Eglises d'Asie

L’ECOLE HESITE SUR LES DIRECTIONS A PRENDRE

Publié le 18/03/2010




Cette année encore, le printemps ne s’est pas contenté de faire fleurir les cerisiers, il a aussi relancé le débat scolaire. La cause immédiate de cette polémique est l’approbation officielle donnée aux manuels scolaires qui, en principe, seront utilisés dans les collèges publics (cycle moyen : 13-15 ans) à la rentrée scolaire d’avril 2006. Cette année encore, les manuels concernant l’histoire récente (1905-1945) des relations du Japon avec la Chine et la Corée font l’objet d’un débat d’autant plus passionné que, cette année, sera commémoré le soixantième anniversaire de la fin de la guerre du Pacifique. Nous y reviendrons plus loin en détail. Commençons par donner un coup d’oil sur les autres manuels : mathématiques, sciences, japonais, anglais. ils ont été sensiblement modifiés. Aussitôt, l’inquiétude s’est manifestée au sein du corps enseignant.

Regard en arrière

Un regard sur ces trois dernières années est nécessaire. Dans la ligne du Directoire des études, entré en vigueur en 2002, programmes et manuels ont été allégés d’environ un tiers. C’était beaucoup, trop peut-être. Au contraire, les manuels qui viennent d’être approuvés se sont alourdis en moyenne de vingt pages. Surprise et inquiétude des enseignants qui voient là un recul dans la marche vers un enseignement plus aéré. Effectivement, ces manuels remettent en cause l’orientation prise par le ministère en 2002. On connaît le climat pendant les cours : absence de motivation, bourrage de crâne, absentéisme, brimades, violences, etc. Un changement s’imposait. Le Directoire de 2002 en donnait les grandes lignes. Il n’était pas improvisé. Depuis longtemps, le ministère souhaitait que l’atmosphère des classes soit assainie. Il a fallu plus de vingt ans d’expérimentations et de réflexions pour que le tournant soit pris.

Comment se présente cet enseignement réformé plus “aéré” que le précédent. Trois innovations majeures le caractérisent.

Semaine scolaire ramenée à cinq jours

La plus remarquable de ces innovations est l’introduction de la semaine scolaire de cinq jours. Depuis 2002, le samedi, l’école est donc fermée. Exceptionnellement, affirment les textes, elle peut être ouverte pour permettre à certains groupes d’élèves de se préparer à des rencontres sportives ou culturelles. Un professeur n’a donc pas le droit de faire la classe à des élèves qui désireraient combler leur retard ou avancer plus vite. La semaine de cinq jours a évidemment entraîné une diminution du nombre d’heures de classe. Pour le cycle obligatoire (six ans de classes primaires et trois ans de cours moyen), le nombre d’heures est passé de 6 964 heures à 6 475, soit une diminution de 489 heures. On devine l’émoi des maîtres au début, tenus à enseigner le même programme avec un horaire réduit.

Réduction des programmes

La deuxième innovation découle logiquement de la première : allègement des programmes grâce à la suppression des matières jugées inutiles. Les éditeurs ont dû choisir avec soin ce qui était fondamental. Ainsi élagués, les manuels ont été réduits d’un tiers. Approuvés par le ministère, ces manuels sont en service depuis trois ans. La majorité des enseignants se montrent satisfaits de cette réforme.

Travail libre

La troisième innovation est, sans conteste, la plus originale. Elle consiste à consacrer une heure par semaine à l’étude d’un sujet libre, hors manuel. Le choix en est laissé au maître et à ses élèves. Des propositions sont faites et débattues ensemble. L’une est adaptée comme sujet d’études pour le trimestre ou l’année. Le travail se fait en groupes. Il est jalonné par des exposés intermédiaires et conclu par un rapport final. Notons que cette méthode, qui fait appel à l’initiative, à la recherche, au dialogue et au jugement, est, en elle-même, plus formatrice que les cours ordinaires. Les thèmes les plus habituellement choisis ont un rapport avec l’histoire et la culture locale, l’environnement ou l’actualité. La lecture des journaux est souvent incluse. Ce genre de travail a désorienté, au départ, les enseignants les plus âgés, habitués à l’utilisation exclusive du manuel. Par contre, les plus jeunes l’ont adopté avec ferveur. Quant aux élèves consultés, ils disent préférer cela aux cours classiques qui les laissaient inactifs.

