Bien sûr, ces étrangers sont, pour une grande part, des jeunes venus ici chercher du travail. Je suis donc confronté, comme Michel Roncin (ndlr : prêtre des Missions Etrangères de Paris engagé auprès des populations immigrées en Corée) dans la région de Séoul, à de nombreux problèmes affectant ces ouvriers migrants. En cela, le job n’est pas nouveau pour moi puisque, avant mon retour en France en 1998, j’avais déjà passé plus d’un an avec ces pauvres-là…
Je voudrais partager ici ma découverte, depuis mon retour, d’une autre dimension de la présence étrangère en Corée, à savoir ce qu’il est convenu d’appeler ici les « mariages internationaux
Je ne parle pas de ces couples (mari coréen et épouse étrangère) qui se sont constitués après le séjour plus au moins long en Corée d’une ouvrière étrangère. Celle-ci, au départ, n’avait pas forcément l’intention de s’installer en Corée, mais, solitude aidant aussi sans doute, elle a trouvé « chaussure à son pied ». Le mariage ainsi contracté, après un temps d’adaptation (même minimale) en Corée, ne pose pas, ou pose moins, les problèmes que je souhaite évoquer ici. Il s’agit en effet, alors, de l’issue assez ordinaire et en générale heureuse, de la rencontre de deux jeunes qui, au moins avec une certaine liberté, peuvent décider de faire leur vie ensemble.
Le phénomène dont je veux parler ici est une réalité qui est signe et cause d’un nouveau type de pauvreté, apparue depuis à peine plus de dix ans. La population coréenne avait toujours, jusqu’alors, mis sa fierté dans le fait (discutable !) d’être une « race pure n’ayant pas souffert des métissages d’autres nations. On ne se mariait donc qu’entre Coréens, veillant bien d’ailleurs à ce que la famille du jeune prétendant Kim n’ait aucun lien de parenté avec Melle Kim qui éventuellement deviendrait l’épouse (pour reconnaître « les siens on ajoute au nom de famille le nom de l’endroit de Corée dont sont issus les ancêtres).
Jusqu’à ces dernières années, cela s’était toujours avéré possible et, s’il est vrai que quelques couples internationaux se sont constitués suite à la présence sur le territoire des soldats américains, on en parle encore aujourd’hui comme d’un « mauvais traitement qu’ont subi quelques femmes coréennes 1). Mais jamais n’avait-on songé jusqu’alors que des hommes coréens puissent épouser des étrangères. Et c’est précisément ce qui « nous » arrive ! C’est cela que je viens de découvrir à mon retour en Corée et c’est de cette « pauvreté »-là que je veux parler.
C’est une réalité qui devient de plus en plus apparente, pour laquelle il est fait une publicité parfois choquante, et qui intéresse de plus en plus les médias. J’en veux pour preuve cet article du Korea Times du 9 mai 2005 dont le titre est ainsi libellé : « De plus en plus de célibataires coréens sont en quête d’amour à l’étranger Et d’expliquer :
« ( …) Malgré l’homogénéité historique de la société coréenne, les mariages rapidement arrangés avec des épouses étrangères sont en augmentation spectaculaire, soutenus d’ailleurs par les campagnes de publicité agressive des agences matrimoniales. L’an dernier (2004), le nombre des Coréens qui ont épousé des étrangères s’est élevé à 25 594, plus du double des 11 017 cas recensés en 2002 par l’Office national des statistiques de Corée.
Les mariages arrangés ne sont pas quelque chose de nouveau en Corée. En effet, dès les années 1980, les campagnes manquant de jeunes femmes (celles-ci préférant aller chercher fortune en ville), les mariages avec des citoyennes chinoises (de Chine continentale), mais de souche coréenne, sont devenus chose populaire. Mais, actuellement, les hommes de Corée du Sud élargissent leurs horizons et choisissent aussi des femmes qui n’ont pas le même héritage ethnique.
