Eglises d'Asie

LE FAIT CHRETIEN EN INDE – fresque historique –

Publié le 18/03/2010




I – Du Ier au IVe siècle

A.) Les chrétiens de St Thomas

Il y a en Inde plus de six millions de chrétiens qui reven-diquent St Thomas comme fondateur de leur chrétienté. Selon la tradition, il serait arrivé en Inde vers 52 et, après avoir converti au christianisme des milliers d’Indiens et bâti sept églises au Kerala, dans le sud-ouest de l’Inde, il serait mort martyr sur la côte est à Mylapore en 72.

Les chrétiens du Kerala qu’on appelle “Thomas Christians” sont tout à fait convaincus de l’origine directement apostolique de leurs communautés. Peut-on prouver par des arguments historiques irréfutables que l’Apôtre Thomas est effectivement allé en Inde et y a fondé des communautés chrétiennes ?

Plusieurs historiens ont essayé de le prouver. Parmi eux des chrétiens de St Thomas, formés dans des Universités d’Occident et parfaitement rompus aux exigences de la recherche historique, mais aussi des Universitaires originaires d’autres continents. Ces divers historiens ont minutieusement étudié tous les vestiges ou documents disponibles.

Malheureusement, les documents sont bien peu nombreux. Ce n’est pas surprenant, car un problème semblable se pose avec toute recherche historique dans ces régions à ces époques. Il est extrêmement difficile de retracer l’histoire de ces peuples. Outre que probablement ils ne se souciaient guère de “laisser des archives ils ne disposaient pas de moyens pour consigner les événements pour la postérité. Il ne subsiste pas de monuments datant de cette époque. Si quelque chose était écrit, c’était sur des feuilles de palmier (olam) bien difficiles à conserver dans ces climats chauds et très humides. Les quelques documents dont nous disposons sur cette région ont été écrits ailleurs ou beaucoup plus tard, lors de l’arrivée des Portugais en Inde.

Les premiers documents écrits faisant allusion à la présence de chrétiens en Inde

Les Actes de St Thomas, écrits vers l’année 200 en Syriaque, du côté d’Edesse. Selon ces documents St Thomas serait parti en Inde avec plus ou moins de réticence. Il se serait mis au service du roi Gudnaphar (ou Gundaphar) dont le royaume s’étendant de l’Afghanistan jusqu’à l’est de l’Inde. (L’existence de ce roi n’est plus mise en doute depuis 1834, date à laquelle on a découvert des pièces frappées à son nom à Calcutta) (1). Ce roi aurait ordonné à Thomas de lui bâtir un palais et pour ce faire lui aurait confié une forte somme d’argent. Thomas aurait dépensé cet argent au service des pauvres et aurait déclaré au roi qu’il avait dépensé cet argent pour lui bâtir un magnifique palais dans un autre monde. Thomas aurait été mis en prison, mais par la suite le roi se serait fait baptiser et Thomas aurait pu prêcher librement, avant de passer dans un autre royaume du sud de l’Inde, celui du roi Mazdai, où il fut mis à mort et enterré dans un lieu dont la description correspond effectivement à Mylapore près de Madras.

Selon les Actes de St Thomas, ce dernier aurait donc diffusé le christianisme d’abord dans le nord puis dans le sud de l’Inde. Toutefois, même les plus ardents défenseurs de l’apostolat de St Thomas en Inde reconnaissent volontiers que ces récits véhiculent des légendes destinées à enjoliver le récit (comme cela se faisait habituellement en Asie, cf. Bouddha, Confucius et d’autres). Ils croient cependant qu’il y a un fond historique. Les Actes de Thomas ne peuvent pas être considérés comme un document d’histoire, mais comme des histoires imaginées à partir de données connues de tous (l’arrivée en Inde de l’Apôtre Thomas) et destinées à mettre en valeur les merveilleuses activités de cet Apôtre, fondateur de leurs communautés.

