Eglises d'Asie

“LA VIOLENCE NE CONCERNE PAS SEULEMENT LES SOCIETES MUSULMANES” – une interview du président de la Nahdlatul Ulama –

Publié le 18/03/2010




Jakarta Post : Il y a trois ans, vous déclariez au Jakarta Post que la terreur devait cesser. Mais depuis, il y a eu d’autres bombes et d’autres victimes. Qu’est ce qui ne va pas ?

Hasyim Muzadi : J’ai encouragé la police à être suffisamment courageuse pour prendre des mesures contre le terrorisme. La Nahdlatul Ulama peut dire à la société que la religion n’est pas violente, mais, lorsqu’il existe de la violence, la police doit agir avec célérité. A présent, il existe une coopération entre la Nahdlatul Ulama et la police. J’ai également dit aux ambassadeurs américain et australien en Indonésie que la violence au Moyen-Orient doit régresser. Sinon une recrudescence de violence là-bas induira plus de violence ici. Les grandes puissances, comme les Etats-Unis, et également d’autres pays doivent régler les problèmes du Moyen-Orient avec sagesse ; ainsi les terroristes n’exporteront pas leur colère en Indonésie.

Mais des pays comme les Etats-Unis ou l’Australie pensent que l’Indonésie est un pays terroriste car il n’a pas interdit la Jemaah Islamiyah (JI), et certains affirment que l’Indonésie n’aborde pas le problème du terrorisme de manière sérieuse.

Ce n’est pas vrai. En Indonésie, la Jemaah Islamiyah est un mouvement clandestin qui est seulement connu des services de renseignements. Elle doit être arrêtée par ce biais et non par l’intermédiaire de la Nahdlatul Ulama qui ne sait pas qui se cache derrière la Jemaah Islamiyah.

Engager des poursuites judiciaires prend du temps mais c’est un procédé plus sûr. Tous les terroristes reconnus coupables doivent être exécutés. Les attentats comme celui perpétré contre l’hôtel Marriott a tué des Indonésiens, pas des Occidentaux. Le même phénomène s’est reproduit avec l’attentat contre l’ambassade d’Australie où ce sont des Indonésiens qui ont été victimes.

Nombre d’Occidentaux pensent que la raison principale pour laquelle le gouvernement indonésien n’interdit pas la Jemaah Islamiyah est qu’il a peur de la réaction des musulmans. Qu’en pensez-vous ?

Oh, non. Tous les musulmans soutiendraient le gouvernement si les terroristes étaient arrêtés, mais cela doit se faire dans le respect de la loi. La Nahdlatul Ulama et la Muhammadiyah soutiennent le gouvernement s’il prend des mesures sérieuses contre le terrorisme.

Après les attentats en Espagne, les Espagnols sont descendus dans les rues, des manifestations ont été organisées. En Indonésie, cela n’a pas été le cas. Pourquoi ?

Parce qu’en Indonésie nous avons affaire à un mouvement terroriste. La responsabilité de les arrêter et d’engager des poursuites judiciaires incombe au gouvernement. C’est tout le problème. Les pays qui deviennent les cibles du terrorisme sont les alliés des Américains dans la guerre au Moyen-Orient. Sinon je ne pense pas qu’ils seraient devenus une cible.

Vous avez vivement condamné le terrorisme, mais est-ce que votre message atteint les “pesantren” (écoles coraniques), les villages, les “kampung” (quartiers), les mosquées et les salles de prière ?

Je pense que c’est en cours. La coordination avec les responsables religieux de tout niveau doit être continue et il est nécessaire qu’elle soit répercutée jusqu’à la base.

Mais cela ne prend-il pas trop de temps ?

Non, non. A Java-Est, il a fallu deux ans pour que les musulmans et les chrétiens s’unissent après les attentats contre des églises à Situbondo (en 1996). Je pense que dans d’autres régions, la coordination pourra prendre une ou deux années car nous avons affaire à une population qui est peu au fait de ces problèmes. C’est pourquoi nous avons des accords avec d’autres responsables religieux afin qu’ils puissent informer leurs fidèles de ne pas commettre d’actes violents. Ce n’est pas un problème exclusivement musulman, cela concerne également les chrétiens. Il existe des croyances locales et les responsables locaux doivent être responsables de l’information qu’ils transmettent à la base. La violence est encore présente dans la société musulmane mais elle existe aussi parmi les chrétiens.