Parmi les épouses étrangères, celles provenant de Chine sont encore les plus nombreuses : 18 527 l’an dernier, soit une augmentation de 40 % par rapport à 2003. Les épouses vietnamiennes suivent au second rang : 2 462, soit une augmentation de 75 % par rapport à 2003. Les Japonaises étaient 1 224 et les jeunes femmes des Philippines 964… »
Oui, la Corée est actuellement « pauvre de jeunes filles à marier Depuis les années 1980, dit-on (2), la proportion d’hommes par rapport aux femmes est de 11 pour 10. C’est le résultat du planning familial des décennies précédentes, prônant la famille d’un ou de deux enfants, et aussi sans doute d’une élévation du niveau de vie (avec les coûts et les besoins que cela entraîne), sans parler de l’égoïsme ou, au moins, d’une certaine peur de l’avenir. Cela a provoqué de nombreux avortements dont les fotus féminins sont les premières victimes, puisqu’il s’agit encore, dans tout cela aussi, de perpétuer le nom de la famille, ce qui reste le privilège de la population masculine. Bref, à force de « faire le tri », la proportion, naturellement équilibrée, des sexes s’est trouvée notablement endommagée.
Des raisons avouées et d’autres non avouées.
Il est d’ailleurs assez curieux de constater qu’il y a peu de gens, en Corée, à admettre le lien entre la pratique de l’avortement et ce déséquilibre actuel des sexes masculin et féminin. Par contre, l’une des raisons alléguées communément au fait que des hommes coréens ne trouvent plus de partenaires féminines parmi leurs compatriotes, est l’urbanisation qui a entraîné une dépréciation, encore plus grave qu’avant, de la vie à la ferme ou au village de pêcheurs.
Parmi les ruraux, un Coréen sur quatre a épousé une étrangère l’an dernier, un phénomène dû à la chute du nombre de Coréennes acceptant de vivre dans des zones d’agriculture et de pêche. Les mariages internationaux entre célibataires ruraux et femmes non coréennes se sont élevés au nombre de 1 814 en 2004, ce qui correspond à 27,4 % du total des 6 629 mariages impliquant des hommes engagés dans la culture et la pêche, selon l’Office national des statistiques. Le nombre des mariages « biraciaux » entre célibataires ruraux et femmes étrangères a continué à augmenter, du fait que de plus en plus de femmes coréennes préfèrent vivre dans les zones urbaines où le niveau de vie est plus élevé et où on peut trouver une grande variété d’activités culturelles et de loisirs (3).
Cette analyse ne manque pas de vérité, mais il me semble qu’il faille la relativiser. L’exode rural n’a pas affecté que les femmes coréennes : la grosse majorité des exploitations agricoles (au moins pour la région que je connais) est aux mains de la génération des seniors. Les jeunes hommes aussi sont partis en ville chercher du travail et y résident donc aussi. Les jeunes originaires de la campagne, les garçons tout autant que les filles, s’installent en ville. Par contre, les jeunes hommes qui continuent de travailler à la campagne voient souvent leur exploitation s’agrandir et se moderniser. L’habitat aussi a beaucoup évolué à la campagne : bien souvent, il n’a rien à envier à certaines « cages à lapins » des grands ensembles citadins.
En outre, depuis quelques années aussi, la campagne a vu s’installer bon nombre de petites usines (dix à quinze employés) qui font que la population rurale, et donc aussi les jeunes Coréens qui désirent rester à la campagne, peut trouver un emploi sur place en dehors des activités traditionnelles de culture et de pêche qui sont moins de leur goût. Il faut aussi redire ici que la majorité de la population coréenne vit en ville et que, si on peut expliquer, comme ci-dessus, le fait des mariages internationaux à la campagne, il n’en reste pas moins vrai qu’ils ne représentent qu’une petite partie du phénomène : les 1 814 mariages internationaux concernant des hommes de la campagne font partie des 25 594 cas recensés pour l’ensemble du pays. Il reste donc à expliquer les raisons de ces mariages internationaux qui sont majoritairement le fait de citadins.
Parmi les « couples internationaux » que j’ai eu l’occasion de visiter, je constate aussi que le(s) divorce(s) de certains Coréens entre(nt) en ligne de compte dans le fait qu’ils épousent une étrangère. On notera au passage que le divorce aussi est un phénomène récent en Corée : l’urbanisation et donc l’abandon de la vie en familles groupées comportant en général trois générations ont relâché les contraintes sociales en matière de fidélité conjugale d’une manière assez spectaculaire.
