Eglises d'Asie

Le récent assassinat d’un magistrat amène des évêques catholiques à s’élever, une nouvelle fois, contre “la culture de mort” qui prévaut, selon eux, dans le pays

Publié le 18/03/2010




Selon des évêques philippins, le récent assassinat d’un magistrat ne doit pas rester sans conséquence. Il est le signe, affirment-ils, de l’extrême gravité des problèmes auxquels doit faire face la nation. “C’est le signe d’une culture en crise qui a perdu le respect d’autrui, non seulement aux Philippines mais partout dans le monde a déclaré le 3 janvier dernier Mgr Luis Antonio Tagle, évêque d’Imus. Trois jours plus tôt, le juge Henrick Gingoyon avait été abattu, selon les premiers éléments de l’enquête, par deux hommes en moto, près de sa résidence, à Bacoor, une ville de la province de Cavite, à 25 km. au sud-ouest de Manille. L’évêque d’Imus, dont le diocèse couvre l’ensemble de la province de Cavite, voit “dans ce crime” le signe “d’un malaise profond” qui touche “l’ensemble de la population”.

Henrick Gingoyon présidait le 117e tribunal régional de première instance de la ville de Passay. Il est le dixième juge à être assassiné aux Philippines depuis 1999, a relevé la Cour suprême des Philippines, dans un communiqué daté du 2 janvier. Le président de la Cour, Artemio Panganiban, dans une déclaration faite le même jour, demandait aux autorités “d’enquêter sérieusement, d’arrêter les meurtriers et de redoubler d’efforts pour résoudre les crimes commis contre les juges et jamais encore élucidés”.

Le 3 janvier, Mgr Deogracias Iniguez, évêque de Kalookan, déclarait, pour sa part, que les équipes d’enquêteurs devraient constituer un dossier sur les assassinats d’hommes de loi, de journalistes et de militants de la société civile, afin de “les étudier de près pour voir s’ils n’obéissent pas à un certain modèle pré-établi ».

Ces deux dernières années, au moins vingt-deux journalistes ont été assassinés. En outre, en 2005, plus de six pasteurs protestants ou responsables religieux ont été victimes d’embuscades ou assassinés. Henrick Gingoyon était membre de l’Eglise Unie du Christ. “Il semble que, dans leur majorité, les assassinats que la presse rapporte dans ses colonnes ou les violations des droits de l’homme qui sont commises dans ce pays ne débouchent jamais ou presque sur des enquêtes sérieuses, encore moins sur des arrestations a observé Mgr Iniguez, président du Comité épiscopal pour les affaires publiques. Pour l’évêque, si rien n’est fait, l’assassinat de Henrick Gingoyon peut n’être que le prélude à de nouvelles attaques contre les défenseurs du droit. Selon lui, la société civile, les ONG et les responsables religieux doivent “faire pression sur les autorités publiques” afin que ces assassinats soient élucidés.

Pour Mgr Luis Antonio Tagle, le respect de la vie humaine ne prévaudra toutefois aux Philippines que si les chrétiens en parlent autour d’eux et agissent. Les Philippins, a-t-il expliqué, ne peuvent se contenter de s’en remettre à leurs évêques et à leurs responsables religieux. “Que font les gens pour nourrir la culture de la vie et de la paix dans les familles ? a-t-il demandé, ajoutant être choqué par le fait que seuls les assassinats de personnalités provoquent des réactions dans la population. “Je me sens tout autant concerné par les meurtres quotidiens, dont personne ne parle parce qu’il s’agit de pauvres, d’inconnus, de personnes qui étaient au mauvais endroit au mauvais moment, victimes d’un système où l’autre n’inspire finalement que très peu de respect a-t-il expliqué (1).

Selon les médias philippins, le président de la Cour suprême a laissé entendre qu’il pensait que l’assassinat du juge Henrick Gingoyon pouvait être lié au fait que le magistrat avait rendu un jugement défavorable au gouvernement. En janvier 2005, Henrick Gingoyon avait en effet ordonné à l’Etat de verser 62,34 millions de dollars à la Philippine International Air Terminals Company en compensation des surcoûts liés à la construction d’une nouvelle aérogare à l’aéroport international de Manille.

Selon Merla Aviles, greffière du tribunal où travaillait Henrick Gingoyon, le magistrat assassiné était “un bourreau de travail, attaché à sa famille, généreux et pieux”. Ancien séminariste du Séminaire de l’Union théologique, dirigé par l’Eglise méthodiste unie et l’Eglise unie du Christ, le magistrat laisse le souvenir d’un homme “humble qui était “comme un berger” pour les employés du tribunal où il siégeait.

Par ailleurs, selon Neri Colmenares, avocat et porte-parole des Conseils pour la défense des libertés, une organisation d’avocats au service des droits de l’homme, sept avocats ont été assassinés dans le pays en 2005. L’année précédente, trois juges et quatre avocats avaient trouvé la mort, tués par balles.