Eglises d'Asie

UN AN APRES LE TSUNAMI

Publié le 18/03/2010




Dossiers et documents N° 10/2005

EDA N° 431

Décembre 2005

Dossier

TSUNAMI – INDONESIE

ACEH, LE TSUNAMI ET LA GUERRE

par Jocelyn Grange

[NDLR – Avec 180 000 morts et 80 % de ses infrastructures côtières détruites, la province d’Aceh a été la région la plus touchée par le tsunami du 26 décembre 2004. Portées par un élan de générosité mondiale sans précédent, près de trois cents organisations internationales et non gouvernementales participent à la reconstruction de cette province indonésienne située à l’extrême nord de l’île de Sumatra. Ces organisations sont arrivées dans un contexte marqué par le conflit qui oppose depuis 1976 l’armée indonésienne au Mouvement pour Aceh libre (GAM) et dont la population civile fut la principale victime (les deux tiers des 15 000 victimes recensées). Cette guerre de trente ans, dont les ressorts ne peuvent être compris qu’au regard des multiples tensions communautaires qui traversent l’Indonésie depuis son accession à l’indépendance en 1949 (première partie), s’est poursuivie plusieurs mois après le déferlement du raz-de-marée (deuxième partie). Mais les pressions des Etats donateurs, soucieux d’assurer la sécurité de leur aide et de leurs ressortissants déployés sur le terrain, ont amené les deux adversaires à engager des négociations qui ont abouti à la signature d’un accord de paix en août 2005 (troisième partie).

Basé à Djakarta, Jocelyn Grange est un journaliste français. Il travaille régulièrement pour La Croix, Le Figaro et Radio France International

I –  Le spectre d’une balkanisation de l’Indonésie

1.) Un impérialisme javanais

Le spectre de la “balkanisation” a souvent été brandi en Indonésie. Force est de constater, quand on observe la réalité pluricommunautaire du pays, que de nombreux facteurs sont là pour faire craindre la désintégration. Plus de trois cents groupes ethniques, et presque autant de langues, répartis sur un archipel à la géographie complexe, et cinq religions dont une majoritaire mais travaillée par des lignes de fracture transversales. Surtout, le pays s’organise autour de la prééminence javanaise dont les autres ethnies ont parfois du mal à supporter l’impérialisme (1). En raison de leur poids démographique (40 % de la population), les Javanais ont toujours détenu une position privilégiée dans le système indonésien. Ils dominent aujourd’hui encore l’administration, le personnel politique et l’armée.

Les complexités de l’Indonésie sont telles que la viabilité de l’Etat unitaire, tel qu’il fut fondé par le nationaliste Sukarno sous l’étendard de la décolonisation hollandaise, ne va pas forcément de soi. Certaines solutions furent adoptées, dès la création de la République, pour surmonter ces facteurs de division : une langue nationale unique pour dépasser les rivalités ethniques et une forme politique quasi laïque pour ménager les différentes sensibilités religieuses. Avec un maître mot érigé en doctrine : le consensus pluricommunautaire. Celui-ci “reprend les notions javanaises sociale et culturelle, et donc . Mais dans la pratique, la relation entre les différents groupes fonctionne selon les normes javanaises, qui récusent implicitement les valeurs allogènes” (2).

Cet ethnocentrisme a conduit les élites javanaises à concentrer l’essentiel des pouvoirs entre leurs mains. Rien ne pouvait donc empêcher les conflits potentiels d’éclater. Les années 1950 furent ponctuées de révoltes régionales contre Djakarta, “pour des motifs officiellement idéologiques, mais toujours organisées autour noyau dur ethnique” (3). En 1953, la “République des Moluques du sud” reprenait la vieille revendication des anciens soldats moluquois recrutés par les Néerlandais comme supplétifs indigènes dans leurs guerres coloniales. Le “Gouvernement révolutionnaire de la République dirigé contre Sukarno en 1958-1960, avait pour base Sumatra-Ouest et les Minangkabau. Quant au Darul Islam (1948-1960), qui réclamait l’instauration d’un Etat islamique, il reposait sur trois bastions ethniques : Bugis (Célèbes-Sud), Sondanais (Java-Ouest) et Acehnais (Sumatra-Nord).

2.) Le pillage des ressources naturelles

La surexploitation des gigantesques ressources naturelles de l’archipel (pétrole, gaz, métaux précieux, bois) ont renforcé les aspirations autonomistes (Kalimantan) ou séparatistes (Aceh). Ces richesses, situées dans les îles périphériques, ont été accaparées par le pouvoir central qui n’a accordé qu’une attention marginale au développement des économies locales. Elles furent aussi un facteur aggravant des conflits survenus dans les régions où la décolonisation occidentale s’effectua tardivement et qui furent annexées ensuite par Djakarta contre la volonté des peuples autochtones (Papouasie en 1963, Timor-Oriental en 1976). Cet “impérialisme” javanais s’est mué en véritable colonisation lorsque le régime Suharto a favorisé les phénomènes migratoires (par le programme de transmigration notamment) à la fin des années 1960. Officiellement, l’objectif était de soulager le surpeuplement de Java (et de Madura) en stimulant l’émigration vers des régions moins peuplées. Mais cette arrivée massive fut souvent mal ressentie par les populations locales, dépossédées de leurs terres et traitées comme des sous-hommes (Papous, Dayaks) ou bien inquiètes de la rupture des équilibres confessionnels que cette immigration engendrait (chrétiens des îles Moluques).

L’armée a participé au contrôle du pays, par sa structure territoriale née de la lutte contre les Hollandais. Ce quadrillage fut ensuite renforcé pour contrer les rebellions et insurrections qui ont suivi l’indépendance. A partir des années 1960, ce système de contrôle territorial va doubler les institutions civiles et asseoir la prééminence politique des militaires. Pendant trente-deux ans, le régime de Suharto a réussi, tantôt par une féroce répression, tantôt en intégrant les élites locales dans son parti – le Golkar – à contenir les conflits qu’il avait parfois lui-même suscités. Son anti-communisme virulent (4) lui assurait aussi, en pleine guerre froide, la complicité passive de l’Occident.

Mais depuis la chute du dictateur, en 1998, les soupapes ont sauté les unes après les autres. Les populations ont intensifié leur lutte ou se livrent de plus en plus souvent à une justice expéditive. Les forces de sécurité, sous-équipées, mal formées ou divisées, ne parviennent plus à ramener le calme, quand elles ne sont pas directement responsables de l’escalade des conflits. Désemparée, la population javanaise soutient la répression, convaincue qu’octroyer de nouvelles indépendances, après la perte du Timor-Oriental en 1999, ouvrirait la voie à un éclatement de la République.

II – Trente ans de conflit à Aceh

1.) Le plus vieux conflit d’Asie du Sud-Est

Le conflit à Aceh s’enracine dans une résistance qui précède l’apparition même du GAM. Les Acehnais sont les héritiers d’un sultanat riche et puissant au XVIIe siècle, qui n’a jamais été formellement conquis par les Hollandais. Ils ont joué un rôle important dans la lutte pour l’indépendance et ont été incorporés en 1949 à la République indonésienne sans que les promesses de large autonomie aient été respectées. D’où plusieurs rebellions dans les années 1950.

L’insurrection actuelle naît en 1976 avec la création du GAM par Hassan di Tiro, un descendant du dernier sultan d’Aceh, qui revendique l’indépendance de la province. Les combats sont sporadiques jusqu’en 1989. Ils prennent alors une autre tournure avec des rebelles du GAM mieux entraînés (en Libye). Le général Suharto y répond par de vastes opérations de contre-guérilla dans le cadre d’une “zone militaire opérationnelle” (DOM), qui lui permet de prendre le contrôle de la province jusqu’en 1998. Au prix de nombreuses exactions et atrocités qui contribuent à pousser la population civile dans les bras du GAM.