« La capitale, Séoul, comptait 10 276 968 habitants au 1er janvier 2004. Chaque jour de 2003 a vu deux cents nouveaux couples se fonder à Séoul, mais aussi, chaque jour de 2003, il y a eu quatre-vingt-dix divorces (officiels ! il y en a d’autres …), soit entre deux et trois fois plus qu’en 1993 (trente-sept divorces) » (4). Ces divorces font que des hommes âgés de 30 ou 40 ans, voire plus, se retrouvent seuls, avec d’ailleurs souvent des enfants. Les familles de ces divorcés font pression sur leur fils pour qu’il retrouve une partenaire. Mais on comprend que les jeunes filles coréennes qui veulent se marier ne soient pas tout à fait prêtes à accepter un partenaire avec un tel passé et un tel passif. Le divorcé coréen n’aura plus comme recours qu’un mariage avec une étrangère…
On notera aussi, parmi les explications de ces mariages internationaux, le fait que des hommes, moins doués par la nature que les autres, se retrouvent seuls, et une étrangère, ignorante de la situation, acceptera plus facilement d’en devenir le partenaire.
Il y a certainement encore d’autres considérations à faire en amont de ces « mariages internationaux ». Pour faire bref, on peut dire que la Corée est arrivée à ce stade de son histoire où « après avoir résolu son problème de main-d’oeuvre industrielle en employant des travailleurs venus du Sud-Est asiatique, elle est maintenant en train d’essayer, par le même moyen, d’aborder le problème de son ‘manque de jeunes filles à marier’ » (5).
Ces explications, partielles, du phénomène des mariages internationaux me semblent pouvoir être considérées comme des « signes » d’une certaine pauvreté, nouvelle en Corée. Celle-ci découle d’un bouleversement des modes de vie qui ne va pas forcément dans le sens du développement de la personne humaine. Mais que dire alors de la pauvreté, de la situation misérable engendrée par une grande partie de ces mariages internationaux et dont les étrangères surtout sont les victimes ? Après avoir considéré qu’ils étaient « signes de pauvreté », je voudrais montrer maintenant comment ces mariages internationaux sont aussi « causes de pauvreté », matérielle et surtout morale.
Des agences matrimoniales d’un type particulier
Pour bien comprendre la situation, il faut d’abord savoir « comment sont faits » ces mariages internationaux. Laissons notre journaliste de service (6) nous décrire la situation. Il ne parle ici que du Vietnam, mais le processus est identique dans les autres pays, puisqu’il ne relève que de l’initiative des agences matrimoniales.
« Les hommes coréens sont très populaires au Vietnam, nous dit Choi Sung-Hee, employé à l’agence ING Wedding qui est spécialisée dans les arrangements de mariages avec des femmes vietnamiennes. Ils ont la réputation d’être travailleurs et d’avoir l’esprit de famille. »
L’agence emmène donc au Vietnam, pour un séjour d’une semaine, les éventuels futurs maris. Ceux-ci rencontrent, à leur arrivée, jusqu’à une centaine d’épouses potentielles, toutes âgées d’une vingtaine d’années, et dont aucune n’a été mariée précédemment. Une première sélection, basée sur le physique des candidates, réduit leur nombre à quelques douzaines, qui subissent alors une interview avec interprète. « C’est comme les élections de Miss Corée ! commente M. Choi.
Quand un homme a jeté son dévolu sur une jeune femme, les deux vont ensemble chez les parents de la jeune fille demander leur permission. Le prétendant aura alors à payer un million de wons (1 000 USD) à la famille, en cadeau de mariage. La troisième journée du séjour devient celle de la célébration du mariage, suivie du voyage de noces tout le reste de la semaine du séjour au Vietnam… En fait, les futurs prétendants coréens auront à débourser de six à onze millions de wons (6 000 à 11 000 USD), pour les frais d’agence et pour les frais de la noce… »
La semaine écoulée, le jeune couple rentre en Corée, sans problème de visa pour la femme étrangère, puisqu’elle est désormais l’épouse d’un Coréen. Selon la loi coréenne, après deux ans de vie conjugale en Corée, l’épouse étrangère pourra faire sa demande d’obtention de la nationalité coréenne. Les enfants à naître seront coréens de par leur naissance d’un père coréen.
