Eglises d'Asie

CELEBES : LE ROLE DES FORCES DE L’ORDRE DANS LES TROUBLES DE LA REGION DE POSO

Publié le 18/03/2010




Jakarta Post : Après avoir mené une recherche sur le terrain à Poso et dans les villes alentours, à Célèbes-Centre, que pouvez-vous dire des violences sporadiques qui éclatent dans cette province ?

Muspani : Il y a aujourd’hui une dichotomie entre les dirigeants civils locaux et les militaires concernant la montée de la violence dans la zone. Les civils pensent que les militaires sont impliqués dans la mesure où ils provoquent les violences constatées, tandis que les militaires mettent en avant les cas où des civils ont provoqué des situations qui ont débouché sur de la violence – ils citent notamment un état de corruption endémique et aussi la présence de cellules terroristes, le terme ‘terroriste’ désignant ici des groupes de civils armés.

Ces temps-ci, il y a de vifs débats parmi les civils pour comprendre pourquoi la présence de milliers d’hommes des forces de sécurité n’a pas empêché la violence de perdurer. Ce qui remonte à la surface, c’est un degré élevé de défiance vis-à-vis des forces de sécurité, certaines personnes demandant si « certains groupes » au sein de l’armée et de la police ne sont pas, dans la région, en fait hors de contrôle de leur hiérarchie.

Prenez le cas de Fabianus Tibo qui a été reconnu coupable de tuerie de masse, lors des troubles intercommunautaires. Lors d’un récent interrogatoire, Tibo a donné seize noms, parmi lesquels une personnalité civile locale et des militaires, dont il affirme qu’ils ont été impliqués dans des actes de provocation. Les enquêteurs n’ont toutefois jusqu’ici montré aucune volonté de creuser ce témoignage. A ce jour, aucune démarche n’a été entreprise pour vérifier la véracité de ses propos. Les forces de l’ordre, qui ont les noms des personnes mises en cause, n’ont pas bougé pour mener les interrogatoires nécessaires.

Pensez-vous que le facteur religieux soit le principal élément qui permette d’expliquer les violences constatées ?

Nous avons abandonné toute argumentation qui tendrait à démontrer que les questions religieuses constituent le principal problème dans la zone. Les derniers événements ont montré que la dimension religieuse n’avait rien à voir avec les violences constatées, comme on a pu le voir lors de l’attaque du marché principalement fréquenté par des chrétiens à Tentena en mai dernier : cet attentat n’a déclenché aucune spirale de la violence. Il en va de même à propos de la décapitation des trois jeunes filles chrétiennes l’an dernier lors de la fête Fitri, ainsi qu’à propos de l’attentat que nous venons de vivre sur un marché de Célèbes-Centre, à Palu.

Les services de renseignement ont affirmé que la zone était un repère de cellules terroristes. Ils ont même dit qu’un lieu en particulier avait servi de camp d’entraînement pour terroristes. Aujourd’hui, nous demandons à ces services de nous fournir les preuves de ce qu’ils affirment. La présence d’un tel camp aurait-elle à voir avec le fait que les armes à feu et les explosifs circulent en grande quantité dans les villes ? Nous constatons que les armes produites en Indonésie, par la société d’Etat PT Pindad, ou importées de l’étranger sont plus qu’abondantes dans nos villes.

Que suggérez-vous de faire ?

Il n’y a pas d’autre solution que de créer une équipe d’enquête indépendante afin de faire la lumière sur les actes de violence que l’on constate dans la zone. Il faut pour cela remonter jusqu’à 1998. L’an dernier, les attentats et les actes de violence se sont succédé les uns aux autres sans que les autorités responsables de la police et de la justice arrêtent ne serait-ce qu’un seul suspect.

Si le président approuvait la création d’une telle équipe, que faudrait-il faire en premier lieu ?

L’équipe pourrait recommander que le président ordonne une évaluation interne de l’armée, de la police et des services de renseignement. Le président doit exiger des responsables de ces trois entités des comptes-rendus exhaustifs et vrais. Je dirais que les forces de sécurité ici semblent être comme « en mission ». Des personnalités civiles locales ont été jusqu’à reconnaître que la hiérarchie de ces trois entités ne contrôle pas certains de leurs groupes présents sur le terrain. Elles ont notamment cité Tim Bunga (‘Equipe des fleurs’), qui normalement ne devrait rien à voir à faire dans des opérations secrètes. En fait, cette équipe, par sa seule présence, est à l’origine de conflits.

Les rumeurs vont bon train au sujet d’un groupe d’hommes proches de Wiranto (ex-chef d’état-major de l’armée) et d’autres groupes qui jouent un rôle dans les conflits que nous constatons sur le terrain. Pour se convaincre du bien-fondé de certaines de ces rumeurs, il suffit de constater les divisions qui existent de façon évidente au sein du haut commandement de l’armée. Les chefs de ces institutions ne peuvent dégager leur responsabilité de ce qui se passe ici, en affirmant que les forces de sécurité ne sont pour rien dans tout cela. S’ils sont blancs comme neige, ils doivent le prouver en s’expliquant face à l’opinion publique.

Qui devrait être responsable d’une équipe d’enquête indépendante ?

Cette équipe devrait comprendre des responsables locaux, qui, eux-mêmes, seraient aidés par différentes personnalités du gouvernement central. Le président devrait leur donner d’importants moyens d’investigation au sujet des violences qui ont été commises dans la région. Bien sûr, le seul fait de créer cette équipe ne résoudra pas tous les problèmes, mais au moins ils seront mis sur la place et les grandes lignes apparaîtront plus clairement. Et, même si le président refuse de se conformer aux recommandations que ne manquera pas de faire l’équipe d’enquête – comme cela a pu se voir par le passé -, au moins les citoyens de ce pays auront pris connaissance des faits, de la véracité des faits.