La chute de Suharto et le référendum sur l’indépendance au Timor-Oriental en 1999 suscitent de nombreux espoirs à Aceh. Espoirs qui se traduisent par une mobilisation sans précédent de la société civile. Mais la répression se poursuit et la justice n’est pas rendue pour les atteintes aux droits de l’homme commises durant la décennie précédente.

2.) La paix avortée de Genève

En mai 2000, et pour la première fois, un dialogue s’instaure sous les auspices d’une ONG suisse (le Centre Henri Dunant), entre le gouvernement indonésien et le mouvement séparatiste. La “pause humanitaire” favorise un déclin de la violence pour quelques mois, mais, rapidement, chaque partie accuse l’autre de violations et les affrontements s’accentuent, culminant avec plus de 2 000 morts pour la seule année 2002. Les négociations se poursuivent pourtant et débouchent sur un accord de cessez-le-feu.

Signé en décembre 2002 à Genève, toujours sous les auspi-ces du Centre Henri Dunant (HDC), cet accord organise le désarmement du GAM et le retrait progressif des troupes indonésiennes sur des positions défensives. Un net recul de la violence a été constaté, mais l’accord a déraillé en raison d’une divergence fondamentale entre les deux parties : le GAM interprétait “spéciale” accordée en 2001 à la province comme une première étape vers l’indépendance, alors que le gouvernement indonésien la considérait comme une concession ultime pour préserver l’intégrité de l’Indonésie. Plutôt qu’à l’établissement de la confiance, le répit aura donc surtout été mis à profit par le GAM pour se réorganiser et par l’armée pour miner un cessez-le-feu qu’elle a toujours vu d’un mauvais oil.

3.) L’instauration de la loi martiale

En mai 2003, l’armée indonésienne lance une vaste offensive et instaure la loi martiale excluant de facto toute présence étrangère. A quelques mois des élections générales (législatives en avril 2004 et présidentielles en septembre 2004), la présidente Megawati Sukarnoputri entendait démontrer un engagement nationaliste inflexible sur une question qui ne soulève par ailleurs guère d’opposition dans le reste du pays et la classe politique.

La loi martiale accorde à l’armée de larges pouvoirs pour en finir avec le mouvement rebelle. Les autorités civiles lui sont subordonnées, y compris la police, et elle a toute latitude pour arrêter et détenir les personnes, imposer des couvre-feux et limiter ou interdire l’accès à la province par voie terrestre, maritime ou aérienne. S’inspirant directement de la stratégie adoptée par l’armée américaine au début de son offensive en Irak, les militaires imposent un black-out sur l’information dans les zones sous état d’urgence. Les médias nationaux sont mis au pas, sommés de faire preuve de “nationalisme” tandis que la presse internationale se voit virtuellement fermer l’accès à la province.

Les moyens militaires mis en ouvre sont importants avec plus de 40 000 hommes déployés sur le terrain contre les quelque 5 000 combattants faiblement armés du GAM. L’offensive a démarré avec un débarquement aéroporté et un blocus maritime à grand spectacle. La province s’installe ensuite dans une guerre d’usure où les centres urbains sont tenus par les forces de sécurité qui lancent des opérations de ratissage pour tenter d’isoler le GAM de la population en le coupant de ses lignes de ravitaillement dans les villages et en le repoussant dans les forêts.

4.) Les civils en première ligne

La population civile paye un lourd tribut à cette offensive avec au moins cinq cents civils tués. Les organisations de défense des droits de l’homme s’alarment des nombreuses exactions, atteintes aux droits de l’homme ou éliminations extrajudiciaires qui sont rapportées mais dont la vérification est rendue pratiquement impossible par la loi martiale. Les agences humanitaires internationales et les ONG dénoncent les restrictions d’accès à cette population et les attaques ou intimidations à l’encontre des employés humanitaires locaux.

Les combats et ratissages ont provoqué des déplacements de populations, regroupées dans des camps provisoires aux conditions précaires. Jusqu’à 120 000 civils ont été ainsi déplacés, au gré des opérations dans les villages et pour des périodes plus ou moins longues. Quelque 9 000 réfugiés sont enregistrés dans les camps “officiels” tandis qu’un nombre indéterminé, mais sans doute important, de civils sont réfugiés dans la jungle ou chez des proches.

L’opération lancée en mai 2003 était censée intégrer, à côté du volet militaire et sécuritaire, un volet humanitaire ainsi qu’un renforcement de l’administration locale et des structures de développement économique. Un “emballage” destiné à reconquérir le cour des Acehnais qui ne fut cependant jamais mis en ouvre.

Pourtant l’opposition acehnaise à l’égard de Djakarta ne plonge pas seulement ses racines dans les désillusions politiques de l’après-indépendance. Il se fonde tout autant sur le sentiment de dépossession des richesses de la province, notamment en hydrocarbures, drainées par Djakarta, dans une forme de “colonialisme javanais”. Ressentiment aussi contre des années de rapines organisées et de corruption des administrations locales. Tout le monde s’est nourri sur la bête et trouve intérêt à la poursuite de la guerre. Pour l’armée, dont 70 % des ressources sont extra-budgétaires, Aceh est aussi synonyme de trafics lucratifs (drogue, bois ou protection monnayée des installations pétrolières). Le GAM n’est pas en reste en matière d’extorsions et d’intimidations pour financer son insurrection.

Plus que jamais, l’unité de l’Indonésie fut érigée en dogme intangible et sa défense laissée à la charge des militaires, ne laissant aucune place à la négociation pour sortir du conflit. Dénoncé comme un mouvement terroriste, le GAM n’est pas considéré comme un interlocuteur par Djakarta et ses négociateurs sont condamnés à de lourdes peines de prison. Les réactions de la communauté internationale appelant à un règlement politique de la crise et à une levée rapide de la loi martiale, sont dénoncées comme “regrettables” et comme des “ingérences” par les autorités indonésiennes.

5.) Le GAM affaibli

En décembre 2004, dix-huit mois après la reprise des hostilités, l’hypothèse que les deux parties retournent à la table des négociations semble d’autant plus improbable que la structure militaire du GAM est très affectée. Les autorités affirment avoir tué plus de 1 500 rebelles, ou supposés tels, alors que 2 000 se seraient rendus ou auraient été arrêtés.

L’élection de Susilo Bambang Yudhoyono aux élections présidentielles de septembre 2004 ne change rien. Ce général à la retraite, réputé modéré, et qui s’était beaucoup investi dans les négociations de Genève alors qu’il était ministre de la Sécurité, a semblé soucieux de ne pas heurter l’état-major militaire, pour se ménager une plus grande marge de manouvre politique dans la perspective de réformes économiques très impopulaires.

III – Le tsunami a créé les conditions de la paix

1.) Un chantier colossal

Le raz-de-marée du 26 décembre a tué 180 000 Acehnais et envoyé 600 000 personnes dans des camps de réfugiés. Les vagues de quinze mètres qui ont déferlé jusqu’à cinq kilomètres à l’intérieur des terres ont détruit 80 % des infrastructures et des maisons situées dans les zones côtières. Sur la côte ouest, la plus proche de l’épicentre du séisme, des villages entiers ont été rayés de la carte tandis que la capitale provinciale, Banda Aceh, a perdu le tiers de ses habitants.

Estimé à cinq milliards d’euros, le chantier de la reconstruction est à la mesure des dégâts : colossal. Tout est à reconstruire : les maisons, les routes, les ports, les hôpitaux, les administrations, les réseaux hydrauliques et d’électricité, etc.

Un an après la catastrophe, les Nations Unies et les ONG nourrissent les sans-abri, soignent les traumatismes des survivants, forment des personnels soignants, assurent l’éducation des enfants, dessalent les rizières et redonnent aux artisans les outils de leur subsistance. Mais la reconstruction des maisons et des infrastructures est embryonnaire. La circulation sur la côte ouest, la zone la plus sinistrée, reste aléatoire et offre toujours le même spectacle de désolation. Le nettoyage des ruines, où l’on retrouve encore des ossements humains, n’est pas achevé tandis que les ponts artificiels, bricolés par l’armée indonésienne, cèdent parfois sous le poids des véhicules assurant le ravitaillement des populations installées dans des camps ou des baraquements temporaires aux conditions d’hygiène sommaires.