Il y a d’autres documents, datant du IIIe-IVe siècle, qui font référence à l’apostolat de l’Apôtre Thomas en Inde : Clément d’Alexandrie, Eusèbe de Césarée qui cite Origène, Grégoire de Naziance et surtout St Ephrem qui a écrit de hymnes en l’honneur du magnifique apostolat de St Thomas en Inde. Vers 370, il a écrit un hymne célébrant l’arrivée à Edesse des os de St Thomas en provenance de l’Inde (2). Il y a aussi la Didascalia Apostolorum (‘Enseignement des Apôtres’) écrit en syriaque, sans doute au début du IIIe siècle.

Cependant, dans certains cas on peut se demander si tous ces auteurs connaissaient suffisamment la géographie pour bien situer l’Inde. On peut se demander si dans certains cas ils ne confondaient pas l’Inde avec certaines régions d’Afrique comme l’Ethiopie ?

B.) La tombe de St Thomas

Outre la tradition orale des chrétiens de St Thomas selon laquelle cette tombe ferait l’objet d’une vénération depuis le premier siècle, comme ils l’ont déclaré aux Portugais, il y a plusieurs références à cette tombe au cours des siècles. St Grégoire de Tours au VIe siècle parle d’un monastère en Inde où brûlerait une lampe jour et nuit sur le lieu du martyr d’un Apôtre. Marco Polo au XIIIe siècle a visité cette tombe et raconté que la poussière de ce lieu était considérée comme ayant un pouvoir de guérison.

En 1945, on a découvert au sud de Madras un centre de commerce romain construit avec des briques d’une fabrication antérieure à l’année 50 et on retrouve ce même type de briques dans la tombe de St Thomas (3). Selon Samuel Hugh Moffett, tout compte fait, du point de vue de l’historien, on a le même type de problèmes historiques avec la tombe de St Thomas qu’avec celle de St Pierre à Rome.

Remarquons tout d’abord que, selon un principe bien connu en archéologie et paléontologie, absence de preuve n’est pas preuve d’absence. Personne n’a prouvé que St Thomas ne soit pas allé en Inde !

Ensuite, même si l’accumulation de ces indices ne constitue pas une preuve irréfutable, ils indiquent non seulement la possibilité mais même la probabilité de l’apostolat de St Thomas en Inde.

En effet, il est facile d’établir qu’à l’époque il existait des relations fréquentes entre le bassin méditerranéen et l’Inde. Les archéologues ont découvert sur les rivages indiens des plats en cuivre et de nombreuses pièces de monnaie romaines. On ne peut douter qu’il ait existé des relations commerciales entre le bassin méditerranéen et l’Inde. Il y avait des voyages par voie de terre, mais cela pouvait demander beaucoup de temps. En revanche, les voyages par mer étaient relativement faciles et rapides, surtout lorsque, vers les années 40, on découvrit la possibilité de tirer parti des vents de la mousson pour traverser l’océan Indien, lesquels pendant l’été soufflent dans la direction de l’Inde et quelques mois plus tard dans la direction inverse. Il est donc tout à fait vraisemblable que l’un des Apôtres ait profité de l’un de ces bateaux pour aller diffuser la foi chrétienne dans ces régions, où des migrants juifs l’avaient peut-être précédé.

3.) Cependant, l’argument le plus fort en faveur de l’historicité de cet apostolat c’est l’existence d’une communauté chrétienne dans cette région, laquelle de tout temps, dans la mesure où nous avons des documents la concernant, a revendiqué St Thomas comme son fondateur (4).

Le problème de St Barthélémy : A noter que, selon une autre tradition, beaucoup moins bien étayée, un autre apôtre, St Barthélémy aurait également ouvré en Inde. En effet, vers la fin du IIe siècle, un Egyptien converti au Christianisme, Pantaneus, serait allé en Inde où il aurait trouvé une communauté chrétienne qui revendiquait comme son fondateur non pas St Thomas mais St Barthélémy ! Mais, d’une part, il a pu y avoir confusion sur l’identité de la région où est allé Pantaneus, il n’est pas sûr que ce fut l’Inde., et, d’autre part, il n’est pas impossible qu’il ait mal compris le nom qu’il entendait, car dans la langue du Kerala on parle de “Mar Thoma Or, en hébreu Barthélémy se dit Bar Tolmai (5).