Quel est le conseil que vous donneriez aux chrétiens indonésiens, qui vivent dans un pays majoritairement musulman ?

Tous les mois, je rencontre le cardinal (de Djakarta) et les responsables des Eglises chrétiennes. Je conseille aux chrétiens de suivre le chemin catholique. Les catholiques sont plus doux, plus méthodiques et mieux éduqués. Si les pentecôtistes pouvaient suivre ces méthodes, il n’y a pas de raison pour que des gens ordinaires s’opposent. Mais parce que des Témoins de Jéhovah vont dans les maisons musulmanes en distribuant des bibles, la colère monte et les Eglises sont également mécontentes.

Les catholiques ne construisent pas seulement des églises ; ils fournissent également des hôpitaux et des écoles. C’est bien. Des personnes qui les suivent le font car ils voient des illustrations concrètes de la foi catholique.

Par conséquent, vous estimez que certaines Eglises protestantes agissent de manière immodérée ?

Oui, certaines d’entre elles – pentecôtistes, méthodistes, charismatiques, Témoins de Jéhovah et autres sectes en Indonésie. Il existe plus de deux cents dénominations mais la Communion des Eglises d’Indonésie (PGI) ne contrôle que soixante-dix d’entre elles. Nous en avons donc cent trente qui sont hors de contrôle en Indonésie, mais qui rendent compte directement en l’Occident, aux Etats-Unis, en Suisse ou en Allemagne. Un petit événement peut alors prendre des proportions démesurées et devenir un problème mondial. Jusqu’à présent, seulement trois églises ont été fermées, alors que lorsque je suis allé en visite au Vatican des personnes mentionnaient la fermeture de milliers d’églises.

Et au sujet des Ahmadiyahs ?

Les Ahmadiyahs ont été interdits par l’Etat en 1978 (1). Les villageois avaient l’impression que la réglementation n’avait pas été modifiée, alors il y a eu des attaques. Mais la Nahdlatul Ulama a désapprouvé ces attaques parce qu’elles étaient violentes. Je suis donc allé à la police et je leur ai demandé d’agir pour mettre fin à cette violence. Si les forces de l’ordre ne peuvent pas les maîtriser, ils n’ont qu’à demander à la Nahdlatul Ulama d’arrêter les attaques.

Pensez-vous que l’Indonésie devienne plus intolérante ?

Non, j’ai déjà dit que, lorsque la police prend des mesures rapidement et est aidée par des organisations de masse, la violence peut être arrêtée. L’élément ici n’est pas l’intolérance religieuse mais la politique. Par exemple, l’attentat de Bali la semaine dernière est plus lié à des problèmes politiques et religieux, alors qu’en 2002, l’attentat était seulement lié à des questions religieuses.

Avec l’augmentation du prix du carburant, il y a eu beaucoup d’émeutes (2). Je crains que la police ne conclue trop rapidement à des émeutes d’ordre religieux. Il est nécessaire de procéder en premier lieu à une enquête, ensuite aux arrestations, et à l’interrogatoire. Alors, des conclusions peuvent être annoncées, et nous pouvons décider si le problème est d’ordre religieux ou politique. Un mauvais rapport d’enquête peut être lourd de conséquences.

(1)Apparus à la fin du XIXe siècle, les Ahmadiyahs (Ahmadiyas) appartiennent à une branche de l’islam qui se distingue de ses principaux courants en professant notamment que Mahomet n’est pas nécessairement le dernier prophète. Elle est essentiellement présente en Asie du Sud et du Sud-Est.

(2)En Indonésie, l’Etat subventionne les produits pétroliers. En mars 2005, le président de la République Susilo Bambang Yudhoyono a réduit les subventions de 30 %, provoquant une augmentation du prix à la pompe.