Face aux signes d’impatience qui se manifestent parfois parmi les survivants, les acteurs de la reconstruction plaident la patience. “On ne pouvait pas reconstruire en un an ce qui a été construit dans cette région en dix, trente ou cinquante ans explique ainsi le coordinateur local du programme de la Commission européenne. “Je comprends des gens qui vivent sous des tentes, mais un an ce rien à de ce chantier ajoute le fonctionnaire européen. “La reconstruction prendra au moins dix ans confirme Paul Dillon, porte-parole de l’Organisation internationale des migrations, qui finance plusieurs programmes immobiliers. “Nous devons rebâtir des édifices plus solides mais aussi recréer des espaces de vie sociale, explique-t-il. Les rescapés veulent retourner dans leur village mais ils pas nécessairement que leur maison soit rebâtie au même endroit. Ils veulent avant tout reformer une communauté avec une mosquée comme point central. Ce qui suppose de régler au préalable une multitude de problèmes juridiques. Retrouver par exemple les ayants droits des terrains appartenant à des victimes et les convaincre de les céder aux survivants en les dédommageant. un processus long mais indispensable si on ne veut pas créer davantage de problèmes en résoudra.”

2.) Des personnels étrangers installés durablement

Dépassée par l’ampleur de la catastrophe, l’Indonésie a dû se résigner à ouvrir les clapets sécuritaires de la province. Plus de trois cents organisations caritatives – nationales et internationales -, employant un millier de personnes issues d’une quarantaine de pays, se sont installées sur les trois cents kilomètres de côtes dévastées.

Mais l’ONU et les ONG internationales ne sont pas les seules à s’être engouffrées dans la brèche. Fondations, associations, comités d’entreprise, individus. les vocations humanitaire se sont multipliées, portées par un formidable élan de générosité mondiale. Une kyrielle de petites associations inexpérimentées, ou opérant pour la première fois hors de leurs frontières, sont en effet venues dans la région grâce à un afflux de dons sans précédent. Voulant agir vite, sous la pression de donateurs impatients, elles occupent souvent le terrain de façon anarchique.

Ce grand barnum humanitaire a inquiété l’état-major indonésien qui, soucieux d’éviter toute “internationalisation” du conflit avec le GAM, a encadré strictement le séjour et la circulation des étrangers. Jusqu’à la fin du printemps 2005, ceux-ci étaient munis de visas de courte durée renouvelables et menacés d’expulsion si leur action débordait des zones côtières à l’intérieur des terres, où les accrochages se poursuivaient avec les rebelles. Les Etats donateurs, qui se sont engagés à financer 80 % de la reconstruction, ont accepté ces mesures tout en soumettant Djakarta à de fortes pressions pour qu’il accepte de négocier avec le GAM. Un millier d’étrangers sont engagés dans des programmes de longue haleine et la “communauté internationale” a fait de leur sécurité un préalable indispensable à ses investissements dans la province.

Ces pressions ont abouti car les deux adversaires étaient mûrs pour la négociation. Les séparatistes, déjà très affaiblis par la dernière offensive indonésienne, ont été asphyxiés par le tsunami, qui a coupé les lignes de ravitaillement qui les reliaient aux villages côtiers. Les combattants du GAM ne sont plus qu’un millier, faiblement armés et dispersés en petits groupes dans la jungle équatoriale.

A Djakarta, la classe politique est partagée. Les nationalistes et les durs de l’institution militaire refusent toute idée de pourparlers. Certains sont des patriotes sincères, encore traumatisés par la perte du Timor-Oriental en 1999. Ils craignent qu’un changement de statut à Aceh incite les autres mouvements indépendantistes de l’archipel à intensifier leur lutte. D’autres voient menacés les différents trafics rendus possibles par l’instabilité dans la province. Face à eux, les partisans de la négociation, majoritaires au sein du gouvernement de Susilo Bambang Yudhoyono, veulent envoyer un signe positif à la communauté internationale pour stimuler les investissement étrangers qui ont massivement déserté le pays après le krach boursier asiatique de 1997. Ils sont portés par ailleurs par un élan populaire de compassion nationale pour la population d’Aceh. Plusieurs sondages indiquent qu’une très grande majorité d’Indonésiens veulent mettre un terme au conflit et qu’ils sont prêts à octroyer des concessions au GAM.

En mars 2005, le gouvernement indonésien et la direction en exil du GAM se retrouvent à Helsinki pour négocier sous l’égide de l’ancien président finlandais Martti Ahtisaari. Après quatre rounds de discussions, les deux parties signent un accord de paix le 15 août 2005.

3.) L’accord d’Helsinki

Les séparatistes renoncent à l’indépendance d’Aceh et obtiennent en contrepartie la création d’un “auto-gouvernement local” ainsi que le droit de participer à la vie politique locale. C’est en substance ce qu’il faut retenir de l’accord d’Helsinki. Le GAM et le gouvernement indonésien sont tombés d’accord sur la création de nouvelles institutions locales qui devraient être dotées de pouvoirs plus étendus que l’“autonomie spéciale” accordée unilatéralement par Djakarta en 2001.

L’accord prévoit aussi la présence d’observateurs internationaux, deux cents de l’Union européenne et cent cinquante de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, pour encadrer le désarmement des combattants du GAM, dont le bon déroulement conditionnera lui-même le retrait des 50 000 militaires indonésiens.

L’“autogouvernement local” et la présence d’observateurs internationaux avaient été acceptés au terme des trois premiers rounds de négociation. L’objectif de la quatrième rencontre, tenue en juin, était de trouver un compromis sur la participation politique du GAM aux nouvelles institutions. Le gouvernement indonésien a d’abord proposé aux séparatistes de concourir aux élections sous la bannière des partis politiques nationaux existants. Il prétextait une loi établissant qu’un parti, pour être reconnu, doit avoir son siège dans la capitale, Djakarta, et une représentation dans la moitié au moins des trente-deux provinces de l’archipel.

Mais personne n’était dupe. La population acehnaise, que les dérapages répressifs de l’armée indonésienne ont poussée dans les bras de la cause indépendantiste, votera sans doute massivement pour le GAM en cas d’élection, risquant du même coup de donner à cet éventuel scrutin une saveur de référendum d’autodétermination.

Mais, face à l’intransigeance du GAM, bien décidé à ne pas brader sa renonciation à l’indépendance, Djakarta a accepté de modifier sa législation, en y posant néanmoins deux conditions : les séparatistes participeront aux élections municipales d’avril 2005 sous des candidatures individuelles et ne pourront se constituer en parti politique qu’après une période d’un an, à compter du désarmement total de leur branche militaire.

4.) Désarmement et retrait

A la fin du mois d’août, Djakarta décrète une amnistie pour les combattants du GAM et évacue un millier de soldats d’Aceh. Le mois suivant, les séparatistes procèdent à un premier dépôt d’armes lors d’une cérémonie organisée à Banda Aceh. Une centaine de rebelles remettent 87 armes (pistolets, kalachnikovs, mitrailleuses et lance-roquettes RPG) à des membres de la Mission internationale d’observation de la paix à Aceh (AMM). Dans les semaines qui suivent, des cérémonies similaires sont organisées dans d’autres localités. La totalité de l’arsenal, environ huit cents armes, devra être déposée avant le 31 décembre 2005. La date est importante puisqu’elle doit aussi marquer la fin du redéploiement de l’armée indonésienne, qui s’est engagée à retirer les deux tiers de ses troupes. Ne resteront alors que des forces de sécurité locales, soit 7 000 policiers et 14 000 militaires. “Les précédentes tentatives de paix avaient achoppé sur le désarmement du GAM et le retrait militaire indonésien. On peut donc considérer que le processus est sur de bons rails affirme un membre de l’AMM.

