Eglises d'Asie

Le P. Nguyên Van Ly s’exprime à nouveau : “La liberté religieuse commence par la liberté d’expression.”

Publié le 18/03/2010




Les fêtes du 15 août ont attiré auprès de Notre-Dame de La Vang des centaines de milliers de fidèles venus de tout le Vietnam, une foule encore plus que les années précédentes. Le P. Thaddée Nguyên Van Ly, qui, depuis sa libération de camp de détention au début de février de cette année, purge une peine de résidence surveillée à l’archevêché de Huê, a proposé une interprétation personnelle de cette affluence de plus en plus importante au principal sanctuaire marial du Vietnam (1).

Interrogé sur les raisons pour lesquelles l’Etat vietnamien permettait l’organisation annuelle de fêtes religieuses d’une telle ampleur, le prêtre a répondu qu’aux yeux du gouvernement, l’affluence des fidèles et de la hiérarchie catholique à La Vang était une très bonne chose. Elle est, pour l’opinion internationale, la preuve de l’existence de la liberté religieuse au Vietnam et du soutien apporté au gouvernement par l’Eglise catholique. Selon l’ancien pensionnaire des camps de détention du Nord-Vietnam, le gouvernement utilise avec habileté le capital de confiance des religions traditionnelles du Vietnam. C’est pourquoi l’Etat n’impose plus de limites à de telles activités, à condition, toutefois, que la religion en question manifeste une certaine soumission.

Cependant, il existe un certain nombre de droits fondamentaux que les autorités se gardent bien d’ac-corder aux religions. Le plus fondamental d’entre eux est certainement la liberté d’expression. Aucune des grandes religions ne peut bénéficier d’un organe de presse propre et indépendant. Elles n’ont pas non plus à leur disposition de moyens de communications comme une station de radio, une chaîne de télévision ou du moins une ou plusieurs heures de télévision par semaine. Si un membre de la hiérarchie ou un ecclésiastique quelconque désire publier un texte, y compris sur un sujet entièrement religieux comme par exemple un commentaire d’évangile, il sera obligé de s’exprimer dans les colonnes de la presse officielle, créée et contrôlée par le gouvernement. L’élargissement des activités religieuses n’est donc pas sans arrière-pensées de la part des autorités. Malgré une ouverture certaine, il reste, estime le P. Ly, que la formation, la nomination, la répartition du personnel d’Eglise sont gardées sous le contrôle sévère de l’administration gouvernementale. Autant de raisons qui donnent à penser au P. Ly et à ses amis que la foule rassemblée à La Vang constitue en quelque sorte la face visible, donnée à voir, de la politique gouvernementale. Même si c’est l’Eglise qui organise cet événement, seul l’Etat crée les conditions de son existence et l’utilise pour améliorer son image à l’intérieur comme à l’extérieur.

Cette politique d’ouverture du gouvernement invite les défenseurs de la liberté religieuse et de la démocratie au Vietnam à donner une orientation nouvelle à leur stratégie. La liberté d’expression devrait être aujourd’hui leur revendication prioritaire. Il s’agit là en effet du fondement des autres libertés. Ce droit à l’expression implique que chaque religion possède un organe de communication indépendant, un journal, des heures affectées pour elle sur les chaînes de télévision nationales, autant de moyens la rendant capable d’orienter l’opinion publique. Sans eux, il n’existera pas encore de vraie liberté religieuse.

Le P. Thaddée Nguyên Van Ly, qui, avant de terminer son interview, a marqué sa solidarité avec l’Eglise bouddhiste hoa hao et l’Eglise bouddhiste unifiée, mène depuis longtemps un combat pour la liberté religieuse dans son pays. Il a passé dix ans en prison, de 1977 à 1978 puis de 1983 à 1992 pour “opposition à la révolution”. Plus tard, à la fin de l’année 2000, il a lancé une campagne pour la liberté religieuse. Commencée au mois de novembre 2000 (2), dans le cadre de revendications locales – des terrains paroissiaux confisqués par l’Etat -, la campagne du P. Ly avait vite pris une dimension interreligieuse, nationale et même internationale. Elle a été tout de suite marquée par le ton sans concession adopté par le prêtre et une volonté de non-compromission avec le régime, que symbolisait le calicot qu’il avait accroché au clocher de son église où était inscrit : “La liberté religieuse ou la mort !” Il diffusa sur Internet de nombreuses déclarations où il revendiquait liberté et totale indépendance pour les différentes religions du Vietnam, des procès-verbaux où il détaillait les violations concrètes de la liberté religieuse commises par les autorités locales et nationales. A la demande de la Commission sur les libertés religieuses dans le monde du Sénat américain, il fit parvenir à celle-ci deux rapports sur la liberté religieuse au Vietnam. Le 27 février 2001, le P. Ly était assigné à résidence dans la paroisse de An Truyên. Le 10 mai, les autorités civiles lui interdisaient de dire la messe. Le 17 mai 2001, six cents agents de la Sûreté vinrent arrêter le prêtre dans son presbytère alors qu’il se préparait à célébrer la messe. Le procès n’eut lieu que cinq mois plus tard en octobre 2001, à Huê. Il fut condamné à quinze ans de prison ferme “pour n’avoir pas accompli sa peine de mise en résidence surveillée et avoir saboté la politique de l’unité nationale Il fut ensuite envoyé au Nord-Vietnam pour y purger sa peine, une peine réduite à dix ans en 2003 puis à cinq ans en juin 2004. Il fut finalement libéré au début du mois de février 2005 (3).