C.) Emigration vers l’Inde d’un groupe de chrétiens Perses

En 345, alors que sévissait une persécution contre les chrétiens en Perse, un négociant Perse émigre vers le sud de l’Inde avec un groupe de chrétiens, parmi lesquels des diacres, des prêtres et un évêque. Cet homme s’appelait Thomas de Cana (ou Kinai).

Certains ont cru pourvoir s’appuyer sur cette similitude de noms pour en conclure que le vrai fondateur des chrétientés du sud de l’Inde était ce Thomas là et non l’Apôtre Thomas. Cette confusion n’est pas possible pour deux raisons : 1.) tout d’abord, en arrivant en Inde Thomas de Cana y trouve des communautés chrétiennes et déplore de constater que ces chrétiens n’ont pas de vrai chef, qu’ils sont divisés et que faute d’être bien organisés leur nombre diminue à tel point que la communauté risque de disparaître ; 2.) Les chrétiens venus de Perse n’ont jamais totalement fusionné avec les chrétiens qu’ils ont rencontrés en Inde ; ils ont toujours revendiqué une identité séparée. On les appelle les “sudistes” et, même s’ils n’ont pas de rite séparé et suivent le même rite que les chrétiens revendiquant comme fondateur St Thomas l’Apôtre (le rite syro-malabar), aujourd’hui encore ils ont leur propre diocèse, celui de Kottayyam (récemment divisé en deux).

II – Du IVe siècle au XVIe siècle

A partir du IVe siècle c’est peu à peu l’Eglise de Perse qui en quelque sorte prend la direction des communautés chrétiennes de l’Inde, introduit l’usage du syriaque dans la liturgie, nomme les responsables des communautés, etc. Lorsque l’Eglise de Perse au Ve siècle passe au nestorianisme, les chrétiens de l’Inde se retrouvent nestoriens sans forcément se rendre compte que, ce faisant, ils se séparaient de l’Eglise de Rome. Manifestement, ils n’ont jamais eu l’occasion de choisir entre adhésion à l’enseignement de Nestorius et fidélité à Rome.

Au cours des siècles suivants des voyageurs, et en particulier Marco Polo, on fait des références à ces chrétientés ; mais c’est seulement à la fin du XVe siècle, avec l’arrivée des missionnaires venus d’Europe que ces chrétientés attirent pour de bon l’attention de l’Eglise d’Occident.

III – Arrivée des missionnaires portugais

Arrivée de Vasco de Gama à Cochin en 1498. Quelques années plus tôt, en 1494, par le Traité de Tordesillas, le pape Alexandre VI avait confié aux souverains d’Espagne et du Portugal la responsabilité des territoires d’outre-mer “nouvellement découverts ou à découvrir C’est ce qu’on appelle le “droit de patronage C’est ainsi que le Portugal s’était vu confier le soin d’acheminer des missionnaires vers l’Asie et de soutenir financièrement leurs activités.

A leur arrivée en Inde, ces missionnaires (jésuites) y rencontrent donc des chrétiens avec lesquels ils vont avoir des rapports assez complexes ; mais ils s’efforcent aussi de proposer la foi chrétienne aux autres.

A.) Rencontre avec les chrétiens de St Thomas

Il y a alors sur la côte sud-est de l’Inde entre 60 000 et 200 000 chrétiens (selon les documents). Ils appartiennent aux castes supérieures. Les missionnaires nouvellement arrivés les écoutent, les observent, les interrogent et écrivent des rapports. C’est à partir de ces rapports qu’on dresse habituellement un tableau de ces chrétientés.

Il ressort de ces rapports que la foi de ces chrétiens était globalement conforme à celle des catholiques d’Europe. Ces rapports précisent par exemple que ces chrétiens adhèrent pleinement à tous les articles du Concile de Nicée. Ils considèrent même que leur patriarche est soumis au pape de qui il tient ses pouvoirs (6). Ils ont une liturgie très riche à laquelle ils consacraient beaucoup de temps et qui est très imbriquée avec la pratique de jeûnes fréquents, longs et rigoureux. Bref !, ils manifestaient une grande ferveur (7). Les missionnaires constatent cependant quelques erreurs dans la liturgie qui sont celles de Nestorius et Théodore de Mopsuète.