5.) Les facteurs potentiels d’échec

Beaucoup de combattants du GAM s’inquiètent pour leur avenir. Ils craignent les actes de vengeance ou de ne pas retrouver leur place dans la société civile. Certains ont passé vingt ans dans le maquis. Sans diplôme ni expérience professionnelle, ils ne savent que se battre. Les officiers seront sans doute intégrés dans les institutions de l’“auto-gouvernement local” mais les militants de base se plaignent de n’avoir reçu aucune garantie pour leur réinsertion.

L’avenir incertain des militants du GAM n’est pas le seul facteur potentiel pouvant faire échouer le processus de paix. Au sein de l’armée indonésienne, des officiers y restent farouchement opposés. Leur pouvoir de nuisance est réel dans la mesure où ils recueillent la sympathie des miliciens, au nombre d’environ dix mille, issus des communautés javanaises qui ont émigré vers Aceh au début des années 1970. Armés par Djakarta, ces miliciens étaient chargés de défendre les villages d’immigrants construits autour des grandes plantations agricoles. Mais ils ont aussi parfois servi aux basses ouvres de l’armée indonésienne, comme leurs homologues du Timor-Oriental qui ont ravagé l’île en septembre 1999 au lendemain du référendum pour l’indépendance.

D’autres officiers entretiennent des liens très étroits avec des mouvements islamistes radicaux participant aux secours à Aceh. Le Front des défenseurs de , connu pour avoir saccagé des discothèques de Djakarta ouvertes pendant le ramadan, et le Conseil des moudjahiddins indonésiens, fondé par Abou Bakar Bachir, un religieux emprisonné pour ses liens avec les attentats de Bali d’octobre 2002, sont ainsi arrivés dans la province en janvier 2005 dans des avions militaires. Ils ne manquent aucune occasion d’agiter le spectre d’un complot occidental visant à “christianiser” la province la plus islamisée d’Indonésie, la seule où la charia est en vigueur. La population acehnaise s’en méfie, mais leurs thèses trouvent un certains échos parmi les religieux acehnais, traditionnellement modérés, mais qui s’inquiètent du relâchement des mours qui accompagne la présence du millier d’employés étrangers engagés dans la reconstruction. Des filles ont troqué leur voile contre des jeans moulants et l’alcool circule, pas toujours discrètement, dans les maisons où logent les expatriés.

“dégradée reconnaît ainsi le responsable d’une ONG médicale internationale. En mai dernier, et pour la première fois depuis l’instauration de la loi islamique en 2001, des châtiments corporels, une dizaine de coups de bambou, ont été infligés à des Acehnais, coupables de s’être livrés à des jeux d’argent. Le mois suivant, deux membres d’ONG étrangères ont été blessés par balle alors qu’ils circulaient la nuit sur des routes isolées, l’un au sud et l’autre au nord de la province. “Le plus probable est que ces deux personnes pas respecté les consignes de sécurité reprend le responsable humanitaire. “Mais on ne peut pas totalement écarter message aux étrangers dont nous pas encore compris le sens conclut l’homme en se disant “très préoccupé”.

Notes

(1)François Raillon, Indonésie, la réinvention d’un Archipel, La documentation française, Paris, 1999.

(2)Idem

(3)Ibidem

(4)Le coup de Suharto en 1965-66 accompagné de massive de militants communistes. Entre 500 000 et 800 000 personnes auraient été tuées, selon les estimations convergentes des historiens.

(EDA, Jocelyn Grange, décembre 2005)

Dossiers et documents N° 10/2005

EDA N° 431

Décembre 2005

Dossier

TSUNAMI – THAILANDE

UN DELUGE D’ASSISTANCE MAL COORDONNEE

par Arnaud Dubus

[NDLR – Arnaud Dubus contribue régulièrement à la rédaction de Dossiers pour Eglises d’Asie. Journaliste français basé à Bangkok, en Thaïlande, où il est le correspondant pour l’Asie du Sud-Est des quotidiens Libération (Paris) et Le Temps (Genève), il a couvert de près l’actualité liée au tsunami

La seconde vague du tsunami : c’est ainsi que les villageois du sud de la Thaïlande et des travailleurs humanitaires lo-caux parlent de l’avalanche d’aide et du déferlement des organisations d’assistance, après que la première vague eut fracassé les bateaux, emporté les maisons et tué quelque 5 400 personnes – dont 2 200 touristes étrangers – dans ces six provinces qui bordent la mer d’Andaman (Ranong, Phang Nga, Phuket, Krabi, Trang et Satun). Un déferlement qui a permis à des dizaines de milliers de familles victimes du tsunami de retrouver une maison, parfois un bateau et des équipements de pêche, mais qui s’est avéré globalement chaotique, mal coordonné et créateur de déséquilibres. Des succès parfois, mais aussi des failles béantes qui font que la gestion de l’après-tsunami dans le sud de la Thaïlande est riche de leçons.

Prenons d’abord la direction de Baan Nam Khem, le “village du tsunami comme l’indique une grande pancarte sur la route numéro 4 entre Khuraburi et Khao Lak. Baan Nam Khem est devenu un village martyr dans l’esprit de tous les Thaïlandais : 800 personnes de cette grosse bourgade côtière de 5 000 habitants ont été tuées par la vague déferlante. Dans les semaines qui ont suivi la tragédie, une centaine d’organisations d’assistance – ONG, organisations internationales, agences du gouvernements thaïlandais et parfois de simples individus – est venue au chevet de cette communauté, composée de Thaïs, de Mokens sédentarisés (les “gitans de la mer” qui appartiennent à une ethnie nomade installée dans la région avant l’arrivée des Thaïs autour du Ier millénaire) et de Birmans immigrés, tous pêcheurs. Un an après, Baan Nam Khem n’est pas sans rappeler la frontière khméro-thaïlandaise des années 1980, quand d’innombrables organismes étaient venus porter assistance aux quelque 350 000 réfugiés cambodgiens qui fuyaient la guerre civile. La route vers le village est jalonnée des panneaux vantant les projets d’organisations : World Vision, American Refugee Committee, MOSES et bien d’autres. Certaines exposent des exemplaires des modèles de bateaux qu’ils ont fabriqués en dizaines ou centaines d’exemplaires pour remplacer ceux détruits par la vague.

Surmédiatisé après la tragédie, Baan Nam Khem a reçu plus d’aide à lui seul que les centaines de villages environnants, qui, eux aussi, ont été touchés. Chaque organisation voulait “son” projet à Baan Nam Khem. Les résidents racontent encore les scènes des premières semaines : des étrangers arrivant avec des liasses de billets et les donnant au premier venu. S’il y avait eu un effort de coordination au départ, une telle abondance se serait avérée très difficile à gérer, mais, sous l’effet de l’urgence, il n’y a pas eu de coordination : un généreux chaos humanitaire a tout submergé. Le gouvernement thaïlandais est en partie responsable de cette confusion : Bangkok a annoncé, dès les premiers jours, refuser toute assistance humanitaire, mais, dans le même temps, a laissé “faire tout et quoi comme le dit le chef d’un projet français à Phuket. Arc-bouté sur ce principe d’autosuffisance, le gouvernement thaïlandais a donc refusé de coordonner les centaines de projets d’assistance. Ce n’est qu’un an après la catastrophe qu’un site Internet a été mis en place, avec l’assistance du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), pour répertorier les différents programmes, leur état d’avancement et les sommes investies. Un autre facteur explique la confusion : dans ces zones du sud thaïlandais, des dizaines de milliers de touristes étrangers ont vécu la tragédie. Par gratitude vis-à-vis des Thaïlandais dont la solidarité a été exemplaire, beaucoup de ces touristes ont voulu monter leurs propres projets. Certains, bien ficelés, se sont avérés utiles et se poursuivent. Beaucoup d’autres ont tourné court, par manque de compétence ou de connaissance du contexte culturel local. Une organisation basée à Trang, Save Andaman, tente malgré tout de coordonner tant que faire se peut la myriade d’initiatives.

