Eglises d'Asie

Premier évêque coréen et ancien archevêque de Séoul, aujourd’hui décédé, Mgr Paul Ro Ki-nam figure sur une liste des collaborateurs de guerre du Japon

Publié le 18/03/2010




Les réactions des intellectuels catholiques ont été mitigées quand ils ont appris que le nom de Mgr Paul Ro Ki-nam, ancien archevêque de Séoul, figurait parmi une liste des collaborateurs pro- japonais que venait de publier un institut de recherche sur les criminels de guerre de la deuxième guerre mondiale. Le 29 août dernier, l’Institut de recherches sur les activités des collaborateurs pro japonais a publié une liste de 3 090 noms, dont 157 responsables religieux. Cette liste a nécessité cinq années de travail à une centaine de professeurs et de chercheurs. Les 157 responsables religieux comprennent soixante-trois bouddhistes, quarante-huit protestants, vingt-cinq membres du Chondogyo, quatorze confucéens et sept catholiques, dont Mgr Ro, décédé en 1984.

Selon l’institut, l’ancien archevêque a pris part à dix “activités pro-japonaises”. Nommé en 1942, Mgr Ro fut le premier évêque coréen à assumer la charge du vicariat apostolique de Séoul ; en 1962, lorsque le vicariat fut élevé au rang d’archidiocèse, il devint du même coup archevêque. Parmi ces dix “activités pro-japonaises l’institut précise que, dès 1940, Mgr Ro présidait la “Fédération catholique du diocèse de Séoul pour un soutien inconditionnel au Japon en guerre”. On apprend aussi qu’en 1942, Mgr Ro participait à la cérémonie organisée lors de la création par le Japon de l’Etat fantoche du Mandchoukouo, ou bien qu’en cette même année 1942, Mgr Ro rendait visite à un centre d’entraînement de volontaires coréens se battant sous l’uniforme japonais.

Sur la liste de 3 090 personnalités, parmi les sept catholiques, on trouve le nom de John Chang Myonn, Premier ministre de 1960 à 1961. Il aurait collaboré avec les Japonais en tant que coordinateur de la Fédération catholique et conseiller de la “Fédération nationale de soutien au Japon en guerre 

La liste représente la tentative la plus exhaustive d’identification des collaborateurs pro japonais jamais entreprise depuis la libération du pays, le 15 août 1945, jour de la capitulation du Japon et de la fin de la deuxième guerre mondiale. Sa publication a soulevé une intense controverse en Corée, notamment autour du choix des critères utilisés pour juger de l’existence ou non d’une collaboration.

L’historien de l’Eglise Eusebius Lee Won-sun, interviewé sur la chaîne de télévision catholique PBC TV, a reconnu que Mgr Ro paraît avoir eu une attitude compromettante à l’égard du colonisateur japonais en tant que responsable d’une organisation ecclésiale, mais il a ajouté que l’archevêque avait eu à “diriger et développer l’Eglise en des circonstances extrêmes”. Eusebius Lee Won-sun, qui est conseiller à l’Institut de recherche sur l’histoire de l’Eglise de Corée, basé à Séoul, a aussi expliqué qu’au début des années 1940, le Japon avait décidé de contrôler l’Eglise catholique de Corée en remplaçant les évêques coréens par des évêques japonais. « Ce qui fut fait à Kwangju et Taegu a-t-il précisé, en citant les deux villes qui, avec Séoul, ont aujourd’hui rang d’archidiocèse en Corée du Sud. Toujours d’après Eusebius Lee Won-sun, Mgr Adrien Larribeau, membre de la Société des Missions Etrangères de Séoul et évêque de Séoul à l’époque, et le nonce apostolique du Japon s’étaient concertés pour qu’un Coréen, et non un Japonais, soit nommé au vicariat apostolique de Séoul. Et c’est ainsi que Mgr Ro est devenu évêque de Séoul. “C’était une sorte de protestation ou un ‘geste nationaliste’ a expliqué Eusebius Lee Won-Sun, arguant que Mgr Ro n’avait pas voulu pour autant affronter les colonisateurs de front, quoi qu’une telle attitude eut été très prisée des Coréens, parce que, évêque, il voulait protéger et maintenir l’Eglise en vie.