On voit que le but de cet enseignement aéré n’est pas simplement de rendre les études moins harassantes et les enfants moins tendus. Il peut se définir en trois mots : éduquer au travail et au jugement personnels afin de “stimuler l’énergie à vivre”. Cette dernière expression est apparue à l’époque où la fréquence des suicides d’adolescents était devenue alarmante.

Tenter un bilan

Est-il possible de dresser un bilan des résultats obtenus ? Nombreux sont ceux qui pensent qu’il est prématuré de le tenter après trois petites années de pratique. La sagesse demande un temps d’observation plus long. En fait, dès le début, du côté de certains parents, des critiques ont jailli au sujet des programmes, jugés trop allégés. Mme Toyama, alors ministre de l’Education, a répondu que ces programmes n’imposaient qu’un minimum en tenant compte du niveau et de la demande des élèves. Mais déjà, les éditeurs rajoutaient des compléments. Les maîtres restaient libres de les enseigner, mais les parents se montraient mécontents lorsqu’ils ne le faisaient pas.

Enquêtes et réactions diverses

Plusieurs enquêtes ont essayé de mesurer le niveau de satisfaction des parents. La plus fiable a été faite l’automne dernier par le Comité national de l’Association des parents d’élèves : 5 000 parents ont été sondés au sujet de la semaine de cinq jours et des changements qu’elle a entraînés. Au sujet de cette réforme, 39 % se disent en désaccord alors que 30,3 % approuvent. Quels sont les motifs de ce désaccord ? D’abord, la baisse du niveau intellectuel, ensuite l’importance du temps libre laissé aux enfants, enfin la suppression de certaines activités scolaires.

L’enquête ne s’est pas intéressée aux motifs des parents qui approuvent. Mais d’autres sources nous éclairent. La formation au jugement et à la réflexion personnelle est mise en avant. L’heure de travail libre est louée. Il serait intéressant de faire une enquête sociologique pour discerner les milieux, les causes économiques et culturelles qui déterminent l’accord ou le désaccord. Ajoutons qu’à un degré divers, tous les parents sont préoccupés de ce qu’il est convenu de nommer “la baisse du niveau intellectuel” des collèges qui se répercute jusqu’à l’université.

Qu’en pense le ministre actuel de l’Education, Nakayama Noriaki ? Certaines déclarations qu’il a laissé échapper au cours de voyages d’inspection devaient surprendre. A Miyasaki, au mois de janvier, il a dit aux maîtres qu’il fallait accorder plus d’importance à l’enseignement des matières minimum de base ; que certaines matières facultatives devraient intégrer le programme obligatoire ; que le temps consacré à l’étude libre devrait être réduit ; que si les maîtres manquaient de temps pour enseigner ce curriculum allongé, ils pouvaient mordre sur le samedi et les vacances. Quelques semaines plus tard, dans la banlieue de Tôkyô, il revenait à la charge, suggérant d’attribuer plus de temps à l’enseignement de la. musique. Stupeur des enseignants à l’écoute de directives faisant si aisément fi de l’esprit du Directoire de 2002. Les commentaires allaient bon train et la presse s’en mêlait. Le ministre s’est justifié : ses paroles n’étaient que l’écho des voix entendues “à la base”. Sans plus attendre, il a demandé au Comité national en charge de l’éducation de s’atteler à la révision du Directoire.

Que s’est-il passé ? Deux enquêtes publiées au mois de décembre 2004 sont sans doute à l’origine de ce virage.