Les canaux de distribution

Comme dans beaucoup de provinces thaïlandaises, le poids de la mafia est important et les officiels locaux – chefs de villages, chefs de districts, responsables de la police loca- le – sont souvent en cheville avec ces parrains bienveillants (quand ce ne sont pas les mêmes). Une bonne partie de l’aide a été distribuée par ces canaux, l’absence de tout contrôle par le gouvernement favorisant les détournements, qui, aux dires des villageois, sont grands. Tel Moken de Baan Nam Khem a été visité par une organisation suédoise qui lui a promis un moteur pour son bateau et a versé l’argent à un responsable du village. Mais le moteur reçu est un engin fatigué, en partie attaqué par la rouille. “Les Thaïs se débrouillent mieux. connaissent le chef du bloc, ils ont un moteur neuf se plaint-il. La combine est aussi vieille que le Siam et reflète un phénomène bien connu des travailleurs humanitaires de par le monde : l’abus de pouvoir. Qu’il s’agisse d’inondations, de sécheresse ou de tempête, les clients et amis des responsables locaux ont un accès privilégié à la liste des compensations. Certains villageois de Baan Nam Khem stockent six ou sept gazinières. Ceux qui ont pu obtenir plusieurs bateaux les revendent par petites annonces. L’octroi de maisons se faisant sur la base de la présentation d’un titre de propriété, les tricheries sont plus difficiles.

Plusieurs organisations, qui ont une longue expérience dans le sud de la Thaïlande, ont réussi à éviter cet écueil en organisant directement des comités autogérés de villageois qui font part de leurs besoins et s’occupent de la distribution. C’est le cas par exemple de Terre des Hommes – Italie, qui mène dans vingt-quatre villages de Ranong et de Phang Nga un programme (financé par ECHO, le bureau humanitaire de l’Union européenne) de fabrication et de distribution de pièges à calamars ou à crabes et autres équipements de pêche. “Avec ce projet, on a la possibilité un élément crucial : aider les villageois à former des groupements qui défendent leurs intérêts communs, ce qui pas avant. A , cela pourra leur servir vis-à-vis des grandes sociétés ou des acheteurs explique Heinke Veit, du bureau ECHO de Bangkok. “Il faut sauter le filtre (des intermédiaires). Aller directement dans les villages et contacter directement les gens résumé Paolo Montaldi de Terre des Hommes – Italie. Ce qui ne s’improvise pas et demande de connaître le terrain.

Les Gitans de la mer et la question des terres

Les quelque 4 000 Mokens de Thaïlande constituent sans doute la communauté qui a été la plus bouleversée par le tsunami. Pour la grande majorité, ceux-ci étaient sédentarisés sur des îles proches du rivage (Koh Pratong, Koh Ra et, plus loin, Koh Surin) ou sur le long de la côte elle-même. Touchés de plein fouet par la vague, ils sont des centaines à être venus se réfugier à l’intérieur des terres juste après le 26 décembre. Plus de quatre-vingt familles ont été hébergées par la pagode bouddhique Sammakhi Tham de Khuraburi, sous la responsabilité de l’abbé Phra Acharn Toun, un bonze à la remarquable générosité. Les familles venues de Koh Surin, à quatre heures de bateau de la côte, sont retournées sur leur île. Pour la plupart des autres familles des îles proches du rivage, des maisons permanentes ont été construites par des ONG sur le continent, parfois à une dizaine de kilomètres de la côte, ce qui rend difficile l’exercice de leur métier de pêcheur. Les Mokens sont déchirés entre leur désir de retrouver ce qui constitue leur quotidien de toujours sur l’île et la sécurité d’une maison sur le continent. S’y ajoute le fait que pratiquement aucun d’entre eux n’avait de titre de propriété pour le terrain qu’ils occupaient sur l’île. Ces îles appartiennent juridiquement au département royal forestier qui semble y avoir vu une excellente opportunité pour en chasser les “occupants illégaux Les Mokens subissent donc une transformation totale de leurs conditions de vie. Pour les plus chanceux, ceux qui habitent près du rivage, ils peuvent, grâce à leurs bateaux de pêche, partager leur vie entre l’île et le continent, et, peut-être, pourront-ils à l’avenir se réinstaller dans l’île. Pour ceux qui ont été installés à l’intérieur des terres, l’adaptation va être un défi, car il ne leur est pas facile de se tourner vers une nouvelle activité professionnelle.

Cette question cruciale de la propriété des terres a affecté la population du sud bien au-delà de la communauté des Mokens. Le tsunami a mis au jour un problème structurel. De très nombreux Thaïlandais vivant depuis plusieurs générations sur le rivage n’avaient pas de titres de propriété. Avant le tsunami, ces communautés étaient en conflit avec des promoteurs immobiliers ayant acquis, moyennant finances et appui en haut lieu, des titres sur ces terrains. Ces entrepreneurs immobiliers ont profité du tsunami pour chasser les “squatters Un cas d’espèce est la plage de Laem Pom, près de Baan Nam Khem, où les villageois, recherchant les corps de leurs parents le lendemain du tsunami ont été empêchés par des hommes de main armés de fouiller les décombres de leur maison. La firme revendiquant la propriété du terrain veut y installer un hôtel de grand luxe et un golf. Elle appartient à la famille d’un politicien mafieux Suchart Tanchaoren (Parti Thai Rak Thai) mêlé depuis des décennies à des conflits immobiliers dans plusieurs régions du pays. Le Premier ministre Thaksin Shinawatra, chef du Parti Thai Rak Thai, a refusé de recevoir le groupe de villageois et les a implicitement considéré comme de simples squatters. La loi thaïlandaise donne pourtant un droit légal de résidence à ceux qui occupent depuis plus de dix ans un terrain qui n’est pas revendiqué par un propriétaire. Des conflits similaires affectent une trentaine de villages, notamment à Baan Tap Tawan et à Nai Rai (Phang Nga) ainsi qu’à Layan (Phuket).

Déluge ou tsunami ?

Comme on a pu le constater au Cambodge dans un autre contexte, certaines sectes protestantes sont venues apporter assistance aux victimes du tsunami avec, pour arrière pensée, de recruter de nouvelles ouailles. Leur succès a été fulgurant, notamment dans la communauté des Mokens, plus démunis et donc plus vulnérables. Le nombre d’églises protestantes dans la province de Phuket est passé de huit à seize depuis la tragédie. Sur la dizaine de kilomètres qui séparent Khao Lak de Baan Niang, où sont implantés la plupart des nouveaux villages Mokens, pas moins de dix-sept églises ou centres protestants ont été établis, liés aux adventistes, aux pentecôtistes, aux baptistes et à l’Assemblée de Dieu. Leur message est sans équivoque : “matérielle est pour nous un moyen les gens explique Busrakum Suparaj, un membre de la direction de l’église Choengtalay de Phuket. A Baan Nam Khem, une église a été construite au pied d’un gros bateau de pêche échoué. Des livrets comparant le tsunami au déluge, “châtiment de Dieu ont été distribués. Une assistance alimentaire est apportée aux Mokens parallèlement à de vives recommandations d’abandonner le mélange d’animisme et de bouddhisme qui constitue leur fonds religieux pour le protestantisme. A Phuket, les nouveaux convertis bénéficient de plus grandes largesses : leurs maisons sont reconstruites. Sur l’île de Koh Pratong, tous les jeudis, de jeunes membres de l’Assemblée de Dieu viennent prêcher aux Mokens dans une maison communautaire. Les villageois ont dû retirer les amulettes qu’ils portent au cou et promettre de ne plus boire d’alcool (la consommation d’alcool fait partie de leurs rites de transe). Pour protester contre cette intrusion, certains villageois viennent jouer pendant l’office leur musique traditionnelle. Dans le village de Tung Dap, sur Koh Pratong, la moitié des soixante-dix Mokens revenus ont été convertis après le tsunami. A Baan Nam Khem, quarante Mokens se sont convertis sur une population de deux cents personnes. Lors de notre passage à Baan Nam Khem, une femme Moken, croyant apparemment que nous faisions partie de l’Assemblée de Dieu, s’est cru obligée de nous promettre sa prochaine conversion “quand elle serait prête Un prêtre catholique de Phuket, le P. Bancha, a désapprouvé cette façon de lier assistance humanitaire et prosélytisme.