Notre journaliste parle aussi de cas où certaines étrangères, ainsi mariées, utiliseraient le mariage comme un « billet d’entrée sans problème et prendraient la fuite pour se trouver un emploi. Il n’y a pas de statistiques à ce sujet, mais ce qui est certain, c’est que cette fugue met, ipso facto, l’étrangère concernée dans une situation de « résidente illégale avec les conséquences que cela entraîne.
Pour comprendre la facilité – et la rapidité – avec laquelle ces couples internationaux se font (ou se défont !), il est bon de savoir qu’en Corée la procédure du mariage est très simple. Il suffit que les futurs époux déclarent, devant deux témoins coréens, leur intention de vivre ensemble, pour devenir aussitôt mari et femme. Il leur faudra quand même aller faire une déclaration officielle de leur échange de consentements à l’administration coréenne ad hoc pour l’enregistrement légal de leur union.
Les agences matrimoniales qui arrangent les mariages à l’étranger n’ont donc de comptes à rendre à personne. Elles assurent un « service », et se payent comme bon leur semble. A noter ici que l’Eglise dite de la réunification (la secte de Moon) s’emploie aussi beaucoup à la « fabrication » de ces mariages, à ce commerce ! Car il faut bien appeler les choses par leur nom !
L’argent
Si ces mariages sont rendus possibles, c’est bien à cause de l’argent : l’argent qu’il faut avoir pour « se payer » une épouse, l’argent qui rentre pour ces familles étrangères amenées à « vendre » leur fille, sans parler de l’argent qui remplit l’escarcelle des agences matrimoniales concernées et autres profiteurs. Tout cela n’est-il pas signe d’une réelle pauvreté, en humanité, en biens matériels, en respect de la dignité humaine, selon les différents acteurs de ce drame ? Car enfin ce « commerce » a des conséquences désastreuses.
Le mari coréen, qui s’est ainsi acquis une épouse à prix d’argent, s’en considère le propriétaire et la toute jeune épouse étrangère n’est plus qu’un objet dont il peut se servir à volonté ; au mieux, elle devient un (animal) domestique qui doit se soumettre au doigt et à l’oil de son maître. Les relations homme-femme, dans le couple coréen, n’ont commencé que récemment à s’orienter vers une plus grande égalité des sexes, mais le triste spectacle que nous donnent bon nombre de ces couples internationaux vient hélas nous rappeler que les machos coréens ont encore beaucoup de progrès à faire.
Comment « s’entendre » ?
Si encore cette femme étrangère pouvait comprendre pourquoi elle est aussi souvent l’objet d’une telle animosité, d’un tel dédain de la part de celui qui lui avait fait miroiter le paradis lors des premières rencontres, là-bas au pays ! … Car, s’il n’est déjà pas facile à un homme et une femme de s’accepter dans leurs différences, précisément d’homme et de femme, se retrouver brutalement avec quelqu’un dont on ne connaît ni la langue, ni la culture, dont on ne connaît rien à vrai dire, est un choc dévastateur. Le plus désolant est de constater que bien souvent l’époux coréen et ses proches ne réalisent pas la solitude et la panique dans lesquelles se trouve enfermée la nouvelle venue. Ils n’ont, pour la plupart, jamais fait l’expérience de la vie à l’étranger et ils voudraient que, du jour au lendemain, la jeune épouse soit capable de vivre à la coréenne et de se comporter comme une Coréenne.
Combien de fois, lors des visites, n’ai-je pas entendu le mari coréen s’exclamer : « Puisqu’elle est en Corée maintenant, elle doit vivre comme nous ! Pourquoi ne fait-elle pas ce que je lui dis de faire, comme le font et doivent le faire les femmes coréennes à l’égard de leur mari ? » Ne pas être très sensible à la psychologie féminine et aux différences entre les psychologies masculine et féminine n’est pas inhabituel chez les hommes coréens, mais, être, à ce point, inconscient des difficultés énormes que doit affronter l’épouse étrangère, précisément parce qu’elle est étrangère, révèle une épouvantable étroitesse de vue et un égoïsme désarmant.
L’un des buts des visites que je fais à ces couples, avec une religieuse coréenne, est précisément de faire prendre conscience au mari coréen de « l’étrangéité », de l’altérité de sa compagne. La religieuse coréenne insiste, en tant que femme, sur la psychologie féminine. Quant à moi, étranger vivant en Corée, je partage les difficultés et les problèmes que j’ai rencontrés et que je rencontre encore aujourd’hui, précisément du fait d’être étranger. J’essaie de faire comprendre aussi que le temps arrange pas mal la situation et qu’il faut donc user de patience et donner le temps à la partenaire pour prendre racine et s’intégrer.