La première, l’enquête P.I.S.A., sur le niveau intellectuel, faite sous l’égide de l’OCDE, dans 41 pays, relègue en 14ème position le Japon, qui rétrograde ainsi de six places. Les collégiens se montrent de plus en plus faibles en lecture et en explication de texte. La Finlande, Singapour et la Corée viennent en tête du classement. Pourtant, entre 7 et 14 ans, l’élève japonais bénéficie de 327 heures d’enseignement de plus que l’élève finlandais. L’enquête indique que les maîtres finlandais sont plus qualifiés que leurs homologues japonais et doivent suivre des recyclages, très peu prisés au Japon.

Signalons que les parents sont les premiers à déplorer la faiblesse du niveau du corps enseignant. Elle n’échappe pas non plus au ministre qui a demandé au Comité national d’étudier la question. Le projet en gestion stipule que les candidats à l’enseignement devront être, au minimum, titulaire d’une maîtrise, comme aux Etats-Unis et en Finlande. Cela nécessitera d’étudier à l’université, non plus quatre, mais six ans. La réforme devrait être effective en 2007. Elle ne se fera pas sans grincement de dents, ni un effort budgétaire.

La deuxième enquête : I.E.A. (TIMSS). Elle est moins alarmante, mais elle indique cependant un recul des élèves de 4ème année du primaire et de la 2ème année de collège pour les sciences naturelles et le calcul. La Corée et Hongkong viennent en tête. Les défenseurs du Directoire de 2002 font remarquer que la baisse du niveau intellectuel a commencé plusieurs années avant l’adoption du Directoire incriminé. Les causes de la baisse seraient donc plus profondes, ce que nous pensons aussi. Quoi qu’il en soit, le temps où les élèves japonais caracolaient en tête des classements semble bien révolu, et la fierté nationale en souffre.

C’est dans cette ambiance portée à la morosité qu’ont paru, fin avril, les résultats d’une autre enquête, menée à l’échelle du pays. L’objet de cette enquête nationale était de comparer le niveau de 2004 à celui de 2002. Elle a été exécutée par le ministère lui-même, en janvier-février 2004 : 450 000 élèves ont été testés – 210 000 élèves fréquentant 15 % des écoles primaires et 240 000 fréquentant 23 % des collèges. Les questions posées étaient, en gros, les mêmes qu’en 2002. Au nombre de 1939, les questions posées portaient sur la maîtrise du japonais, de l’arithmétique, de la sociologie, des sciences et de l’anglais pour les collèges. Quels ont été les résultats ? Il serait trop fastidieux de suivre les méandres des chiffres et des graphiques. Contentons-nous des chiffres globaux. Par rapport à 2002, les réponses justes sont en augmentation de 43 % et les fausses en diminution de 17 % ; 39 % sont sans changement. La faiblesse sur le plan de l’écriture et de la rédaction est confirmée, de même celle des collégiens en calcul. D’une manière générale, les notes obtenues en 2004 sont meilleures que celles de 2002. Autre donnée intéressante : à la question “Aimez-vous étudier ? les réponses affirmatives sont en hausse. A la question “Etudiez-vous individuellement ? les “pas du tout” sont en baisse.

Mis en porte à faux, le ministre Nakayama a déclaré laconi-quement que la tendance à la baisse semblait être quelque peu enrayée, que l’enseignement systématique des matières fondamentales commençait à porter ses fruits, mais que la révision du Directoire actuel restait à l’ordre du jour.

Les analystes se montrent très prudents dans leurs commen-taires. Les résultats de cette enquête sont-ils durables ou éphémères ? A quoi, et à qui sont-ils dus ? Sont-ils liés au régime de la semaine scolaire des cinq jours ?

Une enquête en appelant une autre, le 19 juin, le ministère a publié les résultats d’un sondage, portant sur le travail libre, effectué auprès des parents et des enseignants. Au niveau du collège, avec des nuances, 62,9 % des parents se disent favorables. Par contre, 57 % des maîtres se disent défavorables. Les directeurs d’école, eux, se montrent massivement favorables, à 80,9 %.