Du point de vue des “pratiques” de ces chrétiens, ils constatent que, dans l’organisation de leurs communautés, les laïcs occupaient une place très importante. Il y a quelques divergences notables avec ce qui se fait en Occident. Exemples : il y a un clergé marié, on célèbre la messe avec du pain fermenté, on ne pratique pas la confession auriculaire et on n’y observe pas les commandements de l’Eglise.

Convaincus qu’il était de leur devoir d’intégrer pleinement et clairement ces communautés chrétiennes dans l’Eglise catholique romaine les missionnaires s’efforcèrent de corriger tout ce qu’ils considéraient comme des erreurs ou des déviations. Il y eut quelques résistances non pas sur les problèmes de la foi, mais sur les problèmes d’organisation et d’autorité.

Lors du Synode de Diamper en 1559, on avait cru que tous les problèmes étaient réglés. On a pu dire qu’à la suite de ce Synode, les chrétiens de St Thomas avaient été “latinisés Mais des tensions subsistaient qui aboutirent à la grande révolte de 1653. Finalement environ la moitié des chrétiens de St Thomas se séparèrent de l’Eglise catholique. Par la suite d’ailleurs ils se divisèrent en plusieurs Eglises. (L’un de ces groupes devait rejoindre l’Eglise catholique en 1930, tout en conservant leur rite. C’est le rite syro-malankara).

B.) Fondation de nouvelles chrétientés par les missionnaires du padroado

Tout en essayant d’établir des relations satisfaisantes avec les chrétiens de St Thomas les missionnaires jésuites fondèrent de nouvelles communautés chrétiennes, d’une part, sur la côte ouest, un peu plus au nord, dans la région de Goa et de Mangalore et, d’autre part, dans l’extrême sud, tant au Kerala où se trouvaient déjà les chrétiens de saint Thomas qu’au Tamil Nadu. Tandis que les nouvelles communautés chrétiennes de Goa et Mangalore étaient constituées par des gens de haute caste, des brahmanes, les nouveaux chrétiens de l’extrême sud appartenaient aux castes inférieures. Quelques grands noms sont associés à ces tentatives d’évangélisation. D’abord celui de saint François Xavier arrivé à Goa en 1542. Il n’y resta pas longtemps, mais en quelques années il y fonda quelques belles communautés chrétiennes avant de partir vers le Japon et la Chine. Au siècle suivant, un autre jésuite, Robert de Nobili, arrivé en Inde en 1614, marqua de son empreinte la Mission au Tamil Nadu où ses prédécesseurs avaient baptisé un bon nombre de personnes des castes inférieures. Pour pouvoir présenter la foi chrétienne aux castes supérieures, il adopta l’habit et le style de vie des brahmanes. Il réussit effectivement à en baptiser quelques-uns, mais ses méthodes de travail suscitèrent des critiques, ce qui aboutit à “la querelle des rites malabars Un autre jésuite italien, Beschi, réussit à si bien apprendre la langue locale, le tamoul, qu’il écrivit des livres qui aujourd’hui font partie des classiques de la langue tamoul.

IV – Du règne d’Akbar (1556-1605) à l’indépendance de l’Inde

Pourquoi cette référence explicite au règne d’Akbar ? D’abord parce que cela nous permet de rappeler que, pendant plusieurs siècles, l’Inde fut dirigée par des empereurs musulmans, et aussi à cause de l’attitude assez singulière de cet empereur à l’égard des autres religions, et en particulier à l’égard des chrétiens. Lui-même avait été influencé par les chiites et le soufisme, mais il adhérait au sunnisme. En 1575, il invita à sa cour des représentants de toutes les grandes religions de l’Inde (hindous, Jains, Parsis, Sikhs, juifs et chrétiens) et leur demanda d’exposer et de défendre les principes et les pratiques de leurs religions respectives. C’est surtout ce que lui dirent les jésuites qui retint son attention. Il eut de nombreuses rencontres avec eux, au cours de plusieurs séjours, si bien que les jésuites espéraient qu’il allait se convertir au christianisme. En fait, il ne devint jamais chrétien pour des raisons que les jésuites s’efforcent d’analyser dans leurs divers rapports. Toutefois, il autorisa expressément les jésuites à diffuser leur religion dans le pays (8).