Les Birmans, oubliés de la tragédie

La grande majorité des quelque 1 000 dépouilles qui restent non identifiées sont probablement des Birmans qui travaillaient comme pêcheurs, personnel hôtelier ou ouvriers dans les provinces affectées, témoignage du très lourd tribut payé par les immigrants birmans à cette catastrophe naturelle. 120 000 birmans travaillaient avant le 26 décembre dans les six provinces, pour une bonne partie d’entre eux de manière non déclarée, une réalité que le gouvernement thaïlandais a rechigné à reconnaître après le tsunami. Immédiatement après la catastrophe, beaucoup se sont réfugiés dans les plantations d’hévéas ou dans la forêt par crainte de la police. (Les Birmans pris sans permis de travail sont en général expulsés ou doivent payer un bakchich à la police). Ceux qui avaient un permis de travail l’ont souvent perdu pendant l’inondation.

Depuis, une minorité de Birmans ont dû repartir dans leur pays, mais les employeurs, notamment les patrons-pêcheurs, ont fait savoir au gouvernement qu’ils ne pouvaient pas se passer de cette main-d’ouvre. Ce sont d’ailleurs ces Birmans, déclarés ou non, qui reconstruisent l’infrastructure touristique des provinces dévastées. Le gouvernement a donc ouvert une procédure de réinscription des immigrants birmans auprès du ministère du Travail, sur la base des fichiers médicaux gardés par les hôpitaux. Le bureau Asie-Pacifique de l’Organisation internationale du travail prend en charge les frais de réinscription de ces Birmans.

Selon le quotidien de Hongkong The South China Morning Post, des familles birmanes ont identifié soixante-dix de leurs parents parmi les dépouilles des victimes du tsunami entreposées dans les caissons réfrigérés du cimetière Mai Khao de Phuket. Mais ils ne peuvent pas récupérer les corps pour mener les rites religieux car Bangkok veut que les autorités birmanes reconnaissent d’abord que ces victimes sont bien des citoyens birmans. Rangoun, de son côté, ne veut pas entendre parler des immigrants birmans. La situation risque de devenir insoluble une fois que le Centre d’identification des victimes aura quitté Phuket, à la fin de l’année, pour s’installer à Bangkok. “La communauté internationale doit examiner cette question parce que nous aussi, nous sommes des êtres humains s’indigne Htoo Chit, un leader de la communauté des immigrants birmans.

Le tourisme en perdition

Sur l’île de Phuket (la plus riche province de Thaïlande), 90 % des entreprises vivent du tourisme qui rapporte environ 1,5 milliard d’euros par an. Le tsunami a provoqué la perte d’à peu près 100 000 emplois (sur l’ensemble des six provinces), selon l’Organisation internationale du travail, et la fermeture de 20 % de ces entreprises. Dans les six mois qui ont suivi la catastrophe, le tourisme a chuté de manière drastique : – 67 % d’arrivées internationales à l’aéroport de Phuket entre janvier et mai, comparé à la même période l’an passé. Pendant la basse saison (mai à octobre), les hôtels et les agences ont lancé de multiples promotions qui ont abouti à un tassement des prix, avec le risque de transformer l’image de “station balnéaire de luxe” qu’a Phuket. Les touristes de Scandinavie et d’Europe ont commencé à revenir pendant la haute saison actuelle, mais ce n’est qu’à la haute saison 2006 que l’industrie espère retrouver son niveau normal. Les secteurs formel et informel de l’économie ont été tous deux fortement touchés. Mais on constate en général que seuls les grandes firmes et les hôtels haut de gamme ont reçu une assistance du gouvernement. Les hôtels dont l’investissement est supérieur à un million d’euros ont pu bénéficier de prêts à taux bonifiés (1 % sur les cinq premières années), mais, pour la plupart, les petits hôteliers et restaurateurs n’ont pas pu obtenir de prêts dans le cadre du programme SME, soit parce qu’ils étaient déjà endettés, soit parce qu’ils ne voulaient pas que la compagnie financière devienne partenaire dans leur firme (c’est une condition du prêt). Les petites agences et les guides (3 000 guides indépendants à Phuket) ont été très affectés. Mais les plus touchés sont, comme souvent, ceux au bas de l’échelle : travailleurs informels sur les plages (masseurs, vendeurs ambulants, tenanciers de petites échoppes au bord de la plage) qui n’ont touché aucune compensation, parce qu’ils ne peuvent pas prouver leurs pertes économiques et qu’ils sont souvent originaires d’autres régions de Thaïlande.

Eam Thavornwongwongse, président de la Chambre de commerce de Phuket, estime que la période critique sera la prochaine basse saison (mai à octobre 2006) : si une répétition des ventes à perte de 2005 se reproduit, beaucoup d’opérateurs devront baisser le rideau. La Tourism Authority of Thailand essaie d’attirer une clientèle fortunée du Moyen-Orient pendant cette période et accentue son marketing en direction de la clientèle russe et d’Europe de l’Est. A Phuket, les taux d’occupation des hôtels tournent actuellement autour de 60 % et devraient grimper un peu en décembre. Même si ces chiffres sont loin des hôtels pleins de l’an passé, l’île devrait sans doute réussir son redressement pour la prochaine haute saison. La situation est plus critique à Krabi et à Phang Nga. Sur la plage de Khao Lak (province de Phang Nga), au nord de Phuket, où une petite centaine d’hôtels de luxe s’étaient développés depuis trois ou quatre ans, seuls dix hôtels ont rouvert leurs portes (soixante sont en reconstruction). La zone a été parmi les plus dévastées : 3 000 morts sur cette seule plage (où se trouvait le Sofitel Magic Lagoon). Le taux d’occupation n’est actuellement que de 5 %. Les occupants étrangers sont pour la plupart des routards qui travaillent comme bénévoles dans des projets d’assistance. Selon Eam Thavornwongwongse, il faudra deux ou trois ans avant que Krabi et Phang Nga redeviennent des destinations touristiques.

Le traumatisme

Dans la province de Phang Nga, la plus touchée, les effets traumatiques du tsunami ont été les plus forts sur les esprits. Un “Centre de recouvrement de la santé mentale” a été ouvert à Khao Lak et plusieurs équipes de psychologues, d’assistantes sociales et une psychiatre ont commencé à visiter les communautés de la province où sont regroupés les villageois affectés par le tsunami dans les jours qui ont suivi le drame. Le programme doit se poursuivre jusqu’en décembre 2006. Deux mille personnes ont été visitées. Parmi celles-ci, trois cent cinquante continuent à être suivies régulièrement : il s’agit de cas de dépression, de tendances suicidaires, de stress post-traumatique (PTSD), de réaction de panique et, souvent, d’alcoolisme. Selon la doctoresse Benjaporn Penyayong, qui dirige le centre, la proportion des gens nécessitant un traitement a diminué de moitié par rapport au début de 2005. Dans les cas de stress post-traumatique, la personne revit le tsunami dans ses rêves ou les symptômes se manifestent lorsqu’il y a un déclenchement extérieur : bruit de vagues, vision de la mer ou rumeur sur un tremblement de terre par exemple. La plupart des patients sont des pêcheurs et leur condition psychologique les empêche de reprendre leur activité.

Outre l’octroi de médicaments somnifères, les techniques classiques de gestion du PTSD sont employées. “On essaie de faire prendre conscience à la personne des situations veut éviter. Puis, on lui conseille de progressivement, en allant voir la maison où elle habitait ou en allant aux funérailles ami explique le Dr Benjaporn. Certaines personnes ont en permanence leurs affaires prêtes pour partir précipitamment, persuadées qu’un nouveau tsunami ne va pas tarder à se produire. D’autres s’accusent de la mort d’un parent ou d’un de leurs enfants : “si été avec eux. Parmi les enfants, on constate des “angoisses permanentes séparés des parents” et des conduites de régression.