Le Comité national chargé de faire des propositions vient de produire un rapport intermédiaire. On n’est pas fâché de voir qu’il est moins pressé que le ministre d’amorcer un retour en arrière. Surtout, il porte un jugement positif sur le travail libre qui, dit-il, devrait être amélioré plutôt que sacrifié en faveur des cours ordinaires.

Il est certain que, même si la pratique de la semaine de cinq jours demande des réajustements, pour personne, il n’est question de faire, tout bonnement, un retour au système ancien, avec ses programmes vieillis et le bourrage de crâne qu’ils entraînaient. Pourquoi faudrait-il qu’un élève de collège connaisse les principes qui régissent la pluie et le beau temps, la révolution de la lune et des astres, l’évolution de l’espèce humaine avec l’homme de Neandertal ou de Pékin, l’hérédité, avec Mendel et ses lois, la reproduction des plantes asexuées, etc. Selon quels critères choisir parmi tout ce matériau ?

Que se passera-t-il à la rentrée d’avril 2006 ? La semaine de cinq jours sera-t-elle aménagée, et si oui, comment ? Dans la forêt des données fournies pas toutes ces enquêtes, le ministre pourra-t-il tracer un chemin fiable ?

Un cycle secondaire unique

Un phénomène nouveau apparaît dans le paysage scolaire, qui aura une importance certaine sur le curriculum des études. Il s’agit de la naissance et la croissance rapide d’un cycle secondaire unique et continu. Il existait déjà dans le secteur privé, il s’étend maintenant au secteur de l’enseignement public. On sait que l’enseignement obligatoire dure neuf ans : six ans de primaire et trois ans de collège. Or, en fait, plus de 99 % des élèves continuent leurs études dans un lycée pendant encore trois ans. D’autre part, avec la chute de la natalité et le déplacement de la population vers les banlieues des villes, nombreuses sont les écoles primaires et les collèges qui se vident ou même ferment leurs portes ; d’autres ouvrent en banlieue. C’est ainsi que s’organisent de nouveaux établissements comprenant un collège et un lycée. Depuis 1999, les comités régionaux pour l’éducation encouragent leur mise en place. Plusieurs modalités pratiques sont possibles, mais le principe est le même. A l’âge de 13 ans, l’enfant s’engage dans une filière qui le prend en charge jusqu’à 18 ans. Il est évident que le curriculum des études correspondant à l’ancien système doit être adapté au cycle continu. Les avantages sont faciles à imaginer : meilleure intégration des programmes, gain de temps, meilleures orientations des élèves. Ces établissements se multiplient rapidement, en six ans, ils sont passés de quatre à cent cinquante-deux, ce qui prouve combien cette innovation correspond à un besoin réel.

Interrogation

Comment conclure cette partie consacrée aux prochains manuels ?

En 2002, grâce au nouveau directoire, tout le monde pensait que l’enseignement s’était enfin engagé d’une manière irréversible dans la voie d’une réforme bénéfique aux enfants ; tout le monde en espérait de bons résultats à long terme. Or, à peine trois ans se sont-ils passés que cette réforme est gravement remise en cause. Les raisons n’en sont pas claires. Serait-ce parce que les enfants sont moins bien formés et moins épanouis qu’avant ? Serait-ce parce qu’ils ont acquis moins de connaissances que leurs camarades coréens ou finlandais ? A quelle aune faut-il mesurer la qualité d’une éducation ? On pouvait admettre des corrections mineures, mais ce qui se profile bien comme le retour à l’ancien système, pourtant jugé sévèrement il y a seulement trois ans, est difficilement admissible. Est-ce le bien de l’enfant qui est au cour du procès ?