Nous ne manquons pas non plus d’essayer de faire comprendre au mari coréen que la vie de couple doit aller dans le sens de l’acceptation de l’autre tel qu’il est et non pas tel qu’on voudrait qu’il soit. C’est souvent demander beaucoup… sinon trop !
La situation de solitude psychologique et morale où se trouve la jeune épouse étrangère, au moins au début de son séjour, est une pauvreté extraordinaire. Cela se trouve même renforcé du fait que bien souvent le mari et sa famille empêchent la nouvelle venue d’avoir des contacts avec ses propres compatriotes. On empêchera les visites réciproques et même parfois, si l’épouse est catholique, on lui interdira l’assistance à la messe dominicale célébrée pour les étrangers afin d’éviter tout contact en dehors du « clan » coréen. Bref, l’épouse étrangère se trouve confinée à la maison, assurant les tâches ménagères, sans lien avec l’extérieur, sans aucune possibilité de partager avec qui que ce soit le poids de sa solitude et de sa souffrance morale. C’est presque la vie de prison !
Comment s’en sortir ?
Bien sûr, dès qu’un premier enfant paraîtra (et en général cela ne tarde pas !), la jeune femme pourra porter son affection sur un être aimé. Mais là aussi, on lui reproche souvent de ne pas savoir nourrir et élever l’enfant à la coréenne. Le fait de ne pas – ou presque pas – parler le coréen devient un handicap aussi pour l’enfant, et les torts sont, bien sûr, une fois de plus, mis sur le compte de la jeune maman… qui décidément n’est bonne à rien !
C’est une situation de pauvreté, de désarroi, qui semble aller en augmentant, et qui relève même du cercle vicieux. Il faudrait pouvoir apprendre la langue coréenne, mais les tâches ménagères, les soins à prodiguer au bébé, et aussi le fait qu’on s’oppose aux contacts avec le monde extérieur, font que le démarrage de l’apprentissage de la langue est toujours remis à plus tard.
Aussi, un autre but des visites faites à ces couples internationaux est de faire comprendre que la décision de se mettre à l’apprentissage de la langue est prioritaire. Là aussi, mon expérience d’étranger en Corée me permet d’avoir un peu de poids dans la conversation et de faire pression sur le mari coréen. Les deux centres pour étrangers mis sur pied par notre diocèse offrent des cours de langue coréenne, et il nous est donc possible de proposer un service pour une mise à exécution immédiate du projet d’études de la langue. Un service de garderie pour enfants permet aux mamans de surmonter un des obstacles majeurs à leur apprentissage de la langue. C’est souvent d’ailleurs, à partir de ces cours de langue, que l’épouse étrangère commencera sa « libération ». Non seulement connaître la langue l’aide à pouvoir se tenir debout, en adulte, dans le milieu coréen qui est désormais le sien. Mais ces cours lui donnent aussi la possibilité de rencontre et de partage avec d’autres étrangères, souvent ses propres compatriotes d’ailleurs.
A partir de là, on constate que le mari et sa famille diminuent aussi la pression et permettent éventuellement à l’épouse étrangère de participer à certaines activités culturelles, sportives et religieuses, que nos deux centres diocésains organisent aussi.
Il arrive aussi, hélas trop souvent, que les situations mettent du temps à s’arranger, et même qu’elles ne s’arrangent pas du tout. Le diocèse a donc mis sur pied un « refuge » pour les femmes étrangères victimes de violences, et cette maison n’est jamais vide. Evidemment, l’adresse de ce refuge est confidentielle et absolument ignorée des époux coréens et des familles auteurs des violences. Les services de la police sont parfois nécessaires pour faire « sortir » l’étrangère de son lieu de souffrance et l’amener au refuge.
Pendant ce temps, avec la religieuse, on tente d’amener les auteurs de violences à prendre conscience de ce qui n’a pas marché dans le passé et de ce qui pourrait être fait pour améliorer la situation. Dans bien des cas, le comportement agressif du mari coréen est dû aussi à l’alcool, et il y a donc du travail à faire à ce niveau-là aussi, pas toujours sans résultat d’ailleurs.