D’une façon habituelle les empereurs moghols (musulmans) firent preuve d’une tolérance, plus ou moins bienveillante à l’égard des chrétiens. Il y eut quelques cas de persécutions locales, mais elles ne durèrent pas.

Dans le courant du XIXe siècle, peu à peu la domination des empereurs musulmans fut remplacée par celle des Anglais. C’est seulement vers le milieu du siècle, que les Anglais vinrent à bout des diverses résistances, en particulier celle des Sikhs, et c’est seulement après les “mutineries” de 1857-1858, qu’ils formuleraient clairement les divers principes qui allaient caractériser leur administration. Du point de vue religieux, ils s’engagèrent non seulement à respecter mais aussi à protéger toutes les religions – un principe qui sera globalement repris par la Constitution de l’Inde en 1947. Ils permirent certes l’activité missionnaire des chrétiens, mais on ne peut pas dire que le pouvoir colonial anglais se soit efforcé de favoriser l’expansion du christianisme dans le pays. Pas davantage d’ailleurs le pouvoir colonial français dans les cinq comptoirs sous sa domination, même si le pourcentage des chrétiens est légèrement plus élevé à Pondichéry qu’au Tamil Nadu. En revanche le pourcentage des chrétiens est nettement plus élevé à Goa (administration portugaise) que dans les territoires environnants.

Sans entrer dans les détails, rappelons quelques éléments ou étapes de la pénétration du christianisme en Inde pendant ces quatre ou cinq siècles.

A.) Du côté catholique

De nouveaux missionnaires envoyés non plus par le souverain du Portugal arrivent en Inde, mais directement par Rome. Ils dépendaient de la Congrégation pour la propagation de la foi, fondée à Rome en 1622. Ceci d’ailleurs entraîna des conflits de juridiction avec les missionnaires du padroado, des conflits qui perdurèrent localement, avec plus ou moins de virulence, jusqu’à l’établissement de la hiérarchie catholique en Inde en 1886.

Au XVIIe et XVIIIe siècle, les missionnaires étrangers n’étaient pas très nombreux. Ils fondèrent néanmoins quelques nouvelles communautés surtout sur les côtes et dans l’extrême sud du pays. A partir du XIXe siècle, le nombre des missionnaires augmente. Ils viennent de divers pays d’Europe ou d’Amérique. Ils appartiennent à diverses congrégations religieuses, comme les jésuites, les carmes, les franciscains, un peu plus tard les salésiens ; mais aussi à des instituts missionnaires comme les Missions Etrangères de Paris invités à remplacer les jésuites dans la Mission de Coromandel en 1778. C’est surtout à partir du XIXe siècle qu’arrivent non seulement des prêtres mais aussi des Frères et des religieuses. Quand on considère le nombre et la diversité de ces missionnaires étrangers arrivés en Inde, surtout vers la fin du XIXe et la première partie du XXe siècle, on peut parler d’une importante “vague missionnaire 

Ces missionnaires pénètrent à l’intérieur du pays et fondent de nouvelles communautés surtout parmi les classes sociales les plus défavorisés. C’est de cette époque que datent de nombreuses communautés chrétiennes dans les Etats dravidiens au sud (Tamil Nadu, Karnataka, Andhra Pradesh) et dans quelques régions du centre, du nord et du nord-est de l’Inde. Mentionnons en particulier la fondation d’une belle chrétienté dans l’Etat du Bihar, dans la région de Ranchi au sein d’une population tribale, par un groupe de jésuites belges animés par le P. Lievens arrivé en Inde en 1886. D’autres missionnaires (PIME, salvatoriens, salésiens.), plus ou moins à la même époque, s’aventurent dans l’extrême nord-est de l’Inde dans l’Assam, le Meghalaya et les régions avoisinantes.

B.) Du côté des autres chrétiens

En dehors des chrétiens de St Thomas qui avaient rejeté l’autorité des missionnaires catholiques en 1653, plusieurs autres Eglises ou organisation chrétiennes prennent racine en Inde. Exemples :

En 1698, fondation en Angleterre de la Society for the Promotion of Christian Knowledge (S.P.C.K, Société pour la promotion des connaissances chrétiennes) qui très vite commence à travailler en Inde et aujourd’hui encore y diffuse de nombreuses publications.