Les manuels d’histoire

Abordons maintenant le second problème soulevé par les nouveaux manuels. Sont en cause les manuels traitant de l’histoire récente des relations du Japon avec ses voisins, principalement la Corée, la Chine et Taiwan, sans oublier la Russie et Sakhaline. On se rappelle les débats provoqués en 2001 par la publication des manuels actuels (1). On avait pu alors parler de “la guerre des manuels”. Les relations avec la Corée s’étaient tendues au point de mettre en péril la Coupe du monde de football. Le conflit a repris de plus belle au début du mois d’avril dernier lorsque le ministère eut autorisé l’utilisation des nouveaux manuels. D’entrée, précisons que ces manuels, au nombre de huit, ne sont ni rédigés ni édités par l’Etat. Ils sont élaborés sous la responsabilité de maisons d’édition privées. Le ministère se réserve cependant un droit de regard. Il vérifie s’il n’y a pas d’inexactitudes historiques. Il demande des corrections, examine de nouveau et finalement autorise la parution et l’utilisation du manuel. Il n’impose aucun choix aux écoles. La liberté d’expression limite donc le droit d’intervenir sur le contenu. Ce qui n’est pas le cas en Corée et en Chine, où l’Etat surveille de près le contenu des manuels.

Ceci dit, le gouvernement ne reste pas indifférent à la présentation et à l’interprétation des événements qui jalonnent l’histoire de la première moitié du XXe siècle. Il existe bien une version sinon officielle, du moins orthodoxe et ordinaire des évènements, qui est en accord avec l’idéologie et la politique du Parti libéral-démocrate au pouvoir. L’image du Japon est soigneusement polie, et les rédacteurs sont tenus à ne pas la ternir. La Chine et la Corée reprochent périodiquement aux manuels d’utiliser un vocabulaire lénifiant, de dissimuler certains évènements, de les arranger pour présenter le Japon sous un jour favorable. Il y a quatre ans, le manuel édité par Fusôsha avait été à l’origine de la polémique. Cette année encore, c’est ce manuel considéré comme représentant la position officielle qui a relancé le débat. Il a pris une nouvelle ampleur.

Un siège permanent au Conseil de sécurité

Il y a soixante ans, deux bombes atomiques mettaient fin à la guerre du Pacifique. Défait, traumatisé, le Japon se retirait des pays qu’il avait envahis. La Mandchourie, la Chine, la Corée, entre autres, recouvraient leur indépendance. Depuis lors, le paysage asiatique a totalement changé. C’est dans ce nouveau contexte que Koizumi Junichiro, le 21 septembre 2004, devant l’Assemblée générale des Nations Unies, présentait la candidature de son pays à un siège permanent au Conseil de sécurité, en compagnie de l’Inde, de l’Allemagne et du Brésil. Compte tenu, dit-il, des services rendus par le Japon à la communauté internationale, il était devenu digne d’obtenir ce siège.

Cette démarche soulevait des remous que les nouveaux manuels allaient amplifier. “L’opposition est née d’un groupe de sinologues d’origine asiatique” travaillant aux Etats-Unis, spécialisés dans l’histoire contemporaine. Elle s’étendit rapidement jusqu’à la Chine et au Japon. L’argument est clair : le Japon ne remplit pas les conditions nécessaires à sa candidature. En effet, il ne s’est pas encore réconcilié avec les pays victimes de ses agressions. Il doit d’abord présenter ses excuses. Le 21 mars, Kofi Annan déclarait imprudemment que, si le Conseil devait être élargi, le Japon obtiendrait un siège. Dès le lendemain, la Chine réagissait. Le Jimmin Nippô, journal du Parti communiste, dans un article, encourageait la participation à la campagne de signatures lancée par les sinologues américains contre la candidature du Japon à un siège permanent au Conseil de sécurité. Sur un site Internet, mis à la disposition du public, en quelques semaines, les signatures montèrent à. 40 millions. On croit rêver. Le gouvernement lui-même se dira surpris. E-mail et téléphones portables aidant, les étudiants n’ont pas été les derniers à propager l’incendie. Leurs motivations ne sont pas toujours claires. Le rôle de la police non plus. On connaît les excès commis à Pékin, Shanghai et autres grandes villes du Sud. Demandes et refus d’excuses sont échangés sur un ton parfois peu diplomatique. Mis en demeure de s’excuser et de compenser les dégâts commis par les manifestants, les Chinois rétorquent que c’est d’abord au Japon de s’excuser pour les atrocités perpétrées pendant la guerre. Ensuite, les manuels d’histoire devront cesser de dissimuler et d’arranger les événements à leur guise. Des questions précises sont formulées. Pourquoi le Japon a-t-il attaqué et envahi la Chine ? Pourquoi le Mandchoukouo ? Pourquoi parler pudiquement de l’entrée de l’armée japonaise à Nankin, et non du sac et du massacre de Nankin (300 000 victimes) ? Pourquoi ce mépris pour les Chinois, qui est à l’origine de la méfiance des Chinois envers les Japonais. et des manifestations d’avril ? Pourquoi reconnaître l’indépendance de Taiwan ? Jamais la Chine n’avait été aussi virulente. Pourtant les relations économiques restent fructueuses entre les deux pays !