Il faut reconnaître enfin que les divorces sont assez nombreux et qu’ils surviennent parfois assez rapidement parmi les couples internationaux. La jeunesse et le manque de maturité des épouses étrangères entrent aussi en ligne de compte : on a pu être pris au piège de ce mariage arrangé à un âge où l’aventure à l’étranger pouvait paraître attrayante, mais, avec une ou deux années de plus, dans ce contexte où le « mirage » a complètement disparu, il n’y a plus rien qui retienne dans ce genre de vie. Evidemment, si un enfant est au milieu de cette situation dramatique, la décision du divorce sera peut-être contenue, du moins sera-t-elle plus difficile à prendre. Mais souvent, le divorce entraînant l’illégalité de séjour et provoquant le retour au pays d’origine, la jeune maman aura à laisser derrière elle son ou ses enfants qui ne peuvent l’accompagner, puisqu’ils sont, eux, coréens. Et c’est encore une autre pauvreté qui vient s’ajouter…
La précarité économique aussi
Sans prétendre être exhaustif dans la présentation de cette nouvelle forme de pauvreté, je voudrais ajouter quelques lignes sur la pauvreté matérielle engendrée par ces mariages internationaux. Je me réfère ici à une enquête dont a fait état le Korea Times du 15 juillet 2005.
« Plus de la moitié des femmes étrangères venues vivre en Corée du Sud, suite à leur mariage, vivent dans la pauvreté. Selon le ministère de la Santé et de l’Aide sociale, 52,9 % des couples internationaux vivent au-dessous des revenus minimums. Il n’y a que 11,3 % de ces foyers à bénéficier du plan d’aide gouvernemental… Parmi les couples qui vivent dans cet état de pauvreté, 15,5 % omettent un repas par jour, faute de pouvoir s’acheter la nourriture.
En outre, il faut savoir que la moitié de ces femmes étrangères sont ignorantes du plan d’aide gouvernemental, et que les étrangers ne peuvent bénéficier de cette aide avant les deux ans de séjour requis pour pouvoir obtenir la nationalité coréenne. Plus de 22,5 % de ces femmes paient leurs factures de soins médicaux à plein tarif. »
L’avenir
Que conclure de tout cela ? Que faire, face à toute cette pauvreté qui s’accumule ?
Il est vrai que l’on se trouve bien démuni, bien « pauvre », face à toute cette misère, à ce manque d’humanité, à ce non-respect de la personne humaine. Je suis bien conscient que notre action en faveur des victimes de ces mariages internationaux ressemble à du replâtrage. Plutôt que de guérir les blessures, ou, plus pauvrement, plus petitement, plutôt que de soulager quelques souffrances ici et là, on aimerait pouvoir prévenir le mal et travailler à ce que ce genre de commerce sauvage ne soit plus possible. L’une des racines du mal semble être que ces mariages internationaux sont le fait d’individus, d’entremetteurs particuliers, d’agences matrimoniales qui sont plus intéressés par l’argent que par les personnes.
« Il est temps, suggère l’éditorialiste du Korea Times du 30 juin 2005, que le gouvernement intervienne ! Il pourrait d’abord exercer une surveillance administrative sur les agences matrimoniales internationales. Ces agences d’entremetteurs se développent maintenant comme des champignons et n’en réfèrent presque jamais à l’autorité. Il faudrait que le gouvernement installe un système de contrôle. Il faudrait aussi mettre en place une nouvelle institution d’éducation, en faveur des épouses coréennes qui ont à s’ajuster à la langue et aux divers modes de vie coréenne. Le ministère de l’Egalité des sexes et de la Famille qui vient de reprendre vie semble être le mieux à même de travailler en ce sens… »
En attendant, il me paraît valable de continuer, autant que faire se peut, à soigner les victimes rencontrées, mais aussi à faire connaître au maximum ce nouveau genre de pauvreté et d’esclavage, pour mieux le dénoncer et le combattre plus efficacement.
Notes
(1)Editorial du Korea Times, 30 juin 2005
(2)Korea Times, 30 juin 2005
(3)Korea Times, 28 juin 2005
(4)Korea Times, 10 mars 2005
(5)Editorial du Korea Times, 30 juin 2005
(6)Korea Times, 9 mai 2005