La religion bouddhique ou musulmane s’avère un soutien important pour ces patients. Ils connaissent les techniques de respiration contrôlée propre à la méditation bouddhique et peuvent les pratiquer. Les prières régulières des musulmans et les visites à la pagode des bouddhistes ainsi que les offrandes aux bonzes calment et apportent un sentiment de réconfort. Quand le corps d’un parent n’a pas pu être retrouvé, certains inscrivent simplement le nom du disparu sur une carte disposée parmi les vêtements qu’ils brûlent ensuite dans le crématorium de la pagode selon le rituel du “Phao Lok” ou bien présentent à la carte des offrandes de nourriture.

Selon le Dr Benjaporn, de nombreux autres cas de stress post-traumatiques existent probablement dans la population des classes moyennes, aussi sévèrement touchées par le tsunami à Khao Lak, mais celles-ci, ne vivant pas dans des villages de regroupement, restent ignorées à cause de la stigmatisation sociale attachée au fait de se rendre au centre pour la santé mentale.

(EDA, Arnaud Dubus, décembre 2005)

Dossiers et documents N° 10/2005

EDA N° 431

Décembre 2005

Dossier

TSUNAMI – SRI LANKA

LE SRI LANKA UN AN APRES LE TSUNAMI

par le P. Paul Caspersz, s.j.

[NDLR – Le P. Paul Caspersz est prêtre de l’Eglise catholique du Sri Lanka. Jésuite, il a co-fondé, en 1972, avec Mgr Leo Nanayakkara, Satyodaya (‘l’Aube de la Vérité’), centre de recherche et de rencontres sociales, à Kandy. Pour Eglises d’Asie, il a bien voulu dresser un bilan de l’effet que le tsunami a eu et continue d’avoir sur le pays et sa population. La traduction est de la rédaction d’Asie.]

Un grand désastre

Il ne fait pas de doute que le tsunami qui a frappé le Sri Lanka le 26 décembre 2004 a été un grand désastre, peut-être le plus grand de toute l’histoire de l’île. Cette histoire abonde d’autres désastres, des inondations (car le Sri Lanka est une île qui a beaucoup de fleuves) mais locales, des épidémies mais qui n’ont touché que certaines régions et n’ont pas atteint toute l’île, des glissements de terrain mais qui se sont produits dans les régions montagneuses soumises à de fortes pluies. Dans tous les cas, le nombre des morts est faible comparé à celui du 26 décembre 2004.

S’agissant du tsunami, un rapport du 14 avril 2005 de la Banque asiatique de développement fait état des chiffres suivants : 31 000 morts, 5 000 disparus, 15 000 blessés, 443 000 personnes déplacées. Ces chiffres sont des estimations, probablement très inférieures à la réalité. De nombreux rapports ont avancé un nombre de morts de près de 40 000 personnes, plus de 8 000 disparus, certainement plus de 20 000 blessés et près d’un million de personnes déplacées dans tout le pays. Même ces chiffres restent incertains et le nombre exact des personnes touchées restera sans doute inconnu. En nous rendant le 15 janvier le long de la côte entre Galle au sud et Colombo à l’ouest, nous avons rencontré deux pêcheurs qui nous ont dit qu’il y avait à peine une heure ils avaient découvert et enterré deux cadavres en déblayant les décombres d’une maison et d’un bateau. Ces deux morts ne seront certainement jamais comptés par personne. A Mullaitivu, sur la côte nord-ouest, alors que nous contemplions dans une stupeur silencieuse l’anéantissement de toute vie et de toute construction, on nous a dit que nous pouvions être en train de marcher sur des corps enterrés sous des tonnes de boue. “Enlève tes sandales semblaient nous dire les anges gardiens des morts, “car ce sol sur lequel tu marches est saint” (Exode 3,5).

Les premières estimations donnaient un chiffre de 100 000 maisons endommagées, dont 75 000 étaient complètement anéanties, et de 150 000 véhicules détruits. L’infrastructure côtière des routes, des chemins de fer, des réseaux électrique, de téléphone et d’eau était sérieusement endommagée. Dix des douze ports de pêche les plus importants avaient subi de gros dégâts en même temps que les entrepôts frigorifiques, les bureaux et les centres de traitement du poisson. Près de 81 % des 22 940 bateaux de pêche de toute catégorie étaient perdus ou endommagés.

Selon un compte-rendu paru dans le journal The Island du 5 avril 2005, 141 985 personnes ont été secourues dans des centres d’accueil, 411 302 dans des familles d’accueil, 1 169 enfants appelés “enfants séparés” ont été placés auprès de membres éloignés de leur famille, alors qu’on recherchait leurs parents. (Près de six mois plus tard, il est impossible de savoir si cette recherche a donné un résultat.) Vingt-huit enfants appelés “enfants non accompagnés” ont été recueillis dans des centres de soins temporaires pendant que leurs parents ou un membre de leur famille étaient recherchés ; 3 729 enfants ont perdu leurs parents, sans que le document spécifie le nombre de ceux qui ont perdu leur père et leur mère. Ces statistiques sont nécessaires dans des articles comme celui-ci. Mais les statistiques ne font pas de sentiment, à moins d’aller au-delà et de réaliser la souffrance, le dénuement et le sentiment d’abandon qu’ont connu ceux qui ont été assaillis par les flots déchaînés.

Un prêtre jésuite, témoin oculaire

Trois semaines après ce jour malheureux, le prêtre jésuite responsable de l’Eglise et de la paroisse de Saint Ignace, sur le rivage de Batticaloa, relisait les notes rapides qu’il avait prises le soir du tsunami :

Nous étions le premier dimanche de Noël. La messe était à six heures et quart. Elle était finie. Les gens étaient rentrés chez eux. A neuf heures je me suis assis pour prendre mon petit déjeuner. Je n’en avais pas pris la première bouchée que j’ai entendu hurler Suresh, un jeune garçon : “La mer, la mer, la mer arrive.”

Je me précipitais dehors pour voir et, ô surprise, la mer avait ses crocs prêts à nous dévorer… J’ai hurlé : “Courez à , tout le monde, courez vite…”

J’ai entendu mes voisins, catholiques, hindous, burghers (descendants des anciens colonisateurs portugais et hollandais), tamouls, hurler et pleurer, implorant le Tout-Puissant de les sauver et de sauver leur village… J’étais tantôt à genoux, tantôt debout, mains tendues, tantôt me frappant la poitrine en pleurant et en priant le Père d’éloigner ces flots terribles…

Nous trouvons encore maintenant des cadavres décomposés dans les décombres et nous les brûlons. De la perte des biens et des maisons, que puis-je dire ? De tous les gens de la région, peu travaillaient dans l’administration. Tous étaient des pêcheurs. Certains étaient des journaliers, charpentiers, maçons, mécaniciens. Plusieurs possédaient leur maison. C’étaient des gens qui s’accrochaient à la vie par leur seule force de travail. Quelques-uns étaient partis gagner de l’argent au Moyen-Orient pour construire leur maison. Tout a été englouti par les flots. Certaines maisons avaient encore leurs fondations, d’autres, plus. Avec ce qu’ils portaient sur eux et en rassemblant leur courage, ils s’enfuyaient vers l’abri de la terre ferme. Ce qui restait dans leur maison fut pris par les pillards…

Sur notre route de Kandy à Matara en passant par Colombo, nous avons rencontré par hasard une jeune fille qui faisait sécher des livres et des papiers en les mettant au soleil devant une petite maison récemment construite. “Non, ces livres ne sont pas à moi, mais à ma jeune sour, nous dit-elle. Elle avait été admise à et, comme nous sommes pauvres, nous comptions beaucoup sur elle. Mais elle a été emportée par les vagues. Comment arriver à comprendre ce qui passé ?”