En 1706, arrivent des luthériens (Danois) dans la région de Tranquebar où ils traduisent la Bible en tamoul.

Vers la fin du XVIIIe siècle, ont lieu de multiples rencontres entre des missionnaires anglicans et des “chrétiens de St Thomas” non catholiques. De ces rencontres naîtra l’Eglise marthomite, devenue complètement autonome en 1888. Elle est aujourd’hui relativement importante avec des diocèses non seulement en Inde, mais aussi au Moyen-Orient, en Afrique et même en Amérique.

En 1801, les baptistes arrivent dans le Bengale où ils fonderont un Collège théologique en 1818. Ils seront très actifs en particulier dans le Nord-Est et plus particulièrement dans l’Etat du Nagaland.

En 1905, première Assemblée générale des Eglises unies du sud de l’Inde et fondation de la Société Missionnaire Nationale.

En 1947, fondation de l’Eglise du sud de l’Inde (CSI) qui regroupe la grande majorité des chrétiens non catholiques du sud de l’Inde, parmi lesquels des “chrétiens de St Thomas 

En 1970, fondation de l’Eglise du nord de l’Inde (CNI) qui regroupe semblablement la majorité des chrétiens du nord de l’Inde.

En 1977, création d’un “Joint Council” du CSI, du CNI et de l’Eglise marthomite.

C.) Fondation de nombreuses institutions

Les diverses organisations chrétiennes qui se sont implantées en Inde, surtout à partir du XIXe siècle, ont fondé de multiples institutions destinées à favoriser en particulier l’éducation et le soin des malades. Un peu partout ont été fondées des écoles (primaires, secondaires, collèges universitaires), des dispensaires et des hôpitaux. La contribution des chrétiens à l’amélioration des conditions de vie du peuple indien est très largement reconnue – même si d’aucuns ont reproché aux chrétiens d’avoir utilisé l’aide humanitaire pour faire du prosélytisme.

V – Depuis 1947

A.) La nouvelle Constitution garantit la Liberté de religion

Au moment de la rédaction de la Constitution, il y a eu très vite un consensus sur la nécessité de garantir à chaque citoyen la liberté de “pratiquer” sa religion. En revanche il fut plus difficile d’obtenir que chaque citoyen ait la liberté de “propager” sa religion. Ce mot là fut finalement introduit dans le texte, en contrepartie, semble-t-il, du renoncement par les religions minoritaires à un électorat séparé.

Tout compte fait, non seulement la Constitution de l’Inde garantit la liberté de religion, mais en outre les religions minoritaires sont protégées, voire privilégiés aux yeux de certains hindous, en ce sens qu’elles bénéficient de certaines facilités accordées aux minorités. On sait que par la suite, des mesures ont été prises dans certains Etats de l’Inde pour contrôler, voire restreindre, la possibilité de “faire des conversions 

B.) Les Indiens prennent eux-mêmes la direction des Eglises

Certes, le transfert de l’autorité à des Indiens avait déjà commencé avant l’indépendance, mais ce processus est considérablement accéléré à partir des années 1950. D’ailleurs, déjà en 1953, le gouvernement indien avait décidé de ne plus accorder de visas pour de nouveaux missionnaires, sauf exception. Aujourd’hui, il n’y a quasiment plus d’étranger en Inde qui assume de hautes responsabilités dans les organisations chrétiennes.

Simultanément, en particulier dans l’Eglise catholique, on assiste à un accroissement rapide et important du nombre de garçons et de filles qui décident de consacrer leur vie au service de Dieu, des communautés chrétiennes, des pauvres de l’Inde. Les séminaires et les noviciats se développent et se multiplient. Il y a de plus en plus de prêtres et de religieuses, parfois hautement qualifiés, qui travaillent souvent dans des institutions, de plus en plus nombreuses et de plus en plus florissantes. C’est ainsi que, à tort ou à raison, on a pu dire que l’Eglise catholique en Inde était davantage connue par la qualité et l’efficacité de ses institutions que pour son message spirituel.

