Eglises d'Asie

Un analyste catholique s’interroge sur l’imputation à des “terroristes islamiques” de la récente attaque du site très contesté d’Ayodhya

Publié le 18/03/2010




Le P. Jimmy Dabhi est jésuite et dirige l’Institut social indien, organe d’études sur la société indienne animé par les jésuites. A la suite de l’attaque menée le 5 juillet dernier par six hommes en armes contre le très contesté temple d’Ayodhya, en Uttar Pradesh, le P. Dabhi s’interroge sur l’utilisation qui peut être faite de cet incident et appelle à la prudence avant d’accuser tel ou tel secteur de la société indienne. Selon lui, certaines personnes, notamment au sein ou autour du parti pro-hindou BJP (Bharatiya Janata Party, Parti du peuple indien), essayent de raviver les querelles intercommunautaires pour en tirer un profit politique.

Le 5 juillet, six hommes armés ont forcé les cordons de sécurité érigés autour du site du temple d’Ayodhya. Les terroristes sont arrivés à cent mètres de la structure religieuse hindoue érigée à la place de la mosquée Babri, détruite en 1992, avant d’être interceptés par les gardes du site. Quatre des six hommes ont été abattus et les deux autres sont morts lorsqu’ils ont déclenché les explosifs qu’ils portaient sur eux. Le site d’Ayodhya est hautement sensible car revendiqué à la fois par les musulmans et les hindous. Selon ces derniers, Ayodhya est le lieu de naissance de Ram, un avatar de la divinité hindoue Vishnu, et le temple hindou qui était érigé là a été détruit par l’empereur musulman Babar, qui lui a substitué une mosquée en 1528. Les premières violences interreligieuses remontent à 1853 et, en 1992, des fanatiques hindous ont pris d’assaut la mosquée Babri (la mosquée de Babar) pour la détruire. Dans les incidents qui s’ensuivirent à travers tout le pays, près de 3 000 personnes ont trouvé la mort, en majorité des musulmans. Depuis, la querelle ne s’est pas refermée. Les militants de la cause hindoue ont érigé sur les ruines de la mosquée une structure temporaire et le site a été placé sous haute surveillance (1).

Dans les heures qui ont suivi l’attaque du 5 juillet, note le P. Jimmy Dabhi, avant même que soient rendues publiques les premières conclusions de l’enquête, les agences gouvernementales et les médias ont qualifié les six assaillants de “terroristes islamiques”. Or, avant d’user de tels qualificatifs, estime le prêtre, les médias devraient “faire preuve de retenue”. Selon lui, il est nécessaire de s’interroger sur les conséquences de l’action terroriste pour découvrir qui a pu en être le promoteur. Le P. Jimmy Dabhi propose ainsi “une autre version” de l’attaque, qui, dès lors, “apparaît plus comme étant un acte de terrorisme hindou”. L’objectif de l’attaque aurait été “de maintenir dans l’actualité la question de la construction du temple (hindou), de raviver un ordre du jour sous-tendu par la haine, de marginaliser les hindous modérés et enfin de donner du grain à moudre aux extrémistes hindous”.

Si le gouvernement, en la personne du Premier ministre Manmohan Singh, un sikh, a “vigoureusement condamné l’attaque terroriste c’est la voix du BJP qui s’est fait entendre le plus fort. Le parti pro-hindou, dont les divisions internes se sont exacerbées ces deux derniers mois, s’est immédiatement saisi de l’incident. Un cadre du parti a qualifié l’opération d’attaque contre les “sentiments hindous” et exigé la démission du ministre fédéral de l’Intérieur et celle de son homologue du gouvernement de l’Uttar Pradesh. Selon le P. Jimmy Dabhi, le BJP cherche comment regagner le pouvoir qu’il a détenu durant six ans et qu’il a perdu à l’occasion des élections législatives de 2004. D’un côté, son président, Lal Kishenchand Advani, cherche à se forger une image d’homme d’Etat responsable. En ce sens, lors d’une récente visite au Pakistan, au début du mois de juin, il a publiquement regretté la destruction de la mosquée Babri, quand bien même il a été accusé d’avoir incité les extrémistes hindous à passer à l’action en 1992. Il a aussi eu des propos louangeurs pour Mohammed Ali Jinnah, le fondateur du Pakistan, qu’il a qualifié de dirigeant “laïque”. A l’intérieur du BJP, l’aile extrémiste du parti ne supporte pas cette nouvelle posture de Lal Kishenchand Advani.

Pour le prêtre jésuite, certains au sein du BJP, dont le fondement idéologique est la supposée identité hindoue de l’Inde, ont réalisé que l’opinion publique est désormais moins sensible qu’auparavant à des arguments de type communautaire ou sectaire. D’autres ne sont pas d’accord avec cette analyse et souhaitent renouer avec un ordre du jour extrémiste. Les relations entre l’Inde et le Pakistan s’étant très nettement améliorées, il n’est plus possible d’accuser Islamabad de fomenter des actes terroristes en Inde, mais il est toujours possible de tenter de réveiller les passions supposées endormies autour du site d’Ayodhya, observe le P. Jimmy Dabhi.