Isidorus Han Sang-bong, un chercheur de l’Institut Woori de théologie (1), ne partage pas les explications de l’historien Eusebius Lee Won-sun. Il récuse l’affirmation selon laquelle Mgr Ro ait participé au “mouvement nationaliste” et affirme pour sa part qu’une “coopération avec le colonisateur japonais ne se justifiait pas de la part d’un responsable d’Eglise». Isidorus Han Sang-bong, 42 ans, reproche à Eusebius Lee Won-sun de succomber à la tentation apologétique de l’Eglise et de cacher que, durant la colonisation japonaise, l’Eglise locale a flirté avec une attitude qu’il qualifie d’“antinationale 

Pourtant en juin 1992, dans un article paru dans Etre Un, magazine proche de l’Eglise catholique, explique toujours Isidorus Han Sang-bong, Eusebius Lee Won-sun avait bien écrit que le diocèse de Séoul avait organisé la “Fédération catholique de soutien au Japon en guerre”. En 1941, la fédération en question avait même décidé que chaque premier dimanche du mois serait “un dimanche patriotique” et que ses membres étaient invités à se rendre au temple shintô japonais. Cette fédération demandait également aux catholiques de prier chaque jour pour la victoire de l’armée japonaise, pour la famille impériale et les soldats japonais morts à la guerre, continue Isidorus Han Sang-bong. Le Vatican avait déjà décrété que les catholiques pouvaient participer aux rites shintô, dès lors que ces rites n’étaient pas religieux de nature mais seulement patriotiques. Isidorus Han Sang-bong affirme encore qu’en essayant de protéger l’Eglise, ce n’est pas seulement Mgr Ro mais l’ensemble du personnel de l’Eglise de Corée, spécialement les missionnaires étrangers, qui se sont montrés indifférents au sort de la nation et à la lutte de son peuple pour la liberté.

Accompagnant sa liste, l’Institut de recherches sur les activités des collaborateurs pro-japonais a publié un manifeste soulignant qu’au sein du peuple en lutte contre le colonisateur japonais, les collaborateurs pro japonais avaient causé bien des dommages à la nation. “Tout de suite après la libération de 1945, le pays a eu la possibilité de se laver lui-même de toute compromission et pourtant cela n’a pas été fait. Depuis, les gouvernements successifs, dirigés par d’anciens collaborateurs, ont obligé le peuple coréen à enterrer la vérité historique peut-on lire. Ce manifeste demande que soit définie une nouvelle base de repentance et de pardon : « Si les fautifs témoignaient d’un sincère repentir, ils pourraient être pardonnés, mais, s’ils essaient de dissimuler la vérité ou encore de justifier leur conduite, il sera impossible pour eux de se libérer du joug d’un péché commis devant l’histoire.”

L’institut définit les collaborateurs pro-japonais comme ceux qui ont aidé ou coopéré avec le colonisateur japonais en Corée entre 1910 et 1945, ou encore ceux qui ont combattu dans l’armée impériale, infligeant des dommages aux Coréens ou aux ressortissants d’autres nations. Il classe les collaborateurs coréens en treize catégories. Parmi elles, les traîtres, les juges, les procureurs, les fonctionnaires de police, les journalistes les responsables religieux et les artistes. Le général-président Park Chung-hee, qui dirigea le pays de 1961 à 1979, figure ainsi sur la liste : il était lieutenant dans l’armée japonaise au début des années 1940. L’institut annonce qu’une seconde liste sera publiée l’an prochain et qu’une encyclopédie de la collaboration sera éditée en 2007 (2).