Eglises d'Asie – Indonésie
Après l’intervention de la police pour disperser les membres d’une secte, des intellectuels et responsables religieux s’interrogent sur les raisons de l’émergence de pareils mouvements
Publié le 18/03/2010
La secte en question est apparue il y a plusieurs années. Son gourou, une femme Lia Aminuddin, qui se fait appeler Lia Eden, est musulmane à l’origine. Elle affirme être l’archange Gabriel et a baptisé son mouvement du nom d’“Eden, Royaume de Dieu”. Selon le site Internet du journal Tempo, les membres de la secte professent que le prophète Mahomet fait partie des Betawi, les habitants originels de Djakarta ; par conséquent, ils considèrent l’actuelle capitale de l’Indonésie – et non La Mecque – comme le lieu vers lequel tous les musulmans doivent se tourner pour prier. Le site Internet mentionne un responsable musulman, Abdur Rahman, selon qui “de tels enseignements blessent et insultent les musulmans”. Ce musulman précise que Lia Aminuddin a commencé à prêcher en 1980 sans rencontrer un grand succès. Ce n’est que récemment, ajoute-t-il, que les musulmans ont pris conscience que le message diffusé par la secte était contraire à l’islam (1). A l’appui de ses dires, il cite le fait que Dieu est désigné par les membres de la secte comme “le grand tourmenteur là où “les musulmans professent que Dieu est un Dieu miséricordieux”. Le site Internet ajoute encore que les voisins du lieu où la communauté est logée ont demandé aux autorités la dispersion du mouvement à la date du 31 décembre 2005.
Après l’intervention policière du 28 décembre, un responsable de la police à Djakarta, l’inspecteur général Firman Gani, a déclaré à la presse que le gourou de la secte était maintenu en détention au nom de l’article 156-a du Code pénal, lequel précise les conditions définissant une diffamation de nature religieuse. Les autres membres de la secte ont été remis en liberté, a-t-il précisé, car il a été estimé qu’ils n’avaient fait que prendre part à des veillées de prière.
Selon Johan Effendi, un intellectuel musulman, l’émergence de sectes à caractère religieux dans l’espace public est un phénomène de plus en plus fréquent en Indonésie. “Les autorités devraient s’interroger sur les raisons qui font qu’une secte apparaît. Mais si les activités d’une secte ne dérangent pas ceux qui n’en sont pas membres, pourquoi faudrait-il intervenir et en faire toute une affaire ? demande-t-il, en ajoutant que les responsables religieux devraient s’efforcer de comprendre ce qui est en jeu ici, plutôt que de condamner immédiatement les membres de ces mouvements en les qualifiant de déviants. “Peut-être les gens qui adhèrent à ces mouvements ne sont-ils pas satisfaits par ce qui est enseigné ou vécu dans les religions établies commente-t-il.
Pour le pasteur Weinata Sairin, secrétaire général adjoint de la Communion des Eglises (protestantes) en Indonésie, l’émergence de sectes est sans doute liée à l’incapacité des grandes religions à fournir à leurs fidèles des réponses satisfaisantes à certaines questions. Peut-être les grandes religions ne sont-elles plus capables de guider les gens dans la vie d’aujourd’hui, dit-il. “C’est là un appel, pour nous, à nous interroger sur nous-mêmes insiste-t-il, tout en précisant que la réflexion à mener ne doit pas laisser place au syncrétisme.
Enfin, pour le P. Antonius Benny Susetyo, secrétaire exécutif de la Conférence des évêques catholiques d’Indonésie, les arrestations opérées le 28 décembre sont inacceptables, dans la mesure où ce n’est pas au gouvernement de s’ingérer dans les croyances des citoyens, tout particulièrement lorsque ceux-ci ne perturbent pas l’ordre public ou ne commettent pas de délits. “L’intervention de la police constitue une violation de la liberté de religion affirme-t-il. Ceci dit, sur un plan religieux, le succès de tels phénomènes constitue un signal pour les religions. Un des grands défis auxquels font face les religions est bien de guider les fidèles correctement, sans les laisser dévier vers des enseignements incorrects (2).
Dans le quartier résidentiel de Bungur, à Djakarta-Centre, la secte en question est abritée dans une maison blanche à deux étages, sise rue Mahoni. Le bâtiment est surmonté d’une étoile lumineuse, la porte principale est ornée telle celle d’un temple. Deux colombes sont représentées sur une fenêtre et sur le portail figure une tête de lion. Selon un voisin, on peut voir à l’intérieur de la maison une statue de la Vierge Marie et des écritures en alphabet arabe sur les murs ; un bassin a été creusé pour les baptêmes et la guérison des malades. Lors des liturgies, les membres de la secte revêtaient une longue pièce de tissu de sept mètres de long. Selon un autre voisin, habitant en face de la maison, les membres de la secte entretenaient des relations cordiales avec le voisinage et c’est en décembre dernier, lors de cérémonies menées “autour de minuit” et accompagnées “à l’orgue et à la guitare que la secte s’est rendue plus visible. Selon ce voisin, musulman, elle professait un enseignement mêlant des éléments issus du bouddhisme, du christianisme, de l’hindouisme et de l’islam ; ses adeptes étaient principalement des “gens ayant suivi des études supérieures”.