La plupart de ces institutions ont été fondées pour aider les plus défavorisés, mais il arrive que de fort belles institutions chrétiennes soient effectivement au service des classes moyennes ou des classes supérieures. Mais de cela il sera question plus tard.

VI – Les effectifs chrétiens en Inde

A.) Combien sont-ils ?

Un peu moins de 24 millions, soit 2,34 % de la population d’après le dernier recensement de 2001. Plus de 26 millions si on additionne les chiffres fournis par les diverses Eglises chrétiennes. Ce décalage entre les chiffres donnés par le gouvernement et ceux donnés par les Eglises n’est pas nouveau. Il y a longtemps que ça dure. D’où vient-il ? Il y a plusieurs explications possibles :

1.) Lors du recensement il est possible que certains chrétiens choisissent de ne pas se déclarer chrétiens de peur d’être par la suite victimes de certaines discriminations.

2.) Du côté des Eglises, il n’est pas évident que les chiffres avancés soient dans tous les cas le résultat d’un recensement systématique et rigoureux des effectifs. Il peut arriver par exemple que dans un village on comptabilise les membres de la famille partis travailler dans les villes et que ces derniers soient de nouveau comptabilisés dans ces villes.

Quoi qu’il en soit, il est clair que même si, en chiffres absolus, le nombre des chrétiens en Inde a considérablement augmenté depuis l’indépendance, le pourcentage a plutôt baissé : 2,35 en 1951 ; 2,34 en 2001 – ce qui s’explique principalement par le fait que la croissance démographique serait plus faible chez les chrétiens que chez les hindous et les musulmans.

B.) Où sont-ils ?

Ils sont très inégalement répartis sur le territoire. La majorité réside dans le sud de la Péninsule : plus de six millions au Kerala, près de quatre millions au Tamil Nadu, plus de deux millions dans les deux autres Etats Dravidiens (Andhra Pradesh et Karnataka), près d’un demi million à Goa. Plus de quatre millions habitent les Etats de l’extrême nord-est : Assam, Nagaland, Mizoram, Manipur, Meghalaya, Tripura, Arunachal Pradesh. Plus d’un million se trouvent dans le Jharkhand, qui jusqu’à une date récente faisait partie du Bihar. Ils sont donc très peu nombreux dans d’immenses régions du Centre, du nord et du nord-ouest.

Si on regarde les pourcentages, les deux Etats qui viennent en tête sont le Nagaland, le Mizoram et le Meghalaya avec respectivement 87,47, 85,73 et 64,48 %. En revanche, l’Etat le plus peuplé de l’Inde, l’Uttar Pradesh, est aussi l’un de ceux où la présence chrétienne est très faible : 0,14 % (9).

C.) A quel milieu social appartiennent-ils ?

On estime qu’environ 60 % des chrétiens de l’Inde sont des dalits, soit qu’ils appartiennent aux couches sociales les plus basses dans le système des castes – ceux qu’on appelait autrefois des parias, des intouchables -, soit qu’ils appartiennent à des populations tribales – c’est le cas des chrétiens de l’extrême nord-est et du Jharkhand.

Il y a cependant des chrétiens qui appartiennent aux classes moyennes ou moyennes supérieures, voire aux hautes castes en particulier au Kerala, à Goa, à Mangalore et à Bombay.

Notes

(1)Samuel Hugh Moffett, A History of Christianity in Asia, Vol. 1 Orbis Books, New-York, 2003, p. 29.

(2)Ibid., p. 46.

(3)Ibid., p. 36.

(4)A. M. Mundadan, History of Christianity in India, Vol. 1, Theological Publications in India, Bangalore, 1984, pp. 60-65.

(5)Samuel Hugh Moffett, op. cit., p. 38. Voir aussi A. M. Mundadan, op. cit., pp. 65-66.

(6)Joseph Thekkedath, History of Christianity in India, Vol 2. Theological Publications in India, Bangalore, 1982, p. 30.

(7)James Aerthayil, The Spiritual heritage of the St Thomas Christians, Dharmaram Publications, Bangalore, 2001, p. 151 et passim.

(8)Ibidp. 427 et suivantes.

(9)Indian Christian Directory. A Deepika Publication, Rahstradeepika Ltd, Thiruvananthapuram, 2000, p. 38.