Une autre pomme de discorde existe. Une nappe de gaz souterraine s’étend sous l’île de Senkaku, à la limite des eaux territoriales. Hélas !, cette nappe ignore les frontières, elle s’étend de part et d’autre. Les deux pays étaient convenus d’exploiter ce gaz en commun. La Chine parait l’avoir oublié. Un hélicoptère japonais trop curieux prenait des photos montrant que les travaux de forages, menés par les seuls Chinois étaient déjà fort avancés. Pour le coup, le ton monta encore d’un degré.

Takeshima ? Dogtô ?

Entre le Japon et la Corée, le conflit paraît plus rude. Il avait déjà surgi, voilà quarante ans, lors de la normalisation des relations nippo-corréennes. Puis il fut mis en sommeil. La parution des manuels devait le réveiller. Inopportunément, la préfecture de Shimane (ouest du Japon), à laquelle l’îlot de Takashima serait rattaché, venait à peine de décréter une célébration annuelle de la “journée de Takeshima”. Saura-t-on jamais qui se cache derrière cette initiative ? Takeshima est un îlot qui tiendrait facilement sur la place de la Concorde, à Paris. Apparemment, il n’est composé que de deux blocs rocheux, mais, précise la Corée, son socle sous-marin, de très faible profondeur, serait beaucoup plus étendu que la partie qui émerge. Son seul mérite actuel est d’offrir un vaste champ de pêche à son possesseur. Mais, ici aussi, une nappe souterraine de gaz attise les convoitises. Cet îlot est nommé Takeshima (‘l’île aux bambous’ par les Japonais) et Dogtô (‘l’île aux poissons’) par les Coréens.

Pour ces derniers, il ne fait aucun doute, historiquement, que cet îlot leur appartient. Leurs manuels l’enseignent systématiquement aux enfants dès l’école primaire. Les manuels japonais, du moins ceux qui osent aborder la question, sont beaucoup moins nets. Photos et textes sont parfois contradictoires. Le manuel de Fusôsha, lui, est très net. Point de mire à la fois du ministère de l’Education et du gouvernement coréen, à la demande réitérée du ministère. Il déclare sans ambages que l’îlot est occupé illégalement par la Corée. Celle-ci répond sur le même ton qu’elle n’a fait que récupérer, en 1945, un territoire coréen occupé par le Japon colonisateur. Dialogue de sourds, mais, disent certains observateurs, la Corée est prête à tout pour garder cet îlot comme, il y a peu, la Royal Navy pour les îles Malouines.

Islamabad

A Islamabad, en avril dernier, la rencontre de Machimura Nobutaka, ministre des Affaires étrangères, et de son homologue coréen, Ban Kimmun, permit aux deux parties d’exprimer clairement leurs positions respectives. Vinrent en premier lieu ce qu’on appelle “les deux arêtes fichées dans la gorge” des relations actuelles : Takeshima et la nouvelle mouture des manuels scolaires d’histoire. Les deux ministres ne purent que prendre acte de leurs désaccords. Afin de parvenir à une perception commune de l’histoire, puis à une rédaction de manuels utilisables dans les deux pays, ils jugent nécessaire que le comité mixte d’historiens reprenne rapidement ses recherches. La participation de spécialistes chinois est envisagée.

