Eglises d'Asie – Inde
Jharkhand : à l’occasion des prochaines élections locales se pose le problème du rôle politique éventuel que pourraient assumer prêtres et religieuses
Publié le 18/03/2010
Pour le laïc John Kujur, président du Catholic Sabha (conseil) de Ranchi, il est souhaitable que l’Eglise catholique autorise ses prêtres et ses religieuses à présenter leur candidature. “Parce qu’ils aideraient la communauté à se développer explique-t-il. S’ils gagnaient, assure John Kujur, “ils sauraient utiliser les fonds de développement à bon escient”. Néanmoins, concède-t-il, “c’est l’évêque qui décide s’ils peuvent se présenter ou non”.
Le cardinal Telesphore Placidus Toppo, archevêque de Ranchi, reconnaît que l’Eglise n’avait encore rien décidé sur la question, mais dit n’être pas favorable à cette idée. “Les prêtres et les religieuses se doivent de se consacrer entièrement à leur ministère. Un point, c’est tout affirme-t-il, précisant que les neuf évêques dont les diocèses couvrent le territoire de l’Etat ont pris soin de débattre de cette question durant quatre jours à la fin du mois de juillet dernier, à Ranchi, capitale de l’Etat (1).
Certains évêques présents à cette rencontre ont cependant affirmé qu’ils pourraient lever les limitations canoniques sur la participation du clergé à l’action politique, une décision motivée par la nécessité de faire face à des situations spéciales liées pour la plupart au degré élevé de corruption et de sous-développement de l’Etat. Selon un de ces évêques, les élections, au niveau local, ne se jouant pas sur des questions d’appartenance politique, le risque de politisation du clergé est donc limité.
Le droit canon, qui s’applique aux communautés ecclésiales de rite latin, stipule qu’ “il est interdit aux prêtres d’assumer une charge dans les affaires publiques qui entraînerait une participation à l’exercice du pouvoir civil”. Le code dit aussi que les prêtres “ne doivent pas avoir de part active dans un parti politique et dans la direction d’un syndicat, à moins que, selon le jugement de l’autorité ecclésiale compétente, la protection des droits de l’Eglise ou la promotion du bien commun l’exige”.
Le cardinal Toppo a souligné que, bien que les évêques fussent libres de permettre ou non à leurs prêtres de présenter leur candidature aux élections, il pensait que “tous les évêques du Jharkhand étaient unis dans les décisions qui concernaient leur Eglise” et qu’“une décision sera prise et applicable par tous”. Le 27 août dernier, évoquant cette question avec des journalistes, le cardinal Toppo s’est montré plus tranché, déclarant : “Non, [les prêtres et les religieuses] ne se présenteront pas devant les électeurs.” Selon lui, la décision a été prise en commun par les évêques dont les diocèses couvrent le territoire de l’Etat et cette prise de position a été motivée par le souci de ne pas faire apparaître le clergé comme facteur de division au sein de la population ainsi que par la nécessité de ne pas détourner les prêtres et les religieuses de “leur vocation”.
L’enregistrement des candidatures a commencé le 26 août et ces élections seront les premières organisées dans l’Etat. L’Etat du Jharkhand a été créé en 2000, par scission de celui du Bihar, précisément pour faciliter la promotion humaine et économique des aborigènes (2). Avant 2000, lorsque le Jharkhand faisait corps avec le Bihar, il faut remonter à 1978 pour les précédentes élections locales. Depuis, et malgré un amendement constitutionnel de 1993, les autorités du Bihar ont toujours réussi à repousser l’organisation de telles élections, craignant qu’elles n’aboutissent à un affaiblissement de leur pouvoir et à un partage des fonds fédéraux de développement. Cette année, une décision de justice a obligé les autorités du Jharkhand à organiser ces élections, qui auront lieu les 26 et 30 septembre, puis les 14, 17 et 21 octobre 2005.
Parmi ceux qui affirment que les prêtres et les religieuses devraient être autorisés à se présenter aux élections, on trouve le P. Sabri Muthu, jésuite et organisateur d’un programme de conscientisation sur l’importance des élections communales. “Prêtres et religieuses sont citoyens indiens et ont le droit d’être candidats. Mais il dépend des responsables ecclésiastiques de l’autoriser ou non a-t-il déclaré. Pour un certain nombre de laïcs, la candidature de prêtres et de religieuses serait bienvenue, car eux seuls semblent à même de ne pas se laisser perdre dans les sables de la corruption les fonds publics pour le développement (3).
De l’autre côté, le P. C.R. Prablu, supérieur du séminaire St Albert, soutient que, si des prêtres ou des religieuses se présentaient aux élections et gagnaient, “ils seraient considérés comme en opposition avec l’équipe ou le parti perdant, ce qui ne serait pas bon pour l’exercice de leur action pastorale”. Prêtres et religieuses “ont d’autres obligations spécifiques assignées par l’Eglise insiste-t-il auprès des journalistes. Une mère de famille catholique, Veronica Tete, est du même avis : “Les prêtres ne sont pas des gens comme nous. Ils sont au-dessus des responsables de la communauté et ne devraient pas se présenter aux élections.” S’agissant des religieuses, elle ajoute : “Dieu les a choisies pour certaines tâches. Si elles se présentaient, elles devraient donner plus de temps à l’administration des villages, loin de leurs tâches spirituelles.”
Du côté des Eglises protestantes, une des plus importantes communautés protestantes du Jharkhand, l’Eglise évangélique luthérienne Gossner (GEL), ne s’oppose pas à la candidature de ses pasteurs aux élections. Mgr Hemant Hansda, modérateur de la GEL, a expliqué que son Eglise voyait le service de la commune pour ses pasteurs “comme un apostolat supplémentaire au service de la population”. Les pasteurs ont toutefois besoin d’une autorisation de leur supérieur pour se présenter aux élections locales et parlementaires, a-t-il précisé, ajoutant qu’il estimait que les prêtres et les religieuses catholiques, s’ils avaient la permission de se présenter devant les électeurs, seraient de bons agents de lutte contre la corruption et d’aide au développement des villages. Mgr Hemant Hansda a toutefois précisé que son clergé calquerait son attitude sur celle du clergé catholique, et ne se présenterait donc pas devant les électeurs. Enfin, au sein de l’Eglise (protestante) du Nord de l’Inde, Mgr Zechariah James Terom, évêque de Chotanagpur, a déclaré que son Eglise agirait, sur ce dossier, comme l’Eglise catholique.