est de notoriété publique qu’ils étaient divisés sur l’attitude à adopter face à cette nouvelle crise politique, ont ensuite témoigné que la crainte de voir le chaos s’installer dans la foulée d’une éventuelle démission de la présidente avait été un élément majeur de leur réflexion. Réunis au nombre de 87 (sur les 120 évêques que compte la Conférence épiscopale) durant trois jours, du 9 au 11 juillet, dans le centre catholique Pie XII, à Manille, les évêques ont choisi d’assumer collectivement leur décision et, pour signifier cela, ils se sont présentés tous ensemble lors de la conférence de presse qui a accompagné la publication du document. Une telle démarche n’avait pas eu lieu depuis dix ans et, pour Mgr Fernando Capalla, archevêque de Davao et président de la Conférence, c’était le moyen pour les responsables de l’Eglise d’assumer leur responsabilité collective face au pays.

Les évêques écrivent que “des groupes divers cherchent à profiter de la situation, à manipuler les faits pour parvenir à leurs fins et à créer la confusion dans l’esprit des gens”. Pour cela, ils “projettent des spéculations et les présentent comme des faits avérés, avec pour objectif de se saisir du pouvoir”. Face à cela, ce sont les actions légitimes et elles seules qui sont justes, poursuivent les évêques. “Nous reconnaissons que les appels non violents à la démission (de la présidente), la demande visant à constituer une commission d’enquête et le dépôt d’une mesure en destitution ne vont pas contre l’Evangile écrivent encore les évêques, qui ajoutent que le recours à des procédés extraconstitutionnels n’est pas légitime. Ils invitent cependant la présidente à évaluer en conscience sa position en faisant preuve d’autocritique. “Nous demandons à la présidente de chercher à comprendre jusqu’où elle peut avoir contribué à l’érosion de la gouvernance politique et si ces dommages sont irréversibles. Elle doit prendre les décisions nécessaires pour le bien du pays peut-on lire dans le document.

Selon Mgr Francisco Claver, évêque émérite de Bontoc-Lagawe, “le point central (de la réflexion des évêques), c’était la menace du chaos social”. Face à ce qu’ils percevaient comme étant la polarisation extrême de l’opinion, les évêques ont préféré faire taire leurs divisions et agir dans l’unité. Les évêques ont ainsi commencé à discuter de la situation du pays dès le 6 juillet, lors des journées consacrées à leur retraite spirituelle commune. Le 8 juillet, ils ont confié à Mgr Orlando Quevedo, archevêque de Cotabato et ancien président de la Conférence épiscopale, le soin de rédiger un pré-projet de déclaration. Il était assisté pour cela de Mgr Leonardo Legaspi, de Caceres, de Mgr Luis Tagle, d’Imus, et de Mgr Nereo Odchimar, de Tandag.

Pour Mgr Leonardo Legaspi, le texte produit peut être qualifié d’“exercice de prudence les évêques se sachant attendus par l’opinion publique et les acteurs de la crise en cours. Face aux points encore non pleinement éclaircis concernant les soupçons de fraude électorale ou les actes de corruption, les évêques ont préféré temporiser, explique encore Mgr Francisco Claver. En cas de démission de la présidente, les évêques ont envisagé les différents scénarios possibles : une junte militaire, un gouvernement de transition, l’accès à la présidence de l’actuel vice-président, l’ancien journaliste Noli de Castro. Aucune de ces alternatives n’a paru souhaitable aux responsables de l’Eglise catholique, précise Mgr Claver, qui ajoute que les évêques se sont également interrogés sur les raisons de l’apparition maintenant des soupçons de fraude électorale imputée à Gloria Arroyo. Lors de leurs échanges, des évêques s’interrogeaient sur les personnes qui pouvaient être à l’origine de la sortie de ce scandale et d’autres se demandaient, au-delà des éventuelles intentions manipulatrices, si la présidente avait ou non triché ou tenté de tricher lors des élections présidentielles de 2004.

De plus en plus isolée politiquement mais refusant de démissionner, la présidente Arroyo a remercié les évêques pour leur lettre. Elle a affirmé qu’elle saurait “lire entre les lignes”. Les responsables des forces armées, de leur côté, ont réaffirmé leur neutralité dans cette crise politique.