Une question cependant est posée par des spécialistes. Une vision commune de l’histoire est-elle possible ? L’occupant et l’occupé, le maître et l’esclave, le bourreau et sa victime, peuvent-ils porter le même jugement sur les mêmes événements ? Un manuel ne devrait-il pas plutôt se contenter de présenter sobrement les points de vue différents, laissant à l’élève la liberté de juger du bien-fondé des positions de l’une et de l’autre partie. Question difficile. Malgré tout, une vraie réconciliation des deux pays, soixante ans après la fin de la guerre, reste à l’ordre du jour.

Il n’est pas question, non plus, de toucher au programme d’activités récréatives et culturelles élaboré à l’occasion de l’année de l’amitié nippo-coréenne. Le Japon s’engage à continuer ses efforts dans trois directions : rechercher les restes des soldats d’origine coréenne, victimes de la guerre, pour les remettre à la Corée ; prendre en charge, médicalement, les victimes coréennes irradiées des deux bombes atomiques ; venir en aide aux Coréens abandonnés à leur sort à Sakhaline à la fin de la guerre (30 000). Une question épineuse est restée de nouveau dans l’ombre : celle des Coréennes employées par l’armée pour assurer le “repos du guerrier Afin de résoudre progressivement ces questions pendantes, la décision a été prise de poursuivre la “diplomatie de la navette” (deux rencontres annuelles des ministres des Affaires étrangères). Cette bonne volonté évidente est de bon augure pour l’avenir.

Bandoung

D’Islamabad, la scène tourne et le rideau se lève sur la Conférence afro-asiatique tenue à Bandoung fin avril 2005. La Chine est là, qui, de plus en plus, s’affiche comme le porte-parole des pays d’Asie en voie de développement. Elle ne manifeste aucun remords au sujet des violentes manifestations anti-japonaises du début du mois. Elle en rejette plutôt la responsabilité sur le nationalisme japonais incarné par Koizumi. Celui-ci n’a pas cessé de ternir son image en maintenant sa décision de faire une visite de pèlerinage officielle au temple shintô de Yasukuni pour marquer le soixantième anniversaire de la fin de la guerre. Nous n’entrerons pas dans le détail de cette affaire qui empoisonne, depuis 1978, les relations Japon-Chine-Corée. Elle pèse lourd sur la question de la vision de l’histoire et de la rédaction des manuels scolaires. Les déclarations du Premier ministre japonais sont attendues. Le Japon, dira-t-il en substance, regrette profondément sa conduite pendant la guerre et présente ses sincères excuses aux personnes qui en ont souffert. Ces paroles ont été appréciées. Le président coréen les louera, et ajoutera “que dorénavant de nouvelles excuses sont inutiles”. Déclaration plutôt énigmatique. Le ministre chinois sera plus explicite : “des actes concrets” devront suivre et confirmer ces paroles. Sans doute fait-il allusion aux excuses présentées en 1992 par le Premier ministre de l’époque, Murayama, et qui n’ont jamais été suivies d’effets. On en est là. Les visites de Koizumi à Séoul et en Chine devraient confirmer cette évolution si, dans ce nouveau climat, le groupe de spécialistes chargés d’étudier l’histoire parvenait rapidement à aplanir les obstacles persistants, alors un grand pas en avant aura été fait. Certaines vanités nationales devront faire place au respect, à la compréhension et au pardon réciproque. Alors seulement, de nouveaux manuels pourront être élaborés et une saine éducation au patriotisme envisagée.

La question du patriotisme ne peut être éludée. Un journaliste chinois déclarait dernièrement à Shimbun que, dans son pays, l’éducation au patriotisme se faisait grâce à l’étude de la résistance à l’impérialisme japonais. Il est probable qu’il en va de même en Corée.