Nous avons aussi entendu l’histoire des pêcheurs catholiques à Mullaitivu, dans le nord, moins d’un mois après le désastre : “Nous avions vendu nos filets pour construire . Nous y dormions la nuit. Regardez ce en reste .” Autour de l’église, des centaines d’hommes et de femmes cherchaient dans les décombres de leurs maisons détruites pour trouver des affaires qui leur avaient appartenu. “Nous aurions préféré que la mer vienne la nuit quand nous dormions tous. Nous serions tous morts ensemble et nous pas chaque jour à supporter la peine de la perte de ceux que nous aimions…”

Les structures familiales ont été profondément perturbées. Il y a des enfants sans parent et des parents sans enfant. Près d’un an après le tsunami, beaucoup de familles sont encore traumatisées. Il y a un besoin urgent d’un programme d’aide psychologique aux victimes. Certains souffrent de dépression, de perte de sommeil, de stress et de tendances suicidaires. Les enfants ont perdu leurs livres scolaires, leurs cahiers et tous leurs papiers. Des écoles ont été balayées par la mer. Des instituteurs sont morts, des camarades de classe aussi.

Pour un Asiatique, sa maison, même petite et pauvre, est tout pour lui. C’est encore plus vrai à la campagne, où presque tout le monde vit dans une maison qu’il a construite et qu’il possède. A la ville, on habite dans des maisons louées. Comme le tsunami a frappé davantage les campagnes, le choc a été beaucoup plus dur pour ceux qui ont vu leurs maisons si cruellement emportées par les vagues et il durera longtemps.

Une aide massive

Le tsunami qui a frappé le Sri Lanka a été massif. L’aide qu’il reçut le fut aussi. Les premiers à offrir généreusement de l’aide, principalement en nature – de la nourriture, des vêtements, simplement de l’eau potable -, ont été des personnes ou des groupes de l’île, qui furent imités par des parents ou des amis du Sri Lanka, qui, sans attendre qu’on le leur demande, ont envoyé des vêtements, des médicaments et de l’argent. Le gouvernement du Sri Lanka et ceux des autres pays furent presque contraints par la honte de devoir prendre des mesures rapides, tant l’aide reçue était immédiate et massive.

Les individus et les groupes de notre pays n’ont pas tergiversé, même 24 heures, pour agir, après l’annonce par la radio et la télévision des vagues terrifiantes qui s’étaient abattues sur le pays. La propre organisation d’aide et d’étude de l’auteur à Kandy qui s’appelle Satyodaya (‘l’Aube de la Vérité’) partit dès le 27 au matin en collecte auprès du petit peuple des villages et des exploitations de thé, où Satyodaya conduit son travail de développement communal. Sa camionnette revint le soir remplie jusqu’au toit de vêtements et de linge. C’était réellement émouvant de voir les pauvres femmes de ces villages offrir ce qu’elles avaient en trop de leur plus strict minimum, parfois même des saris neufs et des serviettes qu’elles avaient achetées pour Noël. Nous avons aussi appris l’histoire de cette femme à Batticaloa, sur la côte est, qui a émergé à 10 heures 30 le jour du tsunami, complètement choquée et sans vêtement, que les vagues lui avaient arraché. Un des jeunes d’une équipe privée de secours qui arrivait sur les lieux ne perdit pas une minute pour enlever la chemise qu’il portait et la lui donner.

Le tsunami et les problèmes ethniques du Sri lanka

Les problèmes ethniques du Sri Lanka sont bien connus du monde entier. Les Cinghalais forment le groupe ethnique majoritaire avec 74 % de la population. Les Tamouls en représentent 18 %, les musulmans et quelques autres groupes, le reste. Le cour du problème réside dans les tensions entre les Cinghalais et les Tamouls. Les Cinghalais pensent que le pays doit être un Etat dans lequel les bouddhistes cinghalais auraient droit à la première place. Les Tamouls – après une série de mesures discriminatoires à leur encontre – ont commencé à demander l’autonomie effective du nord et de l’est du pays qu’ils considèrent comme leur patrie. Mais cela ne donne pas satisfaction au groupe extrémiste militant tamoul appelé les Tigres de la libération du Tamil Eelam (LTTE). Ils revendiquent un Etat séparé. Lors des discussions officielles ou des conversations informelles sur ce sujet, les musulmans ont, de leur côté, commencé à demander la reconnaissance de l’importance de leur minorité ethnique dans le pays. La situation est difficile, tendue et lourde de conséquences les plus dramatiques, si une solution n’est pas trouvée dans un proche avenir, qui donne satisfaction à tout le monde.

Des quatre groupes religieux du pays – bouddhistes, hindous, musulmans et chrétiens -, les chrétiens sont les seuls à compter dans leurs rangs des Cinghalais et des Tamouls. Les chrétiens tamouls représenteraient de 30 à 40 % de la population chrétienne. C’est ce qui donne au groupe chrétien et en particulier à ses dirigeants une grande responsabilité dans la recherche d’une solution juste et d’une paix honorable. Cette responsabilité est également une opportunité dont, malheureusement, l’Eglise ne s’est pas assez servie. En fait, aux yeux de l’auteur, les Tamouls chrétiens et les Cinghalais chrétiens ont, au fil des années, tendance à s’éloigner de plus en plus les uns des autres.

C’est là où le tsunami peut servir de pont, totalement imprévu (mais heureusement) entre ces deux groupes qui s’opposent. Le tsunami n’a pas fait de différence dans les appartenances ethniques ou religieuses. Il a englouti et anéanti sans distinction des Cinghalais, des musulmans, des burghers (descendants des anciens colonisateurs portugais et hollandais) et des touristes étrangers. Il a frappé avec impartialité des bouddhistes au sud, des hindous au nord, des musulmans à l’est et des chrétiens tout le long de la côte où vivent les pêcheurs chrétiens.

Ainsi donc, l’aide interne et l’aide extérieure furent massives. En vérité, le tsunami n’a pas été qu’un mal. Il a appelé tous les habitants du Sri Lanka à reconstruire une société diverse et une réelle culture plurielle. Si les chefs politiques et religieux de notre pays ne se saisissent pas de cette occasion pour faire prévaloir une conscience nationale et une identité qui dépasse les particularismes sans les rejeter, il manquera à un devoir que ni Dieu, ni l’histoire ne seront prêts d’oublier.

Où était Dieu quand le tsunami a frappé ?

Où était Dieu quant le tsunami a frappé ? La plus simple réponse est de dire que notre monde est imparfait. La pluie ne tombe pas quand il faut et, quand elle arrive enfin, elle est trop abondante pour la récolte. Les mangues sur la branche sont grandes et attirantes, mais il y a parfois un vilain ver dans chaque. Cela n’est plus comme c’était ni comme Dieu l’avait voulu. Isaïe, le grand poète et mystique du VIIIe siècle avant Jésus-Christ, eut une vision de ce monde d’avant la chute. L’agneau vivait heureux avec le loup, la panthère se couchait à coté du bébé, le veau et le lionceau étaient nourris ensemble et un jeune enfant les menait aux champs. L’enfant jouait sur le trou du cobra et il mettait sans crainte sa main dans le nid de la vipère, car “la campagne était pleine de la connaissance de Yahweh et les vagues soulevaient la mer 

Mais, si nous devions remercier Dieu de ne pas avoir frappé la nuit et permettre que certains vivent sur un sol plus élevé que le plus fort tsunami, ne devrions-nous pas aussi demander à Dieu pourquoi il a permis que les plaques tectoniques glissent comme elles l’ont fait, faisant déferler le tsunami sur notre peuple avec sa folle puissance de destruction ?

Quelque chose de primordial s’est produit dans l’ordre des choses, qui a rompu l’harmonie entre le divin et l’humain et entre l’humain et la nature. La terre est devenue difficile à ensemencer, la forêt s’est couverte de ronces, d’épines et de chardons qui blessent les mains des hommes. Des hommes et des femmes ont connu le malheur d’être sans abri. La marque de Caïn n’était pas que pour lui. Elle était aussi pour tout le monde. La souffrance avait envahi l’existence de l’homme.

La question fut posée à Jésus après deux malheurs. Pilate, l