Au Japon, on essaye de faire une distinction entre l’ancien concept de “patriotisme”, l’amour légitime pour son pays, son histoire et sa culture. Un regain de nationalisme est cependant perceptible actuellement. Dernièrement, et pour la première fois, 52 % des personnes sondées se disaient opposées à la visite du Premier ministre au temple shintô de Yasukuni, où sont vénérées les âmes des soldats morts pour la patrie, y compris, depuis 1978, les grands criminels de guerre, Tôjô Hideki en tête. Mais s’agit-il là d’une opposition fortement motivée ou d’une simple opportunité passagère ? L’aile droite du Parti libéral-démocrate s’oppose formellement à l’ajournement de ce genre de visites, devenues régulières avec Koizumi. Ce dernier a maintenu sa décision contre vent et marée, disant que l’étranger n’avait pas à s’immiscer dans les problèmes internes du pays. L’opposition dit qu’il a tressé lui-même la corde pour se faire pendre.

L’envoi facile d’un corps expéditionnaire en Irak, au côté des Américains, est un fait acquis bien qu’il soit difficilement conciliable avec l’article 9 de la Constitution. Autre exemple : le 29 avril, le pays fêtait l’anniversaire de la naissance de l’empereur Shôwa, qui a régné de 1927 à 1989. Depuis sa mort, ce jour de congé n’a pas été supprimé, il est devenu “journée de la verdure”. Shôwa était un fervent botaniste. cette journée était une bonne occasion pour sensibiliser la population aux problèmes de l’environnement. Cette année, il a été décidé de la rebaptiser “Journée Shôwa”. Honorer l’empereur n’est, certes, pas condamnable, mais quel empereur s’agit-il d’honorer ? Le Shôwa pacifique et conciliant d’après la guerre ? Le Shôwa militariste et impérialiste de Nankin et de Pearl Harbor ? La question est posée, est-elle suffisamment débattue ? La révision en cours de l’article 9 de la Constitution qui proclame que le Japon renonce définitivement au droit de faire la guerre et d’entretenir des forces armées, puis, dans la suite, la révision de la loi fondamentale sur l’éducation s’inscrivent sur la même ligne révisionniste. En attendant, à l’école, maîtres et élèves sont instamment priés de chanter le vieil hymne national et de hisser le drapeau du Soleil levant aux jours prévus. Les maîtres récalcitrants mettent leur avancement en péril. Ces dérives qui sentent le nationalisme sont-elles passagères, ou faut-il les inscrire dans une perspective à long terme ?

On voit que les manuels d’histoire soulèvent un problème politique qui dépasse largement le domaine de l’enseignement au collège. Sont en jeu non seulement l’interprétation impartiale du passé, mais aussi le climat futur des relations de pays qui joueront un rôle de plus en plus important sur la scène de l’Asie orientale et du monde.

Conclusion

On l’a dit, l’école bouge. On la pensait engagée définitivement sur la voie du progrès, et voilà que cette marche en avant est contestée. L’option avait été prise d’éduquer des hommes peut-être moins “savants”, mais mieux formés à la réflexion et au jugement ; peut-être moins “concurrents” mais plus aptes à la collaboration, plus conscients, plus libérés. Le retour à des programmes plus chargés et à des manuels plus volumineux signifie le retour à la primauté des connaissances, du bachotage et de la rivalité. Heureusement, ce retour n’est pas encore accompli, il est lui-même ouvertement contesté par les plus clairvoyants. Souhaitons qu’ils réussissent. Reconnaissons donc que l’école entre dans une aire de louvoiements.

Sans vouloir parler de la chute de la population écolière, loin d’être enrayée, de la nouvelle politique budgétaire, qui risque de compromettre encore la qualité de l’éducation, de l’effarante baisse de la moralité générale, évoquer ce qui est le plus grave : l’attitude des parents envers leurs enfants. On peut parler de “démission”. D’une manière générale, les parents ne comprennent plus, ne cherchent plus à comprendre le monde des enfants. Dans la confusion actuelle, ils manquent de références morales solides qui les aideraient à guider leurs enfants. Le laxisme et la licence s’installent. Plus que jamais, l’avenir de l’école et la société est gros d’incertitudes. Un sursaut est indispensable, les chrétiens en prendront-ils l’initiative ?

(1